LES PÉCHÉS DE MACKY ET BONY
Les deux médiateurs de la crise brukinabè ont conduit leur médiation sans consultations véritables avec des acteurs clefs, sans observateurs et témoins indépendants, en tentant d’imposer leur seule vision

Le «projet d’accord politique de sortie de crise» concocté par les présidents Maky Sall et Bony Yayi au nom de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union Africaine (UA) pour sortir le Burkina Faso de la situation créée par le coup d’État du général Diendéré, a été à mon sens rejeté par les hommes politiques et par la société civile burkinabè non pas tant pour son contenu que par le fait qu’il était proposé par Maky Sall et Bony Yayi. Des présidents africains, représentants d’une caste en qui les popuations, particulièrement les jeunes, n’ont aucune confiance.
Aussi le rejet a été violent et général. De Ouaga à Dakar ! En fait de toute l’Afrique et au-delà. «C'est honteux ce qu'a proposé la CEDEAO, j'ai honte d'être Africain», dira Me Guy-Hervé Kam, le porte-parole de «Balai Citoyen» dès après la publication du texte du projet d’accord.
Roch Marc Christian Kaboré, un des candidats les plus en vue à la future élection présidentielle rejettera de même l’accord déclarant n’avoir pas été associé. «A partir du moment où nous n'avons pas eu l'opportunité ni de poser des questions ni de donner des avis sur ces différents points évidemment, je dois marquer ma surprise, a-t-il témoigné après avoir pris connaissance du projet d'accord. Même si je comprends que le souci c'est d'aider le Burkina Faso, il aurait été indiqué que nous puissions en discuter.»
Jusqu’au Président de la Transition, Michel Kafando, qui se dira «très réservé» et indiquera même n’avoir pas été consulté non plus par les médiateurs de la CEDEAO.
Un Comité africain de solidarité avec le Peuple burkinabè, comprenant des mouvements de la société civile du Sénégal et des partis politiques, notamment «Y’en a marre», Amnesty International, «Article 19», le Rassemblement national démocratique (RND), a tout aussi clairement rejeté l’initiative du président Macky Sall par la voix de Fadel Barro, coordonnateur du mouvement Y’en a marre, qui ajoutera même que la proposition d’accord est «lourde de menaces pour la paix et la stabilité du Burkina Faso et constituerait un précédent dangereux pour la sécurité des Peuples et la démocratie».
Pourtant le dit «projet d’accord de sortie de crise» demande d’emblée en ses articles 1, 2, 3 et 4, «la libération sans condition des personnalités détenues au cours des événements du 17 septembre», «la restauration des autorités de la transition avec Kafando comme président», «le retrait des militaires du gouvernement» et «la reprise du processus électoral avec les élections au plus tard le 22 novembre».
Le projet indique également que «la CENI (Commission électorale nationale indépendante) doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour la tenue de la nouvelle date» des élections et demande la «libération sans condition de toutes les personnalités détenues suite aux événements du 17 septembre 2015».
En fait ce sont deux des 13 points du projet d’accord qui ont posé problème. Il s’agit du point 8, qui indique que «les personnes inéligibles pourront prendre part aux élections», et du point 12 prônant «l’acceptation du pardon et de l’amnistie pour les conséquences liées à la présente crise». Ainsi Chérif Sy, Président du Conseil national de transition, considère le projet d’accord comme simplement inacceptable. Il dit : «Nous ne saurions cautionner un compromis indécent qui encourage l’impunité.»
Bénéwendé Sankara, chef de file des partis se réclamant de Thomas Sankara, déclarera quant à lui : «Aucune réconciliation n'est possible s'il y a une amnistie des putschistes… Les actes qui ont été commis ne peuvent pas échapper à la justice. (...) On a déjà demandé une commission d'enquête, car il y a trop de crimes qui ont été commis par le Régiment de sécurité présidentielle et on ne peut pas aller vers une négociation ou même vers une réconciliation nationale.»
Pourtant la CEDEAO ne pouvait faire moins que de demander la participation des partis jugés proches de Blaise Compaoré. D’abord parce que saisie après que le Conseil constitutionnel se fut déclaré incompétent, elle avait statué et déclaré dès juillet dernier que le Conseil national de Transition du Burkina Faso s’était rendu coupable d’une «violation flagrante des droits de l’Homme, des libertés d’opinion, y compris politique, notamment la liberté de participer aux élections et d’être élu».
En outre, il n’est quand même pas de la meilleure pratique démocratique d’exclure des citoyens jouissant de toutes leurs libertés d’un scrutin qu’on voudrait libre, équitable et transparent.
