VIDEOLES POMPES, ARME POLITIQUE
Laissons le président Macky Sall faire le pompier à Ouagadougou en compagnie de deux de ses camarades du syndicat des présidents africains pour nous pencher sur la pompe, le soulier, la ballerine, l’escarpin, la bottine.
Ne ricanez pas déjà en levant les yeux au ciel, ces pompes parlent aussi de politique, la font et surtout la défont. Si je vous dis lancer de chaussures sur Georges Bush ou sur Hillary Clinton, vous rigolez déjà moins. Si je vous rappelle que les souliers de luxe du conseiller du président Hollande, le "petit marquis" Aquilino Morelle, l’ont fait limoger brutalement de l’Elysée...
Que tous les ans, sur la place de la Concorde, une montagne de milliers de chaussures jetées là par les Parisiens rappellent que des millions de personnes sautent sur des mines dans le monde comme dans la si proche Casamance, plus personne ne pense à se taper les cuisses.
Heureusement que les 2700 paires d’escarpins de la fameuse Imelda Marcos des Philippines ramènent un peu de légèreté à ce grave sujet. Je vous épargnerai les talonnettes du "petit Nicolas" Sarkozy, quant à celles de Bongo il y a prescription car on ne dit pas du mal des morts en Afrique.
De l’Asie à l’Afrique en passant par les Amériques et la vieille Europe, la chaussure est un véritable phénomène de société et une arme politique. Le 11 octobre 1960, un soulier vient frapper rageusement le pupitre de l’Assemblée Générale de l’ONU. C’est le "petit père des nations" soviétiques, le président Nikita Khrouchtchev, connu pour ses excès de colère, qui exprime ainsi sa désapprobation contre le représentant des Philippines Lorenzo Sumolong. Ce dernier venait de critiquer à la tribune la politique internationale de l’Union Soviétique, ce qui était après tout son droit.
Après ce geste légèrement inapproprié, le dirigeant soviétique en a rajouté un paquet devant une Assemblée impassible, en traitant le Philippin de "crétin, larbin et laquais de l'Impérialisme". Une phraséologie tout à fait normale à cette époque de la Guerre Froide, qu’aucun ex-communiste n’oserait plus employer aujourd’hui tellement c’est convenu, sauf le très old fashion camarade du Che et amateur de barreaux de chaises, Fidel Castro.
Hélas, Instagram, Twitter, Facebook, Pinterest et j’en passe n’étant pas encore nés dans la tête de leurs inventeurs, ni eux-mêmes n’étant pas encore l’ombre d’une larme dans le coin des yeux de leur papa, aucun cliché n’a été pris de l’incident. En avance sur la presse people trash, plusieurs médias de l’époque avaient publié une fausse photo, où la chaussure avait été ajoutée par montage.
Quittons le building des Nations Unies pour les chaussures d’Imelda Marcos. A Manille, les milliers d’escarpins de l’épouse du dictateur Ferdinand Marcos sont devenus le symbole d’un régime se prélassant dans le luxe pendant que la majorité du peuple philippin pouvait à peine se nourrir. Comme en Afrique, les caisses de l’État permettaient à l’épouse du dictateur de s’offrir les plus grandes marques parisiennes de luxe (Chanel, Givenchy, Dior…).
Chassés du pouvoir en 1986, les Marcos furent contraints à l’exil à Hawaii et Imelda partit hélas sans ses 2700 souliers mais seulement chaussée de ses espadrilles noires. Bon prince, le peuple philippin la laisse rentrer au pays en 1991. Et en 2012, l’intrépide collectionneuse inaugure, dans la banlieue de Manille tout de même, un musée de la chaussure, où quelques unes de ses chaussures sont exposées, notamment les fameuses espadrilles noires …
Puis un 15 janvier 2009, la postérité retient que le premier lancer mondial de chaussures immortalisé par la presse internationale a eu lieu. C’est un journaliste irakien, vite maîtrisé par la sécurité et par ses collègues dépités par le manque d’hospitalité d’un des leurs, de son nom Mountazer al-Zaidi, qui lance la mode en jetant ses souliers à la figure du président Georges W. Bush.
