LEURRE

En écoutant au sommet du Davos africain, un opérateur économique géant de la pointure de Dangote se plaindre du contraste selon lequel les américains circulent plus librement sur son continent que lui, chaque fils bantou se fait une idée approximative des pesanteurs qui transforment les richesses de l’Afrique en source de pauvreté.
C’est que l’Afrique passera pour être le plus grand marché de la planète dans près de 10 ans avec une jeunesse dynamique projetée à plus du tiers de la main d’œuvre mondiale, mais elle reste le siège de la pauvreté. Cette fois, ils ont parlé à Davos d’optimisme dans la prudence comme si les dirigeants africains s’étaient un tantinet rendus à l’évidence du leurre qui se dégage des pompeux discours complètement dénués de réalisme qui entretiennent assez souvent le gâchis.
Pourquoi ce continent béni de la nature sous diverses formes ne peut relever les défis de la compétitivité économique? Le Forum de Davos définit la compétitivité comme un ensemble de politiques, facteurs et institutions qui déterminent le niveau de productivité d’un pays. Tout en retenant que la productivité permet de se projeter sur un seuil vérité de prospérité basée sur une économie aérée qui sait entretenir de la ressource. Le Sénégal ne saurait se vanter d’être aligné devant des géants comme le Nigéria ou le Kenya car c’est bien à partir des mêmes critères que le rapport de Davos classe les Etats Unis d’Amérique derrière la Suède, Singapour et la Suisse, leader mondial de la compétitivité.
Les facteurs impedimenta de la productivité comme l’inertie, le défaut d’investissement, l’obstruction des secteurs porteurs et surtout la flagornerie enfoncent le sénégalais. Ibrahima Wade à la tête de la stratégie de la croissance accéléré a fait en 2012 l’état de la situation au premier forum national sur la compétitivité non sans reconnaître que l’environnement des affaires était malade de sa sous-productivité. Ce n’est donc pas à Davos que la myriade d’entités politico-fantaisistes qui se confondent dans l’administration, a découvert la potion magique. Le développement des petites et moyennes entreprises est le passage obligé de la compétitivité d’une économie ambitieuse.
Au Sénégal, elles constituent à côté des secteurs non structurants, 90% des entreprises en général. L’année dernière, un agent de l’agence consacrée à cette pépinière de la croissance économique a révélé que 60% des PME ferment boutique en moins d’un an en raison du climat inapproprié. Les surcoûts des facteurs de production tels que l’énergie s’ajoutent en effet aux questions de formation, à l’absence de protection du marché local exposé à toutes les intempéries commerciales et aux difficultés d’accès au crédit. Tous les acteurs de la filière arachidière, des producteurs aux huiliers en passant par les institutions prêteuses avec en tête le crédit agricole aux capitaux étrangers, ne disposent pas de fonds suffisants pour mettre en marche la campagne de commercialisation.
La dualité qui oppose la forte demande du crédit au manque de projets banquables ou surtout à l’absence de garanties suffisantes brandies par les banquiers nécessite un arbitre étatique doué de méthode à long terme. En 2012, le marché de la commande publique dans lequel la plupart des PME sont à priori exclues, se chiffrait à près d’un milliard de FCFa au Sénégal. La tendance est la désindustrialisation qui agrandit chaque jour l’ouverture au marché asiatique. Pourtant, les leçons sont proches.
Depuis la crise financière de 2007, les Etats unis accordent cent milles dollars par an pour protéger le secteur des PME au nom du small business act (La loi sur les PME) votée en 1957. La Tunisie et l’Allemagne veillent à concéder 20% des marchés de la commande publique aux secteurs des PME, pour leur permettre de porter la flamme de la croissance. En marge du virus de la corruption, des velléités inciviques et la gabegie qui tient l’éthique en otage dans la plupart des économies africaines, il reste les vestiges des tares post-coloniales qui déterminent un certain complexe de maturité identitaire.
La formation des hommes y prend hélas toutes ses origines et fait du système éducatif à la base, non pas le lieu formel de formation des mentalités mais des sièges de transferts des appréhensions qui permettront de contrôler les individus. Dans son ouvrage le Sénégal : un lion économique, essai sur la compétitivité d’un pays du Sahel, Mamadou lamine Diallo en conclut qu’un système éducatif issu du colonialisme ne saurait promouvoir une jeunesse intéressée par les gains de productivités.
En même temps que l’expression pays en voie de développement est entrée dans les vocabulaires aimables de la diplomatie économique, les analystes de la discipline ont dégagé une nouvelle trouvaille scientifique appelée taux de croissance. L’Afrique s’en va décrocher le cran de 7% de taux de croissance dans les prochains mois selon les observateurs mais son rang de deuxième zone la plus économiquement dynamique après l’Asie ne l’éloigne guère de la sévère paupérisation dans certains pays. Le contraste est saisissant, le taux de croissance promet et grimpe sur les tableaux mais la pauvreté perdure comme si la croissance était aux antipodes de la pauvreté.
La commerzbank allemande, le PNUD et le FMI ont salué les bonds de l’Afrique dans le dernier trimestre de l’année mais le satisfecit ne va pas plus loin que les bons points politique. La question est en effet fondamentale dans un cadre où la croissance constitue souvent un objectif en soi pour les pays, qu’ils soient économiquement riches ou pauvres. En effet, la comparaison internationale du PIB/tête et des taux de croissance reste, malgré les débats, un critère de choix pour l’évaluation des performances générales des pays. Il semble donc exister en pratique, un amalgame implicite entre croissance économique et bien-être.
L’analyse de la relation entre croissance économique, pauvreté et inégalité est fondée simultanément sur l’approche de décomposition statique de Kakwani qui mesure séparément l’impact de la variation du revenu moyen et de l’inégalité de revenu sur la pauvreté, et les méthodes de décomposition dynamique qui décomposent la variation de la pauvreté en composantes de croissance et de redistribution.
L’analyse montre que la pauvreté des pays au sud du Sahara apparaît depuis le début des années 80 comme un phénomène important qui touche plus sévèrement le milieu rural que l’urbain. L’étude a été menée par des étudiants en sciences économiques de l’université Omar Bongo parvenus à la conclusion que tant que les facteurs de production qui dégagent la croissance seront exclusifs, la croissance restera quantitative.
C’est le fruit des activités bancaires et du marché de la téléphonie associé à quelques exploitations qui portent cette croissance sans affronter la pauvreté. Tous les économistes s’accordent à dire qu’il faut engranger une croissance qualitative basée notamment sur l’agriculture et d’autres facteurs de production de masse, générateurs d’emploi afin que les chiffres pompeux aient de justes répercussions dans le panier de la ménagère. Malheureusement, les politiques préfèrent se voiler la face et s’enfermer dans de tonitruantes annonces. Au prochain forum, ils brandiront de nouvelles victoires alors que la pauvreté asphyxie sans appel l’arrière pays et ses richesses.