LES PRÉCAUTIONS À PRENDRE AVEC LE CODE DES MARCHÉS
ABDOULATIF COULIBALY, MINISTRE DE LA PROMOTION DE LA BONNE GOUVERNANCE ET PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT
Le ministre en charge de la Promotion de la Bonne gouvernance et des Relations avec les institutions, par ailleurs Porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, est revenu, dans cet entretien, sur l’esprit qui a prévalu à la création de son département ministériel et sa mission dans l’appareil d’Etat. Invité de la Rédaction, le ministre a été accueilli par le directeur général du "Soleil", Cheikh Thiam, et le coordonnateur général des Rédactions Ibrahima Mbodj. Il a aussi abordé les actions que le gouvernement du Sénégal est en train de mener pour que la bonne gouvernance soit érigée en règle dans la conduite de l’action publique. Il a, par ailleurs, abordé les réformes futures envisagées par le gouvernement du Sénégal pour plus d’efficience dans l’action publique.
Quel est le rôle du ministère en charge de la Promotion de la Bonne gouvernance au sein du gouvernement ?
Ce département ministériel est rare. Il n’en existe que deux en Afrique : au Botswana et en Afrique du Sud. Les questions de gouvernance n’ont jamais été des préoccupations majeures formelles, pour les gouvernements. Même si par ailleurs, on avait souvent le pacte de l’efficience et de l’efficacité gouvernementale et des structures qui lui sont rattachées, il n’a jamais été envisagé, que l’on pouvait passer d’un concept à une institutionnalisation, en faisant de la bonne gouvernance une institution d’Etat. C’est ce que le président de la République a fait aujourd’hui.
Il y a d’abord un fondement constitutionnel, parce que la constitution du Sénégal de 2001, affirme le principe clair que le gouvernement du Sénégal et le peuple sénégalais, ont fait le choix de la bonne gouvernance dans la conduite des affaires publiques de façon vertueuse. Il y a également des fondements politiques.
Quand le président de la République a quitté le Parti démocratique sénégalais (Pds), le 1er décembre 2008, il a pris l’engagement, qu’au cas où il arriverait au pouvoir, il ferait de la gouvernance vertueuse, un axe fondamental de sa politique.
La question n’a pas concerné seulement le Sénégal. Tous les Etats africains, ont fait face, dans la conduite de leur politique, à des questions liées à la bonne gouvernance. La gestion vertueuse a une connotation éthique et morale, mais au-delà, a une connotation d’efficacité et d’efficience. Efficacité : il faut atteindre les objectifs assignés au secteur public. Efficience : il faut dépenser moins d’argent et obtenir le plus grand nombre de résultats.
Depuis 1996, cette option a été clairement signifiée par le président de la République, Abdou Diouf qui disait, à l’époque, «moins d’Etat et mieux d’Etat».
Cette formule apparemment lapidaire, avait une signification majeure, du point de vue des changements des mentalités et des nouvelles perspectives, dans la conduite des politiques publiques. Le président Abdou Diouf l’avait expérimenté à l’époque. J’étais membre de la commission mise en place chargée de réfléchir sur ces questions pour déterminer une nouvelle politique de la gouvernance au Sénégal.
Malheureusement, les conclusions qui ont été arrêtées après les travaux, n’ont jamais été appliquées par le pouvoir qui est venu après les socialistes. Ce n’est pas une critique, c’est un constat.
Ensuite, le président de la République, Abdoulaye Wade a, lui-même, engagé la même politique de gouvernance à travers ce qu’il a appelé le Programme National de Bonne gouvernance au Sénégal (Pnbg), qui a donné naissance à un important programme de mise en œuvre de nouvelles politiques de gouvernance à la fois dans l’administration et dans le secteur privé.
Le président de la République, Macky Sall, quand il est arrivé, a non seulement mis en place le ministère en charge de la Promotion de la bonne gouvernance, mais aussi, a posé des actions concrètes. Il est en train de faire en sorte que, ce qui se disait théoriquement, soit matérialisé concrètement.
Quels sont les actes posés allant dans le sens de la promotion de la bonne gouvernance ?