Joignant le geste à la parole, al-Zaidi hurle à la face de Bush "c’est le baiser de l’adieu, espèce de chien !", et l’accuse d’être responsable de la mort de milliers d’Irakiens. Ce qui n’est pas faux, avec sa légende de stock d’armes à destruction massive jamais retrouvé, mais tout de même. Depuis ce moment mémorable, le "jeter de souliers" est devenu le symbole d’un cri de colère, voire d’une insulte dans le monde arabe.
En 2011, en plein Printemps arabe, les opposants anti-gouvernementaux agitent leurs chaussures place Tahrir au Caire pour exiger le départ d’Hosni Moubarak, dictateur depuis 29 ans. Comme l’explique au "Point" Ghislaine Alleaume, directrice de l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, "ce n'est pas tant la chaussure qui est montrée que sa semelle, c'est-à-dire la partie souillée, sale, de l'accessoire". A cause de son contact direct avec le sol, la semelle est considérée comme impropre, donc toucher une personne avec revient à l’insulter et brandir une chaussure symbolise le plus grand des mépris.
Après George W. Bush, l’ancienne Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a reçu elle aussi une chaussure-projectile en avril 2014, lors d’une conférence. Comme Bush auparavant, elle aussi réussit à éviter le symbole de contestation.
Mais l’histoire ne dit pas si, parmi les autres cibles, le Français DSK en octobre 2009 alors qu’il est patron du FMI, le Premier ministre chinois Wen Jibao, lors d'un discours à Cambridge en mars 2009 ou encore le ministre français de la Recherche Valérie Pécresse, souffre-douleur des enseignants-chercheurs en janvier 2009, ont réussi l’évitement post-lancer.
Amateur de souliers de luxe, ce proche conseiller politique de François Hollande a dû démissionner, de mauvaise grâce qui plus est, de ses importantes fonctions, en avril 2014, suite aux révélations de Mediapart. D’après le site internet, le "petit marquis" Aquilino Morelle aurait fait privatiser, à deux reprises, un salon de l’hôtel de Marigny pour y recevoir son cireur personnel de chaussures.
À l’heure de la revendiquée présidence "normale" et des cures d’austérité, cette affaire a révélé le divorce entre l’élite politique, qui vit sur un grand train de luxe, et le commun des Français, qui doit se serrer la ceinture… lorsqu’il en trouve une.
En août 2014, les internautes turcs ont posté en masse des photos de leur chaussure sur les réseaux sociaux en soutien à la députée Aylin Nazliaka, qui dénonçait au Parlement les discriminations envers les femmes. Cette élue progressiste avait en effet menacé de jeter ses chaussures à la figure des députés de la majorité conservatrice au pouvoir en Turquie, accusés de vouloir restreindre les droits des femmes.
"Je le jure devant Dieu, le diable qui est en moi me demande d'enlever une de mes chaussures et de vous la jeter. Mais lorsque je les regarde, ma chaussure et vous, je me dis que vous n'en valez vraiment pas la peine", avait-elle alors déclaré. Très drôle et spirituel en plus.
Amasser le plus de chaussures et en faire des pyramides est le moyen de communication qu’a trouvé Handicap international pour dénoncer les ravages des mines antipersonnel, qui blessent ou mutilent une personne toutes les deux heures dans le monde, dont chez nous au Sénégal en Casamance ne l’oublions pas.
Depuis 1995, ce rendez-vous annuel de l’ONG a lieu dans plusieurs villes de France et d’Europe. Après cette lecture, la prochaine fois que vous regarderez vos chaussures, vous les verrez avec d’autres yeux. Comme moi après la lecture de l’excellent "shoe week : la chaussure, étonnante arme politique" (P. Pélissier, 2014).