LES PETITES ASTUCES DES CANDIDATS INDÉPENDANTS
LOCALES VENTE OU LOCATION SUPPOSÉE DE RÉCÉPISSÉS
L'interdiction faite aux candidats indépendants de se présenter aux élections locales est un terreau d'astuces et d'arrangements destinés à contourner une loi "insensée" et qui "fausse le jeu électoral".
Non autorisés par la loi à participer aux élections du 29 juin, les candidats indépendants et mouvements citoyens ont vite fait de trouver d'autres astuces pour contourner cette contrainte. Comme celle de s'entendre avec des partis politiques dûment reconnus pour franchir la barrière. Papa Kory Faye en est un exemple patent.
"Le récépissé d'un ami"
Président du mouvement Renaissance pour l'action citoyenne (REACTION), il s'explique. "Nous sommes un mouvement citoyen et nous voulons garder notre constance et notre logique, dit-il. On était obligé de nous plier à la loi électorale."
Le recours, ou plutôt le secours, il est venu d'une "formation qui ne s'est jamais activée sur la scène politique, en l'occurrence l'Union pour un mouvement progressiste (UMP) dont le leader est Déthié Ndiaye, un chef d'agence (d'une mutuelle) à Manko Pikine", confesse-t-il.
Tout en insistant sur l'absence de "location" du document. "C'est un ancien collègue qui a confiance en moi qui m'a prêté le récépissé de son parti sans demander aucune contrepartie'', précise-t-il. "Si cela ne dépendait que de nous, nous n'aurions utilisé aucun récépissé d'un quelconque parti politique'', ajoute-t-il.
Mame Coumba Diop a également été victime de cette contrainte électorale. Présidente du Mouvement des citoyens indépendants créé en 2004, elle a été obligée de se ranger derrière un parti politique pour se présenter aux élections locales dans la commune d'arrondissement de Dakar-Plateau.
''En 2002, nous avions eu la même contrainte et on était allé avec le Cpc (NDLR : Cadre permanent de concertation de l'opposition) en tant que citoyen indépendant. Pour les locales de juin, nous sommes dans la même coalition que les écologistes Res les Verts, l'Apr, Fekke ma ci boole, Evacom et on utilise le récépissé des écologistes et de And-Jëf", confie Mme Diop.
"Alliances contre-nature"
Ulcérée par cette situation "injuste", elle se lâche : "On ne peut pas demander à des personnalités indépendantes d'être candidats à la présidentielle et à la députation et les en interdire pour les élections locales. Cela n'a pas de sens alors que les locales sont l'instance primaire de développement social", affirme-t-elle avec force.
C'est à ce niveau qu'elle dit situer l'existence "des alliances contre-nature car on ne peut revendiquer de n'être dans aucun parti politique et aller en coalition avec des politiques''. Selon la présidente du Mci, "cela fausse le jeu électoral en ce sens que beaucoup de citoyens désavouent ou ne croient plus à la chose politique et ils ne peuvent se retrouver qu'avec des gens qui ont un programme citoyen".
Cheikh Tidiane Dièye (Mouvement Ci La Bokk)
“C'est la conséquence directe de l'interdiction du code électoral”
Des candidats indépendants "empruntent" ou "louent" des récépissés pour aller aux locales. Comment appréciez-vous cela ?
C'est une conséquence directe de l'interdiction du Code électoral. Même si je ne suis pas sûr que la location existe, je crois pouvoir dire que le prêt existe. Parmi les partis politiques qui défendaient la cause des candidatures indépendantes, il y en a certains qui ont bien voulu mettre leurs récépissés à la disposition des candidats indépendants sans aucune condition. C'était leur façon à eux de faire avancer cette cause.
L'initiative Ci la bokk qui faisait la promotion des candidatures indépendantes était portée par des leaders politiques du pouvoir comme de l'opposition qui croyaient en cette cause et qui pensaient que notre démocratie devait atteindre ce niveau.
Ceux qui devaient se charger de faire voter la loi, notamment les parlementaires et le président de la République, n'ont pas pris sur eux la responsabilité de faire un projet de loi. C'était tout à fait normal que ceux qui pouvaient aider les candidats indépendants le fassent.
Quelles conséquences tirer des pratiques constatées sur le terrain ?
Il faut qu'on pose bien le problème. De quel droit on peut interdire aux Sénégalais qui jouissent de tous leurs droits civiques et politiques de participer à une élection ? Je crois que le premier problème des élections locales à venir, c'est leur anti-constitutionnalité.
La constitution consacre la participation de toutes les catégories de la société à des élections. Maintenant, pour des raisons que seuls les politiciens sénégalais connaissent, par une stratégie savamment orchestrée pour écarter les compétences, les personnes qualifiées et vertueuses qui habitent les collectivités locales, qui ne
sont pas intéressées par les partis politiques mais qui aimeraient bien apporter leurs contributions au développement de leurs cités, ont été écartées de la gestion de la cité par les politiciens dont le seul but est de faire une sorte de mainmise sur les collectivités.
Cela nous a donné une multiplicité de listes qui n'ont aucune cohérence avec des coalitions contre nature et qui n'ont aucun projet politique. Ce sont juste des gens qui veulent aller mettre la main sur les ressources des collectivités et les traîner directement vers leurs propres poches, ou vers leurs partis politiques, leurs clients ou leurs courtisans...
Quelles solutions préconisez-vous face à une telle situation ?
