Les secrets d’une «inconséquence» présidentielle
LATIF AURAIT-IL DONNE UN AVIS PERSONNEL SUR LA MEDIATION PENALE DANS LA TRAQUE DES BIENS MAL ACQUIS ?
Pensée par le Président Macky Sall «him-self», la proposition de la médiation pénale aux pontes de l’ex-régime de Wade, présumés avoir détourné des milliards de F Cfa sur le dos du contribuable sénégalais, continue de soulever des vagues. L’Observateur vous plonge dans les coulisses du «montage» d’une solution présidentielle passée inconséquence d’Etat.
Dans la fosse politique, c’est l’os du moment dont se délecte la meute. Le sujet qui déchaîne le plus de passions, aimante le plus de réactions. Si pour le pouvoir, c’est une position personnelle du ministre porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, pour l’opposition, c’est la preuve d’un cuisant échec d’Etat. Interrogés, spécialistes de la vie politique et membres de la société civile sont unanimes : «C’est l’une des plus grandes inconséquences de l’histoire politico-judiciaire du Sénégal.» Comment est née cette proposition sordide de médiation pénale ? Pourquoi Macky Sall a-t-il voulu inviter les responsables du Pds visés par les enquêtes sur l’enrichissement illicite à se présenter devant le Procureur pour transiger, en gardant 20% de leurs présumés biens mal acquis ? L’Observateur a mené sa petite enquête et a jeté un coup d’œil dans ce «brouillard» étatique qui a fini de perturber la cohésion gouvernementale.
22 février 2013. Ce jour-là, le Sénégal de la politique est dans le suspense. Il attend le verdict de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), saisie d’un recours d’annulation de la décision d’interdiction de sortie du terroir qui frappe 7 anciens collaborateurs de Wade, visés par les enquêtes sur l’enrichissement illicite. Après une matinée d’angoisse de part et d’autre, la décision tombe en mi-journée. La Cour d’Abuja a tranché en faveur des «fils» de l’ex-chef d’Etat, Me Wade.
Pour avoir suffisamment pratiqué Macky Sall, le nouvel homme fort du Sénégal, longtemps membre de leur parti, ces responsables du Pds qui anticipant la décision de la Cedeao étaient déjà à Touba. Oumar Sarr et Cie, qui connaissent le poids de l’arbitrage du Khalife dans le jeu politique, informent Cheikh Sidy Moctar Mbacké du verdict de la Cour. L’opération a deux buts. Le premier : faire du guide des mourides un futur témoin moral, surtout lorsqu’ils voudront voyager à l’étranger et que la restriction de leur liberté de mouvements ne serait pas levée. La seconde : récolter une intercession du marabout auprès du chef de l’Etat afin qu’il ordonne le respect de leurs droits, en se conformant à la décision rendue par la Cedeao.
Latif Coulibaly et les recommandations du Khalife des mourides
Au Palais de la République à l’avenue du Président Senghor (ex-Roume) à Dakar, le monde s’effondre. La soirée est longue, la nuit pénible. Tout ramène au camouflet du jour. Et pour ne pas perdre la face dans ce combat politique présenté comme la priorité du peuple, le chef de l’Etat et ses collaborateurs cherchent une nouvelle trouvaille juridique pour empêcher Karim Wade, Abdoulaye Baldé et Cie de quitter le pays. Le jour se lève sur l’adoption d’une nouvelle procédure qui fera plus tard tout un foin.
23 février 2013. Pour couper l’herbe sous les pieds de ses «frères honnis», Macky Sall envoie des émissaires à Touba, dont le ministre de la Bonne gouvernance, Abdou Latif Coulibaly. Le porte-parole, bien dans son rôle, est allé apporter la réplique à ses prédécesseurs, pour la bonne information du guide des mourides. La réponse et l’attitude de Cheikh Sidy Moctar Mbacké n’ont pas été rendues publiques. On ne saura jamais la position du Khalife sur la question.
Rentré de «mission», le ministre a rendu compte à son mentor de la teneur de son entretien avec le guide des mourides. De cette entrevue, est née, selon des proches du Président, l’idée de trouver une issue favorable, une sortie honorable de cette sourde traque des présumés «voleurs de la République». Des concertations sont rapidement organisées. Il en résulte qu’un bon arrangement vaut mieux qu’un mauvais procès. Rapidement, une stratégie de communication est arrêtée.
