LES VIEUX DÉMONS DE LA PLACE SOWETO
On n'a pas senti un grand amour du Sénégal ce lundi 29 juin dans l'hémicycle de la Place Soweto pour le vote du projet de loi N° 13/2015 modifiant la loi N° 2002-20 modifiée du 15 mai 2002 portant modification du règlement intérieur de l'Assemblée nationale.
Par contre, l'esprit partisan aura régné. Les couteaux entre les dents, tous les coups ont été permis entre députés, avec le piment constitué par l'appartenance de membres de la majorité parlementaire au camp ramant à contre-courant de la proposition officiellement présentée par le groupe « Benno ». Au finish, elle a été votée. Le Ps en sort divisé. Un camp "Khalifa Sall – Aïssata Tall Sall" s'est formé contre les "Tanoristes". L'Apr a démontré qu'elle sait faire bloc et porter les combats du président Macky Sall.
Mais l'esprit partisan aura tellement prévalu que la représentation nationale, à un moment des débats, avait oublié qu'elle était quand même là au nom des Sénégalais. Ce sont plus les plénipotentiaires de partis que des députés du peuple qui se sont déchaînés comme des meurt-de-faim (le ramadan n'expliquant pas tout) autour d'une question qui touche le cœur de l'action parlementaire. Rupture ? Rien n'a changé à la Place Soweto. On change les femmes et hommes, et on recommence...
Ce furent d'abord des règlements de compte avec l'histoire. Moustapha Cissé Lô, à la pointe du combat apériste, a résumé la situation. C'est bien le président Abdoulaye Wade qui avait chahuté l'esprit démocratique des institutions en lançant et faisant voter par sa majorité d'alors la loi Sada Ndiaye uniquement pour faire partir Macky Sall de la présidence de l'Assemblée nationale. Et chacun a sa louche dans la sauce historique car, bien avant, en 1984, les socialistes avaient usé du même procédé contre Habib Thiam.
Le retour des vieux démons qui pour l'Apr, il fallait réparer une injustice et endosser le beau rôle. Mais pourquoi a-t-elle attendu trois ans pour le faire ? Le moment est certes propice aux "ajustements" avant les inévitables séparations. Très proches du palais, la majorité des députés de l'Apr ont voulu dupliquer au Parlement les lignes de fracture qui s'accentuent au sein de "Benno Bokk Yaakaar", et éviter que l'hémicycle ne soit une rampe de lancement pour les adversaires et alliés en dilettante. C'est une manœuvre qui touche tout le monde, qui fait se hérisser le Ps, élargit un peu plus l'opposition parlementaire, balise la voie à une campagne électorale anticipée.
Lors des débats, le partage de l'aveu que la loi était tout sauf impersonnelle était perceptible. Elle vise à rendre plus difficile l'expression démocratique consistant à se constituer en groupe parlementaire. Elle cible, ajuste la hausse et tire pour ne pas rater les députés désirant changer de groupe. Tout le contraire de l'esprit de nos lois. La nouvelle réglementation, pour organique qu'elle soit, entre dans le détail, personnalise, avec le fâcheux sentiment qu'elle peut se retourner un jour contre ses initiateurs car refusant de prendre en compte les possibles (et nécessaires) variations de la conjoncture politique. Une loi "politiquement injustifiable, juridiquement indéfendable et historiquement insoutenable", selon la socialiste Me Aïssata Tall Sall.
Enfin, un rendez-vous raté. Alors que la conjoncture politique ronronne entre la crise au Pds, la peine du gouvernement à satisfaire les demandes sociales et l'inconnu qui entoure le calendrier électoral à propos de la date de la prochaine présidentielle, les députés ont usé leur énergie ce lundi pour bien peu de choses. On les attendait sur un autre terrain. Celui de l'expression des préoccupations des populations.
Les Sénégalais attendaient sans nul doute leurs députés sur l'ajustement des lois à propos des nouveaux défis comme le foncier, les crimes environnementaux (les dernières forêts de la région de Kolda disparaissent), l'enrichissement illicite, les longues détentions, le travail des enfants, la réglementation sur le loyer, les réformes du Code pénal, les contenus audiovisuels...
Démontrer sa majorité, rappeler son existence, écraser l'adversaire : l'objectif a été atteint. Subtile manière de préparer le terrain en vue des confrontations électorales qui s'annoncent. Dans les faits, empêcher la constitution de groupes parlementaires, c'est seulement interdire l'accès à la conférence des présidents, boucler l'issue menant à des postes dans le bureau et aux avantages y afférents, restreindre le temps de parole de certains.
Elle a été mal préparée car, à l'instar du secrétaire général de l'Ucs, Abdoulaye Baldé, beaucoup de députés, pour ne pas dire tous, sont favorables au retour du mandat de cinq ans pour le président de l'Assemblée nationale. Par contre, ils ne pouvaient voter en faveur d'une loi qui exige quinze députés pour former un groupe, qui leur interdit d'en changer au cours de la législature, et qui restreint la liberté d'association.
La politique n'étant pas un long fleuve tranquille, de démissions en démissions, on pourrait se retrouver dans la situation ubuesque où plus un groupe ne pourrait exister légalement.