L'HORLOGIER ET SON ART
Il est vendredi, l’heure de la grande prière approche, le marché Sandaga se vide de son monde. Les commerces baissent leurs rideaux, les marchands ambulants donnent un peu de répit aux passants. Seules quelques gargotières sont assises devant leurs étals, attendant le retour des fidèles. Ce n’est que vers 15 heures que Sandaga reprend son ambiance habituelle. Commerçants et vendeurs, habillés pour la plupart en boubous traditionnels, envahissent petit à petit les lieux. El hadj Mamadou Sèye, horloger de profession, revient de la mosquée. La cinquantaine, taille moyenne, teint noir, l’horloger est ‘’sur son 31’’. Vêtu d’un caftan blanc bien amidonné, assorti d’un bonnet et de babouches, El Hadji cultive l’élégance jusqu’aux plus petits détails. La montre accrochée à sa main gauche et ses lunettes blanches, captivent l’attention. Il nous reçoit avec empressement à l’intérieur de son office.
Une cantine ornée de montres de diverses marques. Les bracelets sont soigneusement exposés dans trois grandes vitres éclairées par des lampes. Des pendules, des montres murales, des réveils, sont accrochés au mur. Plusieurs formes s’offrent au choix du client. Avec des cadrages arrondis ou carrés, les horloges en bois rouge, en fer et en acier, répondent aux goûts de chacun. Les montres à réparer sont aussi rangées dans deux tiroirs derrière la vitre… Il est en train de nous faire un cours magistral sur l’horlogerie, lorsqu’un un homme d’une trentaine d’années interrompt la discussion.
Avec ses habits maculés d’huile de moteur, le mécanicien vient faire réparer sa montre. « Je veux changer la batterie de ma montre », lance-t-il en tendant l’objet. Une montre Rolex en cuir noir. Après un long marchandage, M. Sèye et son client s’accordent sur la somme : 2000 francs Cfa. Puis un deuxième client arrive. Ce dernier ne voit plus sa montre tourner. Pour ausculter le mécanisme de la tocante, l’horloger chausse ses lunettes au cadre démodé. Le diagnostic conclut à la défaillance d’une pièce de la mécanique. Les principales pannes rencontrées sont liées au mouvement, à un problème de pile, de changement de bras ou de batterie : « on peut détecter aussi une panne à l’intérieur ». ajoute-t-il. M. Sèye associe la réparation à la vente de pièces détachées.
Installé à Sandaga depuis 1983, l’horloger n’a pas subi de formation, mais a duré dans le métier. « Je suis né dans une famille d’horlogers. Même mon grand père faisait ce métier », confie-t-il. Et de poursuivre : « Au fur et à mesure que je grandissais dans cet univers où la montre tient la place la plus importante, le métier d’horloger me plaisait davantage et j’ai acquis une expérience considérable dans ce domaine. Si bien que de nos jours, même ceux qui ont fait la formation viennent me demander de l’aide ». El Hadji affirme tirer son épingle du jeu, grâce à ce métier hérité de ses aïeuls. Tout en se gardant de révéler le montant de ses revenus mensuels, il consent à dire : « Le plus important est que j’y trouve mon compte. C’est mon gagne-pain, ma famille vit de la vente et de la réparation de mes montres depuis le bas âge. Et je n’envie personne ».
Pour lui, l’horlogerie n’est guère en voie de disparition. Mieux, c’est un métier d’avenir. « Les soi-disant horlogers, c’est-à-dire ceux qui ne maîtrisent pas le métier, ont disparu, mais les vrais horlogers continuent d’exercer. Le travail d’horloger n’est nullement un tâtonnement, chaque pièce à sa référence », tonne-t-il. En effet, une vingtaine de clients vient tous les jours demander ses services. « La clientèle vient tout le temps. Certains d’entre eux ont même plus de quatre montres. Les types de montres deviennent de plus en plus nombreux. Et le choix est personnel », se défend-il. Il ajoute : « Ceux qui connaissent les montres choisissent des marques. 75% des montres sur le marché sont avec pile, mais les montres automatiques existent encore, bien que devenues rares ».
L’horloger n’a pas manqué de décrier le retard des clients lorsqu’il ne reste plus qu’à venir retirer leurs montre et payer : « Ils mettent quelquefois beaucoup de temps, au point que vous pensez ne plus les revoir. Parfois même plus de deux ans. Et un jour, ils débarquent en réclamant leurs bijoux. Cela me pose de grands problèmes », se plaint l’horloger. Et sortant un tiroir rempli d’une centaine de montres, il lance : « Vous voyez ce grand stock, leurs propriétaires ont disparu et ils peuvent réapparaitre d’un jour à l’autre ». La rareté des pièces est une autre difficulté à laquelle il doit faire face : « Je suis obligé de partir aux États-Unis pour me ravitailler », dit-il.
Les montres mécaniques sont plus difficiles à bricoler et prennent plus de temps. Ces montres nécessitent aussi beaucoup de pièces qui sont très rares. « Mais celles en quartz sont plus faciles à réparer. Leurs pièces sont surtout accessibles », renseigne M. Sèye. Pour le goût des Sénégalais en matière de marques, il estime que la Rolex est la préférée du plus grand nombre.