D’abord, l’annonce de la réduction du mandant de deux ans fait partie de ces actes. C’est une façon de crédibiliser davantage la démocratie sénégalaise, de la rendre plus vivante, plus ouverte et plus adaptée aux réalités, que nous vivons actuellement. Il faut également souligner la déclaration de patrimoine du président de la République.
Nous avons supprimé beaucoup d’agences et de directions dans le souci de rendre beaucoup plus efficace et efficiente l’administration publique, à la fois dans la structuration, dans la composition et dans la mise en place des entités qui doivent conduire les politiques publiques.
L’audit physique de la Fonction publique et la réforme fiscale constituent également des actes de bonne gouvernance au sein de l’Etat. Nous avons aussi rationnalisé les lignes téléphoniques et limité le train de vie de l’Etat.
Le ministère que je gère a la responsabilité de promouvoir tous les actes de bonne gouvernance et également, au besoin, de dénoncer, auprès de qui de droit, les mauvaises orientations mais surtout de faire de l’éducation de masse, en vue de favoriser les comportements de bonne gouvernance et surtout de renforcer les capacités citoyennes pour que la bonne gouvernance soit une question prise en charge par les citoyens.
Sur quoi allez-vous vous fonder pour dérouler la stratégie qui favorise la promotion de la bonne gouvernance ?
Une stratégie de bonne gouvernance a été adoptée le 11 juillet 2013 par le Conseil des ministres. Cette stratégie est composée de sept axes : l’intégrité publique, le renforcement et l’indépendance de la justice, l’efficacité dans l’administration de la justice, dans les secteurs stratégiques de l’éducation et de la santé, des mines et également l’éducation citoyenne pour l’appropriation de la bonne gouvernance.
Il y a une autre dimension fondamentale qui est le développement des structures de prise en charge de la bonne gouvernance, au sein des régions. Voilà, entre autres, comment nous voulons opérer, au ministère, pour faire en sorte que le travail de promotion soit un travail effectif sur le terrain et que toutes les entités territoriales soient concernées par ces politiques. Ceci va dans le sens de ce que le chef de l’Etat appelle la territorialisation des politiques publiques.
Est-ce que l’objectif visé par le ministère en charge de la Promotion de la bonne gouvernance est de promouvoir l’image du Sénégal à travers des instruments comme l’Armp, l’Ofnac, etc., ou de promouvoir le civisme ?
C’est l’action qui promeut une image. La communication, détachée de l’action n’a aucune signification. Autrement dit, il ne faut jamais penser que la communication suffit à elle seule pour faire en sorte que l’image du gouvernement du Sénégal soit bonne. Ce que nous allons promouvoir, ce sont les bonnes pratiques. Il faut savoir que la bonne gouvernance ne concerne pas que l’autorité publique. Elle concerne également le secteur privé. J’ai visité tout à l’heure l’imprimerie du "Soleil" avec le directeur général [Ndlr: Cheikh Thiam].
Avant de mettre en route la machine, ils ont audité le système électrique et l’ensemble du circuit de refroidissement de la machine. C’est pour éviter que cette machine qui doit avoir une durée de vie de 30 ans, ne se détériore au bout de 15 ans. Ils ont posé des actes d’efficience et d’efficacité dans la conduite de l’action publique ici au "Soleil".
Ma responsabilité en tant que ministre en charge de la promotion de la bonne gouvernance, c’est de multiplier ces actes à travers toutes les imprimeries de l’Etat du Sénégal et même des imprimeries du privé. Autrement dit, il faudrait que ce qui est fait au "Soleil" soit érigé en une règle de conduite générale et qu’on puisse la faire connaître. L’idée de promotion de bonne gouvernance intègre, mais dépasse largement la notion d’intégrité publique.
Malheureusement pour nous, quand on parle de promotion de bonne gouvernance, on s’en tient à l’aspect sanction pénale qui réprime des gens qui ont de mauvais comportements du point de vue de la gestion. Il faut faire en sorte que les bonnes pratiques soient connues, encadrées et multipliées partout dans la conduite de l’action publique. La promotion de l’image du gouvernement du Sénégal, c’est à la fois l’existence de l’Ofnac, la réforme de la Cour des comptes etc. Et que tout ce qui est fait par ces institutions soit connu, intégré. Même ceux qui ne gèrent pas doivent poser des actes et avoir des comportements qui vont dans le sens de la bonne gouvernance.
