LES TALIBÉS NE SONT PAS UNE MENACE POUR NOTRE SÉCURITÉ
DR BAKARY SAMBE, AUTEUR DU LIVRE "BOKO HARAM : DU PROBLÈME NIGÉRIAN À LA MENACE RÉGIONALE"
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Dr Bakary Sambe, enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, vient de publier un livre intitulé Boko Haram : Du problème nigérian à la menace régionale. Dans ce livre à caractère pédagogique, l’universitaire analyse, dans une démarche scientifique, la naissance et les méthodes de la secte islamiste. En marge de la cérémonie de lancement de l'ouvrage, vendredi 8 mai, il a accordé un entretien SenePlus. Même s’il convient que Boko Haram est aujourd’hui une menace régionale, il récuse l’idée selon laquelle les talibés sont de potentiels futures recrues de la secte.
Pourquoi un livre sur Boko Haram ?
Je me suis rendu compte que les premières questions qu’on vous pose en général quand vous parlez de Boko Haram, c’est "d’où vient-il ?", "qu’est-ce qu’il veut faire ?", etc. J’ai essayé de répondre en adoptant une démarche compréhensive, m’appuyant sur les textes fondateurs du mouvement, les documents produits par ce mouvement même, les enregistrements sonores et les sermons pour que le public puisse comprendre véritablement les tenants et aboutissants de ce mouvement.
La mendicité des talibés est perçue comme un terreau fertile pour des mouvements comme Boko Haram, qui pourraient y recruter leurs futurs adeptes. Êtes-vous de cet avis ?
Il ne faut pas tomber dans cet amalgame. Les talibés et les écoles coraniques sénégalaises ne sont pas une menace pour la sécurité de ce pays. Il y a certaines ONG qui n’ont fait aucune étude de terrain et qui s’adonnent à des conclusions hâtives. Il faut que cela s’arrête. L’enseignement coranique est plus vieux dans ce pays que l’enseignement dit officiel. Il faut quand même respecter cet enseignement. Il faut quand même l’organiser. Il faut les aider à mieux s’organiser. Mais il ne faut pas faire d’amalgame entre les talibés, les talibans, Boko Haram… Cet enseignement est un enseignement pacifique basé la plupart du temps sur la vision soufi de l’islam qui cultive l’humilité, qui cultive la tolérance et qui a donné à ce pays de grands érudits et qui font la fierté de l’islam au Sénégal et en Afrique.
Comment venir finalement à bout de Boko Haram ?
La guerre contre terrorisme ne va pas se gagner avec les armes et avec la violence. La guerre contre le terrorisme commence par une prévention des sources de frustrations et de révoltes des jeunes. Je veux dire que les deux armes les plus redoutables contre le terrorisme sont aujourd’hui des systèmes éducatifs performants formant des esprits éclairés, mais aussi la justice sociale basée sur la bonne gouvernance et la démocratie et non seulement la démocratie électoraliste, mais une démocratie qui se ressent jusque dans la répartition des richesses et l’éradication sociale.
Il faudra aussi, selon certains spécialistes, venir à bout de la dualité du système éducatif. Etes-vous d’accord ?
Il y a cette dualité du système éducatif que l’Etat doit essayer de régler- des mesures ont été prises-, mais je pense qu’on doit fournir encore plus d’efforts pour que l’outil de socialisation par excellence qui est l’école soit quelque chose d’uniformisé pour qu’on n’ait pas le choc entre des élites, un choc entre des manières de voir qui peuvent se répercuter négativement sur la cohésion nationale.
En clair il faut essayer de vaincre très tôt l’idéologie défendue par des mouvements comme Boko Haram ?
L’idéologie se combat par l’idéologie. C’est-à-dire que les groupes islamistes radicaux prospèrent là où il y a un vide par rapport à des formes de socialisation sécularisées. Là où l’Etat est absent, là où l’école est absente, il faudra restaurer ces cadres de socialisation alternatives pour ne pas laisser le champs libre à ces marchants d’illusion.
Boko Haram a fait allégeance à Al Qaeda. Est-ce la preuve que le mouvement islamiste nigérian est en difficulté ?
Abubakar Shekau a fait cette allégeance dans un moment critique du mouvement, où il était retranché dans ces dernières positions. L’autre chose, c’est que cette allégeance vise à justifier encore cet engagement, pour dire que l’action de Boko Haram s’inscrivait dans un jihadisme international qui avait ses sources dans l’Etat islamique, dans ce que Daesh est en train de faire en Irak et en Syrie avec Abubakar Al bagadadi.