"LES LOCALES SONT UNE SÉRIEUSE ALERTE POUR LE POUVOIR"
BARKA BÂ, CHERCHEUR EN SCIENCES POLITIQUES
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Le limogeage de Mme Aminata Touré suivi de sanctions contre d’autres responsables apéristes, la formation d’un nouveau gouvernement et la menace Khalifa Sall sont autant de points que le chercheur en sciences politiques, Barka Bâ, par ailleurs directeur de TFM infos, a analysés pour votre hebdo préféré.
Le Témoin : Quelle lecture faites-vous du limogeage d’Aminata Touré ?
Barka Bâ : Le limogeage de madame Aminata Touré ne surprend pas les observateurs avertis de la scène politique sénégalaise. Son départ de la Primature était acté depuis longtemps et la débâcle qu'elle a enregistrée lors des locales n'est que la dernière séquence d'un processus de "défenestration" enclenché depuis longtemps. En fait, dès le premier trimestre de sa nomination, des crispations se sont produites entre le Président Sall et Mimi Touré.
Or, ne l'oublions pas, pour le meilleur et pour le pire, nous sommes dans un régime présidentiel voire présidentialiste. Le chef de gouvernement, quels que soient sa compétence et son talent, ne tire sa légitimité que du chef de l'Etat dont il est le premier collaborateur du reste mais rien d'autre qu'un collaborateur dont la carrière dépend d'un trait de plume de son patron. Fondamentalement, entre les deux têtes de l'exécutif, il s'est posé un problème de tempérament et un style de management aux antipodes l'un de l'autre et cela avait fini par déteindre sur la marche de l'Etat.
A ce sujet, les vives critiques formulées contre Mimi Touré par certains proches du chef de l'Etat, à tort ou à raison, n'annonçaient rien de bon pour elle. En plus, le fait pour l'ancien Pm Aminata Touré, qui avait axé sa Déclaration de politique générale sur le programme « Yoonu Yokkute » de ne pas s'être approprié à temps le PSE, devenu le principal référentiel de Macky Sall, a accentué des désaccords fondamentaux sur la marche à suivre. De ce fait, l'absence d'Aminata Touré à Paris lors de la présentation du PSE aux bailleurs de fonds suivi quelques temps après de l'intronisation de Mahammed Dionne en plein conseil des ministres comme ministre du PSE, dépendant exclusivement du chef de l'Etat, annonçait déjà la couleur et présentait ce dernier comme un successeur potentiel de la dame au 9e étage du building administratif.
Comment analysez-vous les contre-performances des autres responsables apéristes ?
Pour ce qui concerne les contre-performances des autres responsables Apéristes, il y a aux moins deux niveaux de lecture. Premièrement, patron d'un parti qui est arrivé très vite au pouvoir par un exceptionnel concours de circonstances, les Locales étaient un bon baromètre pour le Président Sall de jauger la représentativité réelle des uns et des autres. Sous ce rapport, ce scrutin constituait une occasion de remettre les choses à plat dans un parti donnant parfois l'impression d'être une armée mexicaine.
Or, le piège à ce niveau se situe dans le fait que certains ténors de Apr ont été envoyés au charbon dans des bastions difficilement prenables avec des barons bien installés. C'est le cas de Mimi Touré à Grand Yoff face au maire Khalifa Sall ou de Seydou Gueye à la Médina, de Thierno Alassane Sall à Thiès avec Idrissa Seck ou encore de Benoit Sambou à Ziguinchor face à Abdoulaye Baldé. Pour ne rien arranger, l'Apr, du fait de son attractivité subite de parti au pouvoir, a été très affaibli par la floraison de listes parallèles et par une certaine indiscipline électorale qui a aggravé la déroute dans certaines localités. Même si, mathématiquement, le pouvoir a largement remporté ces élections locales, la défaite enregistrée au niveau de grandes villes comme Dakar, Thiès ou Ziguinchor constitue une sérieuse alerte. Impérativement, le Président Sall, s'il veut avoir des chances d'être réélu en 2017, devra en tirer des conséquences en commençant par une reprise en main et une structuration de son parti.
En deux ans et demi, le président de la République en est à son troisième Premier ministre. Cela ne dénote-t-il pas un certain tâtonnement, un manque de vision ?
Il est vrai que le rythme de changement des Premiers ministres peut laisser croire à une certaine hésitation de la part du président de la République. Mais cela est dû peut-être au fait que lui même ayant occupé la fonction et ayant brillamment réussi à ce poste, il a un niveau d'exigence très élevé qui a conduit aux départs prématurés d'Abdoul Mbaye et de Mimi Touré. Le fait de recourir à Mahammed Dionne qui a été son directeur de cabinet en tant que Pm et président de l'Assemblée nationale, traduit peut-être la volonté de s'attacher les services d'un proche avec lequel il se sent plus d'atomes crochus et plus apte à décrypter son mode de fonctionnement.
Au sortir des Locales, Khalifa Sall gagne Dakar qui constitue le 1/5 de l’électorat sénégalais. Est-ce une menace pour le président de la République ?
Incontestablement, Khalifa Sall est l'un des grands vainqueurs de ce scrutin. Désormais, il devient incontournable dans le jeu politique et, même s'il ne l'a pas dit, il a pris date avec ces Locales. L'Apr, qui l'avait déjà en ligne de mire, est obligé de le prendre au sérieux dans la perspective de la présidentielle de 2017. Le poids électoral de Dakar et l’image plutôt positive de Khalifa au sein de l'opinion publique en font un challenger sérieux pour Macky Sall. Mais le chemin qui mène au palais est encore loin et il lui faudra encore vaincre beaucoup d'obstacles sur son chemin.
D'abord, il lui faut trouver un ancrage national car, pour le moment, Khalifa Sall, malgré sa popularité, reste un phénomène urbain, essentiellement dakarois. Ensuite, la mère des batailles pour lui, c'est de convaincre Ousmane Tanor Dieng de lui laisser la direction du Parti socialiste, ce qui est loin d'être acquis à moins que, dopé par ses résultats, il n'arrive à lui imposer un rapport de forces à l'interne. S'il veut avoir un destin national, Il lui faudra aussi s'imposer à Aïssata Tall Sall qui, elle-même, a montré beaucoup de courage et de combativité à Podor lors de ces locales sans compter sa tentative d'Opa sur le Ps et qui n'a pas dit son dernier mot. On le voit donc, le jeu reste très ouvert.