Je suis heureux de constater que cette réunion [l’interview], qui devait démarrer à 16 heures, a démarré à 16 heures 05 mn. C’est un acte de bonne gouvernance qu’il faut promouvoir et non de parler de gestionnaire en terme de gestion. La promotion de la bonne gouvernance dépasse ce cadre. La gestion n’est qu’une infime partie de la promotion de la bonne gouvernance.
Est-ce qu’il n’était pas plus pertinent d’adresser les demandes de déclaration de patrimoine à ceux qui gèrent des budgets d’investissement ?
On ne calcule pas en fonction de la destination de l’argent public. Celui qui gère les salaires peut décider de prélever sur chaque salaire 20 Fcfa. S’il paye 120 000 salaires, c’est beaucoup d’argent et personne ne s’en rendra compte. Cette personne fait de l’enrichissement illicite dans ce cas. Il suffit simplement d’administrer de l’argent publique pour qu’on considère qu’à priori, ça peut être source d’enrichissement illicite.
Ce que le gouvernement a choisi de faire, c’est de mettre dans la loi des dispositions qui permettent de saisir les personnalités concernées en fonction du volume d’argent qu’ils gèrent et qu’il y ait un effet réel par rapport à la déclaration du patrimoine. L’Ofnac sera à même de contrôler l’exactitude des déclarations qui sont faites.
Toutefois, il faut signaler que cette structure ne dispose que de 12 membres et la déclaration de patrimoine n’est pas sa fonction première. Sa mission est de lutter contre la fraude, la prévarication, la concussion et la corruption. La déclaration de patrimoine à une fonction pédagogique, d’éducation et de crédibilisation des hommes politiques. Il faut s’attacher à ces visions plutôt que dans celle répressive de la chose.
Que comptez-vous faire pour que la promotion de la bonne gouvernance ne soit pas simplement perçue comme le bâton, la répression contre les dirigeants du secteur public ?
Je comprends que beaucoup de Sénégalais, dans leur esprit, considèrent que l’idée de bonne gouvernance, c’est de lutter contre la prévarication et la corruption. Parce que ces fléaux ont tellement fait de mal qu’aujourd’hui quand on en parle, les gens se focalisent sur ces aspects. Ils oublient que ce qui est à la base de cette situation, est un manque de cohérence dans l’organisation et dans la mise en place du service de manière générale.
Quand on structure une entité administrative autour d’une personne et que cette personne est plus déterminante que les règles, on arrive forcément à cette situation. Il faut, dans l’idée de promotion, que la règle soit le fondement de l’action, et non le fait que la personne soit le fondement de l’alpha et de l’oméga de l’action publique. Il faut que les dirigeants soient soumis aux règles pour que celles-ci ne soient pas uniquement faites pour les autres. C’est dans cette perspective qu’on réussira à mieux asseoir une bonne gouvernance.
Mais c’est la chose la plus difficile. C’est pourquoi les Américains disent « nous ne voulons pas un Etat des hommes, mais un Etat des lois ». Toute la bataille de la bonne gouvernance, c’est qu’on fasse de la norme, la boussole de la conduite de l’action publique. La norme acceptée, celle qui émane de l’Assemblée nationale et du pouvoir réglementaire.
La promotion des valeurs civiques est un mécanisme par lequel, on mettra en œuvre la bonne gouvernance. Mais elle ne se résume pas en cela. Tout le monde doit respecter les valeurs civiques auxquels nous adhérons. Mais naturellement, tout le monde ne le fait pas. Si les autres ne le font donc pas, il doit y avoir des normes et des contraintes qui les y obligent : c’est la loi, le règlement, la loi éthique, la loi déontologique, l’éthique, la déontologie etc.