Ce qu'il faut faire est très simple. Il faut changer la loi électorale sénégalaise qui est complètement contraire à la constitution du point de vue des élections locales, qui ne correspond plus à l'état de notre démocratie et qui est une violation flagrante des droits des citoyens sénégalais. Cette loi doit être changée.
Pour ce faire, nous avons travaillé sur un projet de projet de loi qu'on a mis à la disposition à la fois du président de la République et des députés. Il faut aller plus loin dans les réformes constitutionnelles à venir. Il faut définitivement trancher cette question. Si les indépendants peuvent participer à la présidentielle et aux élections législatives, ils doivent pouvoir participer aux élections locales.
Banlieue dakaroise
Jean-Paul Dias en prend pour son grade
“C’est un tissu de mensonges orchestré par un politicien en perte de vitesse et qui veut discréditer et briser l’élan des mouvements citoyens qui sont bien vus du côté des populations". C'est l'une des réactions que nous avons relevées auprès de leaders de mouvements citoyens issus de la banlieue après les propos du leader du Bcg sur la "location" de récépissés à laquelle des "partis minables" se livreraient au profit de "tristes sires où à des mouvements opportunistes, moyennant une contrepartie financière qui varie entre 500 000 et 1 million de francs Cfa" (voir notre édition d'hier).
Ne jugeant pas nécessaire de répondre à des "affirmations gratuites" et "dénouées de fondement", nos interlocuteurs qui ont requis l'anonymat ont appelé le Sg du Bcg à "fournir des preuves tangibles" de ce qu'il dit. Cette sortie de Dias s'explique par le fait que "son parti peine à voir la lumière du jour" face à des mouvements citoyens "généralement bien vus par les populations" et qui "font peur aux membres de la coalition Benno Bokk Yaakaar."
Selon l'un d'eux, "des études réalisées au niveau de la banlieue dont nous avons les résultats ont montré que cette coalition BBY va peiner pour dépasser la barre des 45% lors des élections locales du 29 juin 2014." Qualifiant le Bloc des
centristes Gaïndé de "parti dépourvu de représentativité politique", ces leaders clarifient : "Les mouvements citoyens n’ont même pas les moyens pour payer de telles sommes. Puisque la loi (leur) interdit d’aller sous la bannière de candidatures individuelles, il fallait qu’ils cherchent une alternative. Nous n'avons déboursé aucun franc, c’est des partis politiques biens connus du landernau qui nous ont donné leurs récépissés. Et gratuitement", a précisé un leader de mouvement.
Les quelques rares leaders de partis politiques interrogés n’ont pas voulu s’attarder sur "de tels propos" car "il n’y a pas de quoi fouetter un chat pour des paroles venant d'un type comme Jean Paul Dias".
À Rufisque
Les partis politiques, des samaritains intéressés
Pour se présenter aux élections locales, beaucoup de leaders ont été obligés d'"emprunter" où de se faire héberger face à l'absence de récépissés qui leur sont propres. Parmi ce beau monde, on peut citer le responsable principal de la coalition "Jappo Taxawu Sa Gox", d'Alioune Seck, principal adversaire d’Homère Seck, beau-père du président de la République.
Membre du parti présidentiel, Alioune Seck s’est allié avec Mame Astou Guèye, une ancienne ministre de la République sous le président Abdoulaye Wade, Amadou Sène Niang (Ads garap gui) et d’autres mouvements.
Pour le président de Ads, également spécialiste de la décentralisation, "la coalition était obligée de manière formelle de présenter au moins deux récépissés de partis pour être validée au niveau de la préfecture. C’est ce que recommande le code électoral. Un mouvement ne peut pas fonder une coalition".
Pour cette raison, fait-il remarquer, "notre coalition est partie avec le récépissé du parti Espoir/Yaakaar (dirigé par Mor Dieng), et d’Initiative démocratique Jubal, sans aucune monnaie d’échange", précise-t-il.
Il y a également le cas du maire de Diamniadio, Moulaye Guèye, qui a mis en place sa propre coalition afin de se succéder à lui-même, après avoir été écarté par l’Apr qu'il avait rejointe au lendemain des législatives du 1er juillet 2012. C'est donc avec la coalition "Jappo and ak Moulaye" composée des partis Arc (du maire de Rufisque Badara Mamaya Sène) et Rewmi, qu'il a pu se procurer les récépissés de ces formations politiques.
Selon le porte-parole du maire de Rufisque, donner son récépissé n’est pas illégal. On peut donner ce document de manière amicale pour aider un candidat à se présenter aux élections. Vous n’êtes pas sans savoir qu'avec 18 listes à l’Est, 19 à l’Ouest et 18 autres au Nord, toutes ces coalitions ne peuvent pas être issues de partis politiques", d'où l'obligation pour les responsables de mouvements citoyens de "trouver les voies et moyens pour se présenter aux élections avec le soutien des partis politiques qui, eux, n’ont pas les moyens de se présenter aux élections", a indiqué Ass Mamoune Sèye.
Chez Doudou Meïssa Wade, les récépissés qui lui permettront d'aller aux locales n'ont pas été obtenus après un deal. Pour le prouver, il affirme en détenir quatre par devers lui. Il s’agit "du Rp de Serigne Mamoune Niasse, du Model de Ibrahima Sall, de l’Action démocratique sénégalaise de Bitèye et du Pld Nioloor Gui", confie-t-il, avant d'ajouter que ces partis-là "ne lui ont rien imposé". "Ils m’ont donné à cœur ouvert leurs récépissés. Pour vous dire que cela n’a pas été monnayé."