Me El Hadji Diouf et la carte blanche de Macky
26 février 2013. Le Président Macky Sall se prépare à rejoindre Yamoussoukro, la capitale administrative de la Côte-d’Ivoire où doit se tenir le sommet des chefs d’Etat de la Cedeao. Mais avant de s’envoler pour cette ville à la belle basilique, Macky Sall veut recevoir un allié qui a combattu avec lui au sein de la coalition présidentielle «Benno Bokk Yaakaar». Me El Hadji Moustapha Diouf, patron du Parti des travailleurs et du peuple et le président de l’Alliance pour la République se rencontre en tête à tête pour discuter de la fusion prochaine de leurs deux formations politiques. Et c’est le chef de l’Etat, Macky Sall, sachant que Me Diouf est un avocat chevronné, qui engage le débat sur la traque des biens mal acquis. Il fait cas de la proposition de médiation pénale aux présumés voleurs de la République dont l’Etat est sûr de la culpabilité. Me Diouf trouve l’idée géniale. Il fait ses suggestions au chef de l’Etat. Sachant que le «député du peuple» maîtrise plus le sujet que certains de ses collaborateurs, Macky Sall lui donne carte blanche pour s’en ouvrir à la presse.
1er mars 2013. Me Diouf, qui est un bon client pour la presse, fait une interview dans le journal dakarois Le populaire. Envoyé en éclaireur pour baliser la voie aux arguments devant être soutenus pour rallier le suffrage des populations sénégalaises à une opération de restitution des deniers publics prétendument spoliés par leurs auteurs, et leur permettre, socialement, d’en garder une partie, Me Diouf fait un entretien sans faute. Mais, par souci d’équilibrer l’info, la rédaction du journal Le Populaire joint le porte-parole du président de la République. Abou Abel Thiam, qui n’est pas dans le secret de la nouvelle trouvaille de son patron, est surpris par les propos de Me Diouf prêtés à Macky Sall. Faisant son job, Abel s’inscrit en faux contre l’avocat.
Latif et Me Diouf contre Abel et Mimi
2 mars 2013. L’édition du journal Le Polulaire est sur le marché. Les lecteurs sont surpris par cette information déconcertante lâchée par Me Diouf sur une médiation pénale qui donnerait 20% aux prétendus voleurs et 80% à l’Etat, mais ils sont vite rassurés par le démenti d’Abou Abel Thiam, la voix du maître du Palais. A la lecture des propos du porte-parole du Président, Me Diouf a tiqué. Mais vite, très vite, contacté par la Télé futurs médias, le ministre de la Bonne gouvernance et porte-parole du gouvernement, corrobore la version de l’avocat. Abou Abel est voué aux gémonies et Me Diouf trône fièrement sur une vérité encore fébrile.
4 mars 2013. Le ministre de la Justice, Aminata Touré, est contacté par L’Observateur. La garde des Sceaux accepte de participer au débat. A la surprise quasi-générale, Mimi prend le contre pied du porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly. Selon elle, le ministre de la Bonne gouvernance a donné son avis personnel et pas celui du gouvernement. Terrible déconvenue.
05 mars 2013. L’interview du ministre de la Justice émeut tout le monde de la politique et surtout les partisans du «Yonnu Yokkuté», qui ne savent plus dans quelle voie est le régime de Macky Sall. La cacophonie a été au summum, des ministres de la République se contredisant, par démenti public sur un sujet aussi sérieux qu’une proposition de transaction portant sur des milliards, alors que les enquêtes sont toujours pilotées par les gendarmes de la section de recherches de Colobane sur les instructions du procureur Spécial, Alioune Ndao.
Latif Coulibaly, co-auteur de la réflexion avec le Président Macky Sall, aurait d’ailleurs persisté dans sa position pour dire qu’il ne s’agit nullement d’une position personnelle publiquement exprimée. Mais par souci de ne pas rajouter à la polémique, le porte-parole du gouvernement, qui s’est envolé hier pour Boston, a tenu à purger l’atmosphère. Sauf que rien n’est remis à plat. La proposition du chef de l’Etat soulève toujours des vagues.