Tout cela, mis ensemble, permet d’aboutir à une gouvernance vertueuse, efficace et efficiente. C’est là le challenge et le défi. C’est pourquoi on parle de ministère de la Promotion de la bonne gouvernance. Dans la notion de promotion, il y a l’idée d’éducation, de sensibilisation et de formation. Nous avons une importante direction chargée de l’éducation citoyenne et de l’appropriation de la gouvernance.
Que peut-on attendre de votre ministère sur la question des marchés de gré à gré ?
Mon ministère ne peut pas intervenir dans ce domaine. Il y a déjà des structures qui s’y activent. Par contre, ce que mon ministère fait, c’est de faire comprendre aux uns et aux autres que les normes qui sont prescrits dans le code des marchés doivent être respectées.
C’est ce qu’on appelle l’intégrité publique. Le troisième axe de la stratégie nationale de bonne gouvernance est intitulé le respect de l’intégrité publique. L’intérêt public et intégrité publique s’entendent au sens large du terme : c’est le respect de la norme, de la loi, du règlement, des codes éthiques et déontologiques au sein de l’administration. Nous devons promouvoir cette idée. En revanche, si la norme n’est pas respectée, il existe un organe chargé d’auditer cela.
On n’a pas besoin de faire venir une autre entité qui va venir encombrer davantage l’espace. Notre responsabilité, c’est d’expliquer aux Sénégalais qu’il y a une illusion qui s’est créée autour de cette question pour dire qu’il y a plus de marchés de gré à gré maintenant. C’est inexact. Première précision, la marge de tolérance acceptée dans les institutions internationales, c’est dans l’ordre de 20 à 22% dans l’ensemble des marchés publics.
Deuxième précision, le marché de gré à gré est un marché légal. C’est ce qu’il y a derrière qui peut poser problème. Il est prévu par le code des marchés publics. C’est moins le principe de gré à gré qui est condamnable, que ce qu’il permet de faire. Une liberté dans le choix du fournisseur qui conduit souvent à des compromissions de l’agent public.
Il faut savoir aussi que toutes les procédures des marchés publics peuvent donner lieu à des compromissions. Le plus important, ce sont les comportements et les attitudes des uns et des autres. C’est vrai que ce que le gré à gré favorise comme dérives est plus important que les appels d’offres. Pour autant, ces derniers ne sont pas exempts de tout reproche. Quand on est arrivé, en 2012, les marchés de gré à gré, tels qu’ils ont été répertoriés étaient de 20%. L’année dernière, ils étaient de 21%. Ils ont atteint des sommets records avant 2012, c'est-à-dire jusqu’à 30%.
Ce qui avait conduit, en 2011, à toutes les dérives budgétaires que nous avons vécu. Il ne faut pas aussi que le code des marchés publics soit un goulot d’étranglement pour la conduite de l’action publique. Il y a des réformes qui sont nécessaires et il faut les faire avec courage et détermination dans l’esprit du code.
C'est-à-dire sauvegarder l’intégrité des marchés publics et des deniers publics. Les réformes qui sont envisagées seront faites dans ce sens. Elles sont conduites sous le double sceau du respect de l’intégrité des marchés publics et de la sauvegarde des deniers publics, mais avec le maximum d’efficacité dans les procédures.
Vous avez installé, il y a quelques semaines, des cellules dans les régions. Qu’en est-t-il du démarrage de ces cellules ?
La cellule de Tambacounda va démarrer dans deux semaines ses activités sur le terrain. En l’absence d’entités régionales du ministère, ces structures vont permettre, dans des cadres inclusifs (société civile, Etat, structures techniques de l’Etat etc.) de collaborer pour engager toutes les actions nécessaires de promotion de bonne gouvernance régionale, départementale et même locale. Une deuxième étape suivra avec la mise en place de centres intégrés de gouvernance. Des citoyens interviendront dans ces centres pour mettre l’administration en phase de ces responsabilités en cas de mauvaise gouvernance ou de délit dans la gouvernance.
Vous êtes candidat à la mairie de Sokone. Mais nous savons que la route Kaolack-Sokone est dans un mauvais état depuis des années. Ensuite, Sokone manque presque de tout. Sur quoi comptez-vous vous appuyer pour convaincre les Sokonois de voter pour vous ?
