LIBERIA: EBOLA BAISSE, LE TRAFIC DE DROGUE REFAIT SURFACE
Bo Waterside (Liberia), 2 avr 2015 (AFP) - Depuis que le Liberia a rouvert ses frontières en février, après plusieurs mois de fermeture en raison de l'épidémie d'Ebola, les trafiquants ont repris du service, constate un responsable de l'agence anti-drogue à Bo Waterside, à la frontière avec la Sierra Leone.
Dans cette localité du nord-ouest du Liberia, où hommes et marchandises circulent beaucoup avec le commerce transfrontalier, "le trafic de drogue est un défi très sérieux", affirme Octavius Manning, chef de l'antenne locale de l'agence nationale anti-drogue (DEA) à une équipe de l'AFP qui s'est rendue sur place fin mars.
"Les chauffeurs de taxis, les commerçantes et même des agents de sécurité sont impliqués", explique-t-il, les yeux rivés sur les voitures franchissant le pont qui enjambe le fleuve Mano pour rentrer au Liberia. "C'est la partie déterminante de notre travail ici.
Presque chaque jour, nous découvrons de nouvelles ruses de narcotrafiquants. Ils dissimulent les drogues dans les marchandises", poursuit Octavius Manning, qui commande une petite équipe de trois personnes, sollicitée en permanence.
Avec Foya et Ganta (nord), qui jouxtent la Guinée, Bo Waterside est un des trois importants points d'accès terrestres au Liberia, qui avait fermé ses frontières fin juillet et imposé un couvre-feu en août, entre autres mesures radicales, pour tenter d'enrayer la propagation d'Ebola.
Depuis décembre 2013, l'épidémie a fait près de 10.500 morts sur plus de 25.000 cas recensés, essentiellement en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, d'après un bilan de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) arrêté au 29 mars.
Dans l'ensemble, le nombre de nouveaux cas est en baisse. Si la tendance est repartie à la hausse dans certaines zones en Guinée et en Sierra Leone, le Liberia (plus de 4.300 décès sur plus de 9.700 cas) semble sur la bonne voie pour contenir le virus, n'ayant enregistré en un peu plus de cinq semaines qu'un cas positif, une femme décédée le 27 mars.
- "Un gros risque" -
Grâce à l'amélioration de la situation, les frontières libériennes ont été rouvertes le 22 février, permettant à Bo Waterside de renouer avec sa circulation intense habituelle où se mêlent simples voyageurs, commerçants, petits voleurs mais aussi contrebandiers aguerris et narcotrafiquants en réseaux, indique Octavius Manning.
Depuis, la DEA de Bo Waterside a effectué sept arrestations et saisi environ 80 kg de marijuana de "qualité supérieure", d'une valeur d'environ 10.000 dollars (9.300 euros). M. Manning montre à l'AFP diverses drogues saisies depuis juin 2014, d'une valeur globale de 75.000 dollars (près de 70.000 euros), stockées dans son bureau.
"Octavius et son équipe, nous les appelons +Les Rocs+ à cause de leur ténacité dans le travail", témoigne Sidiki Waah, un habitant. "Ils ont procédé ici à des arrestations incroyables, que personne ne pouvait imaginer!"
Le tableau de chasse de M. Manning comprend des policiers et membres des forces de sécurité indélicats, haut placés pour certains, qui sévissaient de part et d'autre de la frontière. Ces dernières années, l'Afrique de l'Ouest est devenue une zone de transit pour les drogues produites en Amérique latine et destinées à l'Europe.
Dans certains pays, des responsables politiques ou de la sécurité sont notoirement impliqués dans le narcotrafic, d'après l'Office des Nations unies contre le trafic de drogue et la criminalité (ONUDC).
Des arrestations retentissantes de barons de la drogue et le travail sur le terrain d'agents locaux sont cependant en train de changer la donne. Ainsi, selon l'ONUDC, la quantité de cocaïne écoulée en Afrique de l'Ouest a été quasiment divisée par trois en six ans, passant de 43 tonnes en 2007 à 16 tonnes en 2013.
Au Liberia, la DEA a saisi l'année dernière plus de 1,4 kg d'héroïne et près de 2,9 tonnes de marijuana ainsi que plus de 250 gr de cocaïne, selon des chiffres de l'agence. Octavius Manning regrette cependant que son équipe ne dispose pas de moyens adéquats pour sa mission dans des zones sillonnées de nombreuses pistes.
Elle n'a ni kits de test, ni balance, ni ordinateur, ni moto. Or, dit-il, "il y a plus de 50 points de passage illégaux entre le Liberia et la Sierra Leone. Pour les surveiller tous efficacement, nous devons être mobiles".
Plus inquiétant encore, les agents de la DEA ne sont pas autorisés à porter des armes, affirme-t-il, ce qui met leur vie en danger lorsqu'ils doivent affronter des trafiquants ou suspects armés. Comme le jour où lui-même est intervenu contre un Sierra-Léonais qui tentait de traverser le fleuve Mano dans une pirogue remplie de marijuana.
"Nous nous sommes battus sur le fleuve. Il avait une arme, pas moi. Il a réussi à s'échapper. J'ai saisi la pirogue", raconte-t-il. "Plus tard, j'ai réalisé que j'ai pris un gros risque. Il aurait pu me tuer."