LES PISTES DE LA DISCORDE
POLÉMIQUE ENTRE L’ÉTAT ET CÉSAR ATOUTE BADIATE À PROPOS DES PROJETS DE DÉVELOPPEMENT
Le développement de la Casamance reste en partie, suspendu à l’érection de pistes de production, dans certaines zones de la localité, pour surtout faciliter le mouvement des populations locales. Il faut dire que ces fameuses pistes, qui alimentent la polémique depuis quelques temps, sont au nombre de quinze au total, financées en grande partie par l’Usaid. Du côté rebelle, l’on indique que seules deux pistes ont fait l’objet d’un accord entre l’Etat et le Mfdc, ce que l’Etat a semblé démentir en estimant que les pistes exploitées ne violent en aucun cas, la tranquillité d’aucune faction rebelle.
L’histoire des pistes de production de la Casamance pollue l’atmosphère entre l’Etat du Sénégal et les combattants favorables à César Atoute Badiate. Dans cette affaire, chacune des deux parties croit être en mesure de fixer les règles du jeu. Ce qui n’est pas du goût des bailleurs de fonds, qui ont mobilisé l’argent de leurs contribuables, pour aider au développement de la région verte de la Casamance.
Le Quotidien a obtenu de certaines sources très informées sur le conflit casamançais, des informations selon lesquelles il a été obtenu un accord entre l’Etat du Sénégal et le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) sur la construction de deux pistes uniquement.
Il s’agit de la piste Adéane-Kagnaka qui fait 6 km et celle de Sindone– Yabon-laty qui fait 14 km. Selon nos interlocuteurs, ce sont des localités où il n’est pas noté la présence de cantonnements militaires, le long des pistes citées ci-dessus.
D’ailleurs les dites pistes sont actuellement en pleins travaux de construction et la livraison est annoncée dans un court délai.
Toujours à propos de ces pistes, elles sont en réalité au nombre de quinze, dont treize financées par l’Agence américaine de coopération (Usaid). Ces pistes sont : Agnack – Boutoupa camaracounda (18 km), Boutoute-Boulom-Soukouta (10 km), Diagnon–Bissine (10 km), Djifanghor-Kitor-Boulom (6 km), Adéane-Kagnaka (6 km), Baghagha-Gonoum (4 km), Kaour- Singher-Mangacounda (10 km), Goudomp-Bindaba (10km), Sindone–Yabon laty (14 km), Djibanar-Kolonia-Bafata (20 km), Simbandi balante- Paris-Missira safane (10 km), Yarang Balante– frontière (2 km) et Rn6-Bondali- Darsalam safane longue de 10 km. Les deux pistes restantes à savoir Siganar-Effoc-youtou et Agnack- Pouboss également longues de près de 10 km chacune, sont elles, sous-financées par la Coopération allemande.
Pour tout le reste, ce ne sont pas à proprement parler des pistes, mais des voies qui vont de la Route nationale N°6 à la frontière avec la Guinée Bissau, dont certaines aboutissent à des environs pas trop éloignés des positions et cantonnements du Mfdc.
Le mouvement rebelle dit aussi, selon nos sources, que construire ces pistes sans accords de paix contribuera à fragiliser ses positions, du fait de la présence de l’Armée, le long de toutes ces pistes et cela jusqu’à la frontière.
Tout compte fait, nos sources renseignent que César Atoute Badiate est favorable à l’exécution de projets de développement en Casamance, mais seulement dans les zones les plus stables, en attendant les négociations avec l’Etat du Sénégal.
Pour le combattant en chef de l’une des branches armées du Mfdc, le départ de l’Armée ou l’engagement écrit et signé de l’Etat sur la liberté de circulation des personnes et des biens comme préalable à la levée du blocus sur le déminage et la construction des pistes dans les zones proches de la frontière avec la Guinée-Bissau est indispensable, tout en invitant les bailleurs de fonds à investir sur les pistes intérieures où la situation est plus stable.
Aussi, l’on apprend que César Atoute Badiate demande aux acteurs impliqués dans la recherche de la paix, de tout faire pour préserver l’accalmie précaire qui prévaut en Casamance
RENÉ COPAIN BASSÈNE, ÉCRIVAIN ET OBSERVATEUR DU CONFLIT CASAMANÇAIS
''LA VÉRITÉ SUR LA DÉCISION DE CÉSAR DE NE PAS LAISSER PASSER LES PISTES DE PRODUCTION…''
René Capain Bassène, journaliste, observateur de la crise en Casamance et auteur du premier livre sur l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor vient jeter un coup de projecteur sur la polémique entretenue depuis quelques semaines, dans ce qui est convenu d’appeler : «César Atoute Badiate et les pistes de production de la Casamance.» Pour cet observateur, très au fait du conflit casamançais, les vraies raisons du refus catégorique de César Atoute Badiate, de laisser construire des pistes de production et de laisser poursuivre les opérations de déminage en Casamance ne sont pas dites. Lui, qui dit bien connaître ces raisons, nous les livre dans cet entretien, qu’il a accordé au journal Le Quotidien, hier.