Cette route est en mauvais état depuis 1998. Lors des élections législatives de cette même année, les jeunes de Sokone avaient décidé de barrer la route et avaient menacé de ne pas participer aux élections locales. En 2000, ils ont repris le même slogan. C’est avec le président Macky Sall que la requête qui a été présentée à l’Union européenne a été acceptée. Cette requête était un financement de 9 milliards de Fcfa, signé le 31 décembre 2012. C’est en 2013 que la route devait être faite.
Mais malheureusement, nos partenaires de l’Union européenne ont posé des conditionnalités telles qu’on n’avait du mal à démarrer les travaux. L’étude technique a été faite et est en train d’être reprise pour être actualisées depuis le mois de février de cette année. Elle doit être finalisée et déposée ce mois-ci. A la suite de cela, le marché doit être attribué. En deux ans, nous avons réussi quelque chose qui n’a pas été faite en 12 ans.
Sokone a aujourd’hui 7 écoles primaires, un hôpital avec des spécialités comme la chirurgie, l’ophtalmologie et la chirurgie dentaire. Cette ville a deux médecins, plus de cinq infirmiers d’Etat et deux sages femmes d’Etat. On ne peut pas comparer ça à ce que la ville était auparavant. Sokone a aujourd’hui un lycée, deux collèges, un autre centre médical qui est différent de l’hôpital avec une population estimée à plus de 17 mille habitants. Le président de la République a pris la décision de faire construire à trois km de Sokone, à la lisière de la commune de Toubacouta, 4 départements universitaires dont les départements de biodiversité, d’agriculture, d’ici à 2015. Cela veut dire une population universitaire, des infrastructures, une nouvelle population etc.
Le seul problème est que le site de l’université a empiété sur une forêt classée et il faut des procédures normales pour que les constructions puissent être terminées. Reconnaissez également que nous avons fait venir et signer un accord de partenariat important avec Pamecas sous ma direction, futur candidat à la mairie de Sokone, qui a décidé de mettre en place une ligne de crédit de 25 à 50 millions de francs Cfa pour les femmes.
Je viens aussi de disposer de deux moulins qui seront placés dans les quartiers périphériques où les femmes avaient besoin de ces machines pour travailler. Nous allons également installer bientôt deux presses à huile dont les femmes ont besoin.
Idrissa Seck a fait des critiques à l’endroit de l’Etat en raillant les actions du gouvernement, quel commentaire vous en faites ?
Vous avez dit qu’un opposant (Ndlr : Idrissa Seck) a raillé l’action de l’Etat. La situation est tellement sérieuse dans ce pays pour parler de raillerie. Sa sortie traduit plutôt l’état d’esprit d’un opposant politique qui ne saisit pas encore les réalités d’un pays. J’ai commencé à suivre Idrissa Seck depuis qu’il est entré en politique en 1988. Il ne m’a jamais personnellement impressionné pour son ardeur au travail. II est stupéfait devant les gens qui travaillent.
Quel bilan tirez-vous du mandat présidentiel des deux ans après votre arrivée au pouvoir. Etes-vous satisfaits ou vous espéreriez faire mieux ?
Le gouvernement du Sénégal a engagé des réformes fondamentales. L’une des réformes majeures qui est envisagée, c’est d’abord de faire de l’agriculture le pilier essentiel de notre développement économique. Considérez les milliards qui sont investis dans l’agriculture, il y a dix ans. Nous avons eu plusieurs types de campagnes comme le manioc, le piment, le sésame, Reva… C’était beau peut-être dans les intentions, mais qu’est-ce qu’on en a fait ? Rien du tout.
Pour ce qui est de notre bilan, nous avons eu des réussites certaines. D’abord une expérience dans le domaine de la Couverture maladie universelle (Cmu), la mise en place d’une structure qui permettra, au moins, à 80% des Sénégalais, qui ne disposent d’aucun moyen pour aller se soigner, de bénéficier des soins à travers ce programme.