Il est étonnant que des militants de la démocratie, de la transparence et des droits de l’homme défendent un procédé digne des régimes de «démocratie populaire» et de «dictature du prolétariat» d’antan.
Quant à la demande d’amnistie pour le Général «long comme une sagaie Mossi» (Diendéré pour ne pas le nommer) et ses hommes, il aura soulevé encore plus d’hostilités. Or le pardon est souvent le moyen non seulement nécessaire mais indispensable aux médiations pour l’apaisement des conflits et la réconciliation ultérieure des partis.
Pourquoi accepter de négocier avec son ennemi si on sait que l’issue est une condamnation assurée à la peine maximale ? L’escalade n’est-elle pas alors une meilleure option ?
Les États-Unis et l’Union européenne envisagent désormais de négocier avec le Président Assad «une sortie de conflit» qui, en le gardant à la tête du pays au moins pendant une période transitoire, l’absoudrait de fait, lui qui avait été accusé de «crimes de guerre» et même de «crimes contre l’humanité». Comment comprendre dès lors le rejet massif et sans ambages du «projet de sortie de crise» de la CEDEAO par les Burkinabé et les Africains d’une manière générale autrement que par un désaveu des médiateurs ?
Ce n’est pas tant le contenu du «projet d’accord de sortie de crise politique» qui a été rejeté que les présidents Macky Sall et Bony Yayi, qui ont été désavoués !
Il y a aussi la manière dont les deux présidents ont conduit leur médiation : sans consultations véritables avec des acteurs clefs, sans observateurs et témoins indépendants, en tentant d’imposer leur seule vision.
Ce n’est pas la CEDEAO en tant qu’institution qui est en cause !
Il ne faut pas tirer sur la CEDEAO !
L’organisation régionale ouest africaine qui s’est dotée progressivement au cours des 15 dernières années de capacités et d’un cadre juridique et réglementaire approprié pour prévenir ou résoudre les conflits dans la région est un instrument indispensable pour le maintien de la paix et de la sécurité dans la région.
Elle a démontré récemment encore en Guinée et en Guinée-Bissau son savoir-faire en la matière.
Elle a besoin de toute sa crédibilité pour faire face aux crises susceptibles d’éclater à tout moment dans la région notamment au cours des élections qui se tiendront entre 2015 et 2016.
Il est vrai cependant qu’elle devra tirer les leçons de la crise du Burkina Faso et updater son logiciel de médiation de sortie de crise.
Ne devrait-elle pas bannir désormais cette pratique devenue rituelle d’envoyer les chefs d’Etat en médiateurs auprès de leurs pairs, dans les pays en crise ? Ne devrait-elle pas dorénavant plutôt placer les missions de médiation sous la conduite d’un Représentant spécial de la Commission et du représentant régional de l’Union Afrique, des technocrates, spécialistes de la gestion de crise et connaissant les personnels politique et de la société civile des différents pays de la région ?
Un deuxième enseignement pourrait être que l’on associe désormais aux médiations de sortie de crise, dès l’entame, certaines autorités traditionnelles et religieuses qui bénéficient encore de crédit auprès des «forces vives» dans les différents pays.
En effet c’est la médiation du Mogho Naba, qui aura finalement permis la sortie de crise, le 22 septembre dernier.
Alors que l’armée loyaliste avait encerclé la capitale, exigeant la reddition sans condition du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et que les éléments de celui-ci, repliés dans leur camp, menaçaient de faire face avec tout leur armement, le Roi des Mossi intervint. Il facilita alors un accord entre les deux partis qui fut immédiatement accepté par toute la classe politique, la rue et la société civile du pays sans pourtant revenir sur les questions qui avaient provoqué le rejet du projet d’accord du duo Macky Sall-Boni Yayi.
C’est que le Mogho Naba jouit du respect de tous, de la classe politique comme de la société civile.
On trouve dans tous les pays de la région de telles personnalités «traditionnelles» ou religieuses dont l’indépendance par rapport aux intérêts partisans et sectaires est connue et reconnue.
Autre leçon : le recours aux commissions Vérité et Réconciliation plutôt qu’à l’amnistie pure et simple.
Au Burkina Faso ce mécanisme aurait pu concerner toute la période du régime Compaoré et aurait permis au pays tout entier de faire son deuil des traumatismes de son histoire et notamment des meurtres de Thomas Sankara et de Norbert Zongo.
Le pardon et l’amnistie ne signifieraient pas alors négation de la justice, mais recours à une Justice dont la fonction ne serait que de reprendre le contrôle de son histoire dans la paix et l’unité.