LETTRE OUVERTE À ME WADE
Monsieur le Président de la Rue publique, c’est en le déplorant que vos compatriotes, surtout ceux de votre classe d’âge, constatent que vous semblez avoir repris les activités que vous savez faire le mieux, celles d’un leader politique de l’opposition, plutôt que celles d’un Président de la République.
Votre avantage sur les autres leaders politiques, dans l’art d’ameuter des foules étant de pouvoir faire feu de tout bois, de dire à vos fans, dont moi-même, à une certaine époque : «Tant pis, dites-le… il se trouvera des gens pour y croire.»
Si la préférence de l’écrasante majorité de vos compatriotes vous préoccupe, Monsieur le Président, suivez l’exemple de Léopold Sédar Senghor qui, déjà à soixante quinze ans, avait mis fin à toutes formes d’activités politiques, ayant constaté qu’à son âge il ne jouissait plus de toutes ses capacités pour exercer le pouvoir comme il faut.
Hé oui ! Le poids de l’âge avancé, qu’on le veuille ou non, est incompatible avec le lourd poids que constitue l’exercice du pouvoir d’Etat, pour plusieurs raisons.
A cette seule différence avec le cas du Président Senghor, son successeur le Président Abdou Diouf qui n’avait pas quitté le pouvoir de plein gré, avait aussi mis définitivement une croix sur toute tentative d’exercer une quelconque influence sur la politique, conformément à l’engagement qu’il avait pris après avoir passé le témoin : «Je ne regarderai pas sur le rétroviseur.»
Qui ne vous avait pas entendu dire à l’actuel président du Togo, lors d’une audience, pour le rassurer quand il aspirait à succéder à son père décédé, mais avec des doutes de pouvoir y parvenir : "Ne craignez rien, vous avez de l’argent et l’armée" ? Qui ne vous avait pas entendu dire qu’il n’y avait personne, ni dans votre parti, ni dans l’opposition pour vous remplacer ?
Rappelons en passant, qu’à cette époque, M. Karim Wade n’avait pas encore révélé son appartenance politique, même si elle n’était déjà plus un secret pour personne. Qui ne vous avait pas entendu dire que ceux qui croient à ce qu’on leur dit n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes ? Qui ne vous avait pas entendu dire, à votre retour triomphant qu’un procès se gagne par la rue et non au tribunal ?
Monsieur le Président, la liste serait trop longue, si je devais continuer à vous rappeler les propos que vous avez tenus, soit en tant que président de la République, soit avant ou après l’avoir été, sans vous rendre compte de leur extrême gravité, je suppose. De tels propos, sortis de la bouche d’un ancien président de la République, en tant que tel, ayant été responsable moral de l’Etat, ont de quoi démoraliser les citoyens, démythifier Dame justice, faire perdre toute considération dans les discours des politiciens sur la démocratie et sur la morale, donner la nausée chaque fois qu’on entend des discours moralisateurs, d’où qu’ils viennent.
Bien entendu les commentaires n’avaient pas manqué de fuser de partout, à chacune de ces sorties malheureuses.
Pour vous-même et ceux qui vous avaient entendu vous adresser au fils de feu Gnassingbé Eyadéma, vous aviez sans doute présumé qu’il avait accumulé suffisamment de milliards durant le règne de son père, et avait suffisamment d’influence dans l’armée togolaise pour que les résultats des élections présidentielles auxquelles il se préparait ne devaient pas lui créer de soucis, compte tenu de l’énorme différence des moyens entre ses concurrents et lui dans la course pour le pouvoir.
Vous avez défoncé une porte ouverte, lorsqu’on vous a une fois entendu dire que celui qui prend pour argent comptant ce qu’on lui dit n’a qu’à s’en prendre à lui, au lieu de crier à la déception, quand elle se produit. Votre célèbre expression «wax waxeet» ne le rappellera jamais assez.
Pour vous, M. Karim Wade, du seul fait qu’il soit votre fils était en droit de prétendre aux mêmes avantages sur tout concurrent présomptueux, à votre succession, ayant été celui tout indiqué, «qui n’était ni membre de votre parti, le PDS, ni à l’opposition».
Dans votre intime conviction, il est apparu à travers vos propos que dans certains procès, il ne sert à rien de «laisser la justice faire son travail», comme le disent souvent les supporters des régimes en place. En clair, il faut essayer de l’influencer quand on en a les moyens, pour la conditionner afin de l’amener à statuer dans le sens qu’on veut.
Monsieur le Président, vous ne vous prendriez pas autrement si votre but était de renforcer la conviction de ceux qui sont d’avis que gagner ou perdre un procès ne signifie pas forcément qu’on devait le gagner ou le perdre. En me souvenant que vous avez présidé le conseil supérieur de la magistrature pendant douze ans, je note que vous savez de quoi vous avez ainsi parlé.
C’est peut être parce que votre longue absence avait sevré la rue de l’effervescence politicienne à laquelle elle avait pris goût, que votre retour judicieusement préparé est loin d’être passé inaperçu. Mais qu’est-ce que le pays a gagné dans tout cela ?
Monsieur le Président, je n’ignore pas que je suis insignifiant pour me permettre de prétendre trouver à redire sur votre comportement. Mais mon engagement en politique me le permet. Il faut savoir terminer, si on veut bien terminer. Votre rôle en ce moment devrait être assimilable au rôle que jouait Serigne Abdoul Aziz Sy, celui d’un pompier toujours prêt à réagir pour essayer d’éteindre le feu et calmer les tensions socio-politiques.
Toute autre activité, tout autre dessein ne vous vont plus. Il est temps que vous profitiez de votre droit au repos bien mérité. Pour le reste, les jeunes générations qui vous ont côtoyé dans l’opposition, dans votre gestion du pouvoir, ne manqueront d’en faire une analyse pour prendre comme modèle ce qu’elles estimeront mériter devoir être gravé en lettres d’or pour la postériorité.
* Avocat à la cour et Membre de la Ligue Démocratique