Pour l’agriculture, les prévisions tablent sur une production de 1,6 million de tonnes de riz paddy, 1,8 million de tonnes de riz blanc. Nous sommes en train de mettre en place une structure à cet effet. Il faut aussi noter la réforme de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur etc. Notre pays forme 80% de bacheliers littéraires et moins de 5% de bacheliers scientifiques et également professionnels. La charpente qui est mise en place, aujourd’hui, c’est d’inverser la tendance.
Déjà avec la construction de 8 lycées professionnels qui sont en cours, plusieurs centres techniques professionnels sont prévus. Il faut inverser la roue pédagogique en formant plus de professionnels qui vont aller dans les usines que de bacheliers qui restent à l’université à ne rien faire. Voilà l’option fondamentale qui est envisagée.
Et ce choix est consigné dans un document important qui est le Plan Sénégal émergent (Pse). Quand on arrivait au pouvoir, c’était la catastrophe pour le secteur agricole. 63 milliards de francs Cfa ont été mobilisés par le gouvernement sénégalais pour mettre en place des intrants, des facteurs de production, soutenir le paysannat qui était dans une situation de famine, appuyer le bétail pour le nourrir durant cette période de soudure. Sans compter l’assistance substantielle qu’on a mise dans l’électricité avec un appui de 120 milliards de Fcfa.
Il y a maintenant moins de coupure d’électricité ; le Plan Takkal a été réexaminé, réajusté et mis au service du développement économique et social et non pas au service des ambitions d’une personne. Par ailleurs, la réforme de l’enseignement supérieur, avec plus de 400 milliards de Fcfa d’investissements prévus, et qui sont en cours de réalisation, c’est important.
La rationalisation de la dépense publique est une réalité. Les engagements fondamentaux de bonne gouvernance sont à souligner. Il y a également une augmentation de 40 milliards de Fca de salaire pour qu’on procède à une baisse des impôts sur les revenus.
L’option du Pse a été mise sur la table pour réaliser des taux de croissance beaucoup plus importants. Une croissance économique qui tourne autour de 3% et un taux démographique qui avoisine les 2,7%. Si l’on adopte ce que le Chef de l’Etat propose et qu’on le réalise, c’est autour de 17 ans qu’on assurera le développement du Sénégal et non de 233 ans si l’on garde les mêmes indicateurs économiques d’aujourd’hui comme le soutiennent certains économistes. Un taux de croissance qui inclut, au moins, deux ou trois fois le taux de croissance démographique.
Le modèle du Pse repose sur des piliers essentiels. D’abord, réaliser un taux de croissance de 7% durable inclusif, stable pendant des années, une option fondamentale sur le capital humain, sur la bonne gouvernance avec à l’appoint 27 projets prioritaires phase qu’il faut mettre en œuvre d’ici à 10 ans. Si vous combinez ces projets avec la création qui est de l’ordre de 7 à 8%, on sera bien sûr sur la rampe de l’émergence.
L’autre pilier est la bonne gouvernance avec une vingtaine de réformes qui doivent être nécessairement accomplies dans les trois ans à venir, pour qu’enfin le Sénégal sorte la tête de l’eau. Certains critiquent le Pse sans prendre le soin de le comprendre et de l’étudier, dans sa philosophie. Il peut même y avoir des choses qui ne sont peut-être pas nécessairement cohérentes comme dans la construction de toute œuvre humaine. On peut la comprendre et la critiquer.
Pour le gouvernement, nous avons dit qu’au lieu de nous offenser, la critique nous compense. Mais encore faudrait-il qu’on nous propose une critique sérieuse, organisée qui repose sur un renseignement et une information. Et celui qui la propose se soit même outillé pour le faire.
Avec le Pse, si le président Macky Sall fait deux mandats, est-ce que son successeur ne pourrait pas remettre en cause cette option économique et nous condamner à un éternel recommencement?
Nous ne souhaitons pas que le successeur de Macky Sall change le Pse pour la bonne et simple raison que si ce programme marche, dans dix ans, qui va dire aux Sénégalais que je vais changer. Ce sont les citoyens même qui vont décider de son sort.