Quelle lecture faites vous du refus catégorique de César Atoute Badiate, de laisser construire des pistes de production ainsi que de refuser la poursuite des opérations de déminage en Casamance ?
Il y a eu beaucoup de supputations autour de ce sujet. Mais ce que je peux dire à cet effet, est que César Atoute Badiate n’a pas opposé un refus catégorique à la construction des pistes et à la poursuite des opérations de déminage.
Il a seulement posé des conditions préalables et dont certaines sont assez difficilement acceptables et réalisables. A tous les acteurs qui ont été le rencontrer à ce propos, il leur a servi des réponses invariables, que je considère comme les principaux et réels fondements de sa décision.
César Atoute Badiate a dit ceci : «Le processus de paix n’a pas encore atteint un degré où nous pouvons accepter la construction d’infrastructures dans certaines localités proches de la frontière. Ces pistes ne pourront pas être construites, tant qu’il n’y a pas d’accords de paix signés ou d’engagements pris par l’Etat du Sénégal, sur la question de libre circulation des personnes et des biens, tant que l’Armée garde toujours ses positions tout le long de ces mêmes pistes jusqu’à la frontière.
Cette présence de l’Armée témoigne que nous ne sommes pas à la fin du conflit. Et la construction de ces pistes va leur donner une facilité de déplacement ce qui pourrait nous fragiliser.
Cela représente également un danger pour les populations qui vont se retrouver entre deux feux à savoir en amont la présence de l’Armée et en aval celle de nous autres combattants.
Qu’adviendra t-il pour elles en cas de reprise des hostilités ?
A coup sûr, des mines seront posées par chaque camp au niveau de ces pistes en cas d’affrontements pour bloquer la progression de l’ennemi ?
Qui en sera le responsable, si elles font des victimes civiles ? Dans ce cas, à quoi serviraient les financements ayant abouti à la construction de ces pistes ? Que deviendront ces pauvres populations ? Ne seront-elles pas contraintes à s’exiler à nouveau ?»
Voilà exactement ce qu’il a répondu à tous ces gens qui sont venus lui parler de son refus de laisser passer les pistes de production dans ses bases.
Pour ce qui est du déminage, le discours est le suivant et je le cite toujours : «Les opérations de déminage ont atteint la limite accordée et que le Mfdc a baptisé ligne rouge. Elles ne pourront plus continuer tant qu’il n’y a pas d’accords de paix, parce qu’en cas de reprise des hostilités, nous autres combattants mais également l’Armée, seront amenés pour assurer notre protection contre l’ennemi, à poser des mines sur des terrains déjà déminés.
Ce qui réduirait comme peau de chagrin, tous les financements et efforts fournis dans le déminage. Vous voyez que je ne suis donc pas contre les projets de développement en Casamance. Les gens ont mal interprété mes propos.
Je crois qu’à l’état actuel de la situation, on ne peut pas entreprendre des actions de développement dans certaines localités sans discussions ni engagements préalables de la part des parties en conflit.
Par contre, nous encourageons les bailleurs à investir dans les zones plus stables où les populations sont sur place et où il y a encore un immense besoin en construction de pistes de production.»
Vous, qui êtes très au fait de ce conflit, comment trouvez- vous les positions plus ou moins radicales de César Atoute Badiate ?
Pour ma part, je ne vois honnêtement pas l’urgence de construire les pistes, dont il est question, parce que pour la plupart, elles traversent des localités où les populations pour la grande majorité sont encore réfugiées ou déplacées.
En attendant que le processus ne connaisse une évolution, je suis d’accord avec ceux qui souhaitent que les bailleurs réorientent leurs projets vers d’autres localités moins problématiques au grand bénéfice des populations.
Que préconiseriez-vous alors comme solution à cette situation ?
Je ne peux que demander aux acteurs impliqués dans la recherche de la paix en Casamance de privilégier le dialogue pour ce qui concerne ce problème des pistes et de tout faire pour préserver au mieux, cette précaire accalmie que nous sommes en train de vivre, depuis quelques années.
Je tiens à préciser sous le rapport de cette accalmie, qu’elle n’est le fruit d’une quelconque médiation ou d’un quelconque accord de paix entre les parties en conflit.
Cela, en attendant que les deux parties s’engagent dans des négociations afin de sortir la Casamance de cette situation de ni guerre ni paix. Ce qui permettra d’entreprendre sans contrainte, toute action de développement.