"L'HABITUDE DU MALHEUR !"
Le Nigeria mérite que la solidarité du monde s’exprime pour arrêter l’horreur orchestrée par les voyous de Boko Haram et l’incompétence de ses dirigeants et de son armée
Hier dimanche, un kamikaze, un de plus, s'est fait exploser dans une gare du nord-est du Nigeria, faisant au moins 4 morts et 48 blessés. Un ballet de l'horrible s'emballe ainsi dans le pays de Wole Soyinka, prix Nobel de Littérature, où l'on a atteint ces derniers jours le summum de l'innommable, avec des témoignages qui rendent compte de quelque 2000 cadavres entassés sur des kilomètres dans les villes de Baga et Doron Baga et que des rescapés de ces razzias funestes, sont obligés d'enjamber dans leur fuite désespérée. Amnesty International relate ainsi le récit d'un témoin révélant qu'une femme enceinte avait été abattue en plein travail : "La moitié du bébé "était" sortie et elle est morte dans cette position".
Symbole de l’abjection la plus absolue, cette violence impose à tous les hommes et les femmes qui ont une once d’humanité de se soulever pour mettre un terme à un tel basculement bestial. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que l’insurrection de Boko Haram qui repousse sans cesse les frontières de l’ignominie et sa répression par l’armée nigériane ont fait plus de 13000 morts et 1,5 million de déplacés dans le pays depuis 2009. Il est donc important que les manifestations contre l’intolérable puissent aussi prendre pour cibles tous ces déclassés qui kidnappent, violent, assassinent, suprême hérésie, au nom de l’Islam.
Le Niger en a d’ailleurs été une parfaite illustration ce week-end avec les manifestations anti-Charlie Hebdo qui ont dégénéré, occasionnant une dizaine d’églises incendiées et vandalisées. Les protestataires qui affirmaient manifester contre l’intolérance de l’hebdomadaire satirique français n’ont pourtant pas hésité à faire montre d’une injustice radicale et meurtrière en s’en prenant à des concitoyens chrétiens innocents et à leurs lieux de culte.
Le président nigérien Mahamadou Issoufou a ainsi confirmé la mort de cinq personnes à Niamey, “tous civils, dont quatre tués dans des églises et des bars”. Une des victimes, a-t-il précisé , a été retrouvé “calciné” dans une église. Ces actes barbares et gratuits disqualifient par conséquent leurs commanditaires, puisqu’ils oublient qu’il est écrit dans le Coran (V, 48) : “Si Dieu avait voulu, il aurait fait de vous une communauté unique” (V, 48).
Ce que Souleymane Bachir Diagne commente ainsi : “Si Dieu avait voulu… ça signifie qu’il ne l’a pas voulu !” (in le Coran. Philosophie Magazine.. Hors Série. février-avril 2010). Et de poursuivre :” Dieu n’a pas voulu faire un seul peuple, mais il a fait une seule humanité, ce qui est très différent”. Ainsi, ces hordes sauvages, en s’attaquant à des personnes qui ne partagent pas leur foi ou à des coreligionnaires, pour les contraindre à épouser leurs propres représentations, comme c’est le cas au Mali avec Ansar Dine et au Nigéria avec Boko Haram, s’attaquent-elles à notre humanité commune.
Faudrait-il alors attendre que le Nigeria s’embrase totalement, entrainant dans sa descente aux enfers, le Cameroun et les pays alentours, pour que sonne enfin le tocsin de la résistance et de l’indignation ? Il y a en effet quelque chose d’insoutenable, à comptabiliser jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, les milliers de morts qui viennent grossir chaque jour que Dieu fait la tragédie qui se joue sur la terre du Nigeria.
À moins que l’on ne souhaite, comme au Mali, qu’une “légion étrangère” vienne larguer ses bombes et stopper net l’avancée de cette dérive meurtrière. En attendant, au Cameroun, pays frontalier, subissant les exactions de l’armée, le président Paul Biya ne semble pas comprendre cette absence d’empathie africaine. Partout ailleurs, à l’exception du Tchad qui vient d’y dépêcher ses troupes, il n’y a pas grand-chose qui se passe sur le continent. La Cedeao, l’Union africaine, les sociétés civiles et politiques font montre une fois de plus, d’une impuissance sidérante et d’une désinvolture coupable.
Comme le faisait remarquer le romancier Boubacar Boris Diop, parlant du génocide rwandais qui a occasionné un million de morts en 1994, c’est en Afrique qu’on s’est intéressé le moins à ce qui s’est passé sur la terre des “Mille collines“. Et l’auteur de “Murambi” de s’interroger dans la postface de la réédition de l’ouvrage : “Faut-il attribuer une aussi choquante désinvolture à L'habitude du malheur qu’évoque le titre d’un roman de Mongo Béti ?“ L’habitude, voilà justement ce qu’il y a lieu de combattre, car elle installe dans le confort de l’acceptation et de la démission.
Aussi, le Nigeria ne doit-il pas être recouvert du manteau hideux de “l’habitude du malheur”. Bien au contraire, ce pays de 187 millions d’habitants où plus de 200 jeunes filles ont été kidnappées, mariées de force, réduites à l’état d’esclaves sexuelles depuis bientôt 9 mois, mérite que l’indignation et la solidarité agissantes de l’Afrique et du monde s’expriment fortement pour arrêter cette descente dans les abysses de l’horreur orchestrée par les voyous de Boko Haram et l’incompétence de ses dirigeants et de son armée. Défendre l’Islam, défendre le Prophète, c’est aussi lutter sans merci contre tous ces illuminés qui pillent, violent, tuent. Surtout lorsqu’ils disent le faire en leurs noms.