Si le plan ne marche pas, ce serait heureux qu’il change, et c’est normal. Ce qui fait que dans les deux cas, il n’y a pas de crainte à avoir. Nous souhaitons que ce programme marche. Si tous les objectifs assignés sont atteints, je n’imagine pas que le remplaçant de Macky Sall puisse décider de mettre un autre plan.
En 2000, les indicateurs économiques du Sénégal étaient au vert, et cela ne nous a pas servi grand-chose ?
Il y a une différence qu’il faut relever. Le Pse change de modèle. Celui que nous avons trouvé sur place, nous continuons à l’administrer. Même s’il y a eu des choses que nous avons changées. Les bons points ont été maintenus. Soyons optimiste et travaillons à faire en sorte que ce qui nous est proposé soit conduit à terme.
Beaucoup disent que Karim Wade est le seul ministre à être poursuivi, qu’en pensez-vous ?
Effectivement, certains citoyens se posent la question de savoir pourquoi il est le seul à être emprisonné et pas d’autres ministres de l’ancien régime. Cette question s’adresse à la justice et non au porte-parole du gouvernement que je suis. Si j’accepte de vous répondre en vous expliquant pourquoi il est le seul, cela veut dire que moi-même, membre du gouvernement, j’explique les décisions de la justice.
Je pense que la justice doit travailler pour que toutes les gens qui ont fait des infractions soient traitées de la même façon. C’est le principe de l’égalité de tout le monde devant la loi et devant la justice. Je n’ai pas d’explications par rapport au fait que Karim Wade est le seul ministre emprisonné.
Le budget de votre département a connu une hausse en passant de 134,4 millions à 3,5 milliards de Fcfa, qu’est-ce qui explique cette hausse très importante ?
La hausse du budget, dans mon ministère, s’explique par le fait que quand on est arrivé en novembre 2012, on était en fin d’exercice budgétaire. Il fallait juste assurer le fonctionnement du cabinet qui était la seule structure existante. Par une loi rectificative, il y a une somme de 200 millions qui a été ajoutée aux 134,4 millions de Fcfa. Il y a eu également des projets d’une valeur de 2 milliards.
On a aussi augmenté les fonds d’investissements. Nous allons conduire, à partir du deuxième semestre de l’année, le processus d’évaluation par les pairs, le Maep africain. Un budget lui est consacré. Nous avons mis en œuvre le projet pour l’atteinte des Objectif du millénaire pour le développement (Omd) avec le Pnud pour un montant de 1,8 milliard de Fcfa.
D’autres directions ont été créées au sein du ministère. Les investissements concernent l’intégrité publique avec plusieurs actions qui seront menées, l’éducation citoyenne, l’appropriation de la bonne gouvernance, l’administration publiques…
On a assisté, il y a deux ans, à une suppression de plusieurs agences, mais d’autres ont été créées, est-ce qu’il ne se posera pas un problème d’efficacité et d’efficience ?
La suppression des agences obéissait à une logique. Celle de rationnaliser l’administration. L’idée était de supprimer des agences qui attestaient d’une incohérence. Car on ne peut pas avoir une direction générale et plusieurs directions qui font pratiquement la même chose. Les agences doublons on les a supprimées. D’autres agences ont été créées parce que les circonstances l’exigeaient.
Et il y avait un impératif à le faire par rapport à la gestion d’un domaine précis. En créant d’autres agences, il fallait veiller à ce que les dépenses d’investissement soient des dépenses rentables et utiles. Que l’argent transféré ne serve pas au fonctionnement. Ce n’est pas le nombre d’agences créées qui fait problème, mais c’est plutôt les transferts qui sont opérés. Il y a un audit qui va être lancé pour l’efficacité des dépenses publiques.
Certains considèrent que les élections locales constituent le dernier clou sur le cercueil de « Bennoo Bokk Yaakaar », qu’en pensez-vous ?
Je pense que non. On avait préconisé le dernier clou avec les élections législatives. Ce qui n’a pas été le cas. Il y a des rencontres périodiques entre le Chef de l’Etat et les responsables des autres partis politiques de la coalition « Bennoo Bokk Yaakaar ».