LIVRE HISTOIRE DES MÉDIAS AU SÉNÉGAL
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Tfm, un bébé né dans la douleur
Notre confrère Moustapha Barry, docteur en information et communication de l’Université Paris II Panthéon-Assas et diplômé en journalisme de l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (Issic) de Dakar, a publié, il y a quelques semaines, à la maison d’édition L’harmattan à Paris, un livre de 354 pages intitulé Histoire des médias au Sénégal de la colonisation à nos jours. L’ouvrage a été préfacé par le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse. Nous publions ici un deuxième jet de quelques bonnes feuilles de l’essai avec des titres faits par la rédaction.
Youssou Ndour a été confronté à plusieurs obstacles avant d’obtenir son autorisation. Ses rencontres avec le président de la République, Abdoulaye Wade, n’ont pas pu mettre fin aux griefs reprochés à Youssou Ndour, alors que le président Wade a déjà donné son agrément et que l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) lui a attribué un canal. Mais subitement le projet a été bloqué. Selon le ministre de l’information et de la communication, Moustapha Guirassy, qui répondait aux questions des députés à l’Assemblée nationale, le groupe de presse de Youssou Ndour «n’aurait pas totalement épuisé toute la procédure» pour obtenir définitivement une licence d’exploitations. D’après le ministre, les promoteurs de Tfm avaient «souhaité changer l’orientation de la future chaîne thématique en une chaîne généraliste»[1]. En d’autres termes, c’est parce que les responsables de la Tfm, qui ont déposé une demande pour une chaîne thématique, veulent maintenant une chaîne généraliste. Ce qui exige d’autres démarches différentes de la demande précédente.
La réponse du groupe Futurs Médias ne s’est pas fait attendre. Il récuse les arguments de son ministre de tutelle.«Étonnée par de telles déclarations, rapporte Wal Fadjri, la direction générale du Groupe Futurs Médias précise à travers un communiqué que les arguments brandis par la tutelle ne tiennent pas la route»[2]. En effet, selon le texte du communiqué, le ministre de l’Information, Bacar Dia, a attribué une fréquence au groupe par courrier daté du 04 mars 2008 et notifié au directeur général de l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP). La source documentaire indique que la direction générale du Groupe Futurs Médias, sur proposition du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, (Moustapha Guirassy), a adressé à ce dernier un projet de convention de concession par courrier daté du 05 août 2009 alors qu’une telle convention aurait dû être rédigée et soumise au Groupe Futurs Médias par les services compétents de l’État du Sénégal. Ce qui fait que «l’argument tendant à imputer au Groupe Futurs Médias la responsabilité du retard dans le démarrage des programmes de Tfm ne résiste pas à la réalité des faits [et que] les changements d’option d’une télévision culturelle à une télévision généraliste et du mode de diffusion, avec un passage de la voie hertzienne à la voie satellitaire, ne sauraient constituer un argument valable pour expliquer les blocages constatés»[3]. Pour les responsables du groupe de presse de Youssou Ndour, l’argumentaire du ministre de la communication servi aux députés sénégalais est «léger». Ils estiment que c’est «une haute autorité de l’État qui bloque l’autorisation de Tfm». On fait part des soupçons du président de la République sur le financement de la Tfm, financement qui proviendrait de l’étranger, notamment du groupe Bolloré. Et l’on sait que ce groupe venait de perdre l’appel d’offres lancé par le Port autonome de Dakar. Pour les autorités sénégalaises, en finançant la TFM, Bolloré aurait l’intention de combattre le régime de Wade. Ce que, bien sûr, Youssou Ndour a réfuté et fait intervenir Bolloré pour lever tous les soupçons. Il a aussi réfuté les accusations selon lesquelles sa radio, Radio Futur médias (Rfm), a une ligne très critique vis-à-vis du régime au pouvoir«Vincent Bolloré a produit une déclaration sur l’honneur selon laquelle il n’est ni de près ni de loin impliqué. Youssou Ndour est le principal bailleur de ses activités. Si on accuse mon groupe de presse de trop s’attaquer à l’État, je dis que c’est faux. Futurs Médias est numéro un au Sénégal. Les Sénégalais savent qu’il est sérieux et crédible»[4].
Les fréquences se distribuent au Palais et non à l’Artp
Pour faire face à ce blocage et mettre la pression sur les autorités sénégalaises, Youssou Ndour, jusque-là silencieux, sort ainsi de sa réserve pour mener, lui-même, la bataille afin d’obtenir sa télévision. Il lance ainsi une pétition qui recueille, selon ses dires, plus d’un million de signatures. Il menace de se lancer en politique ou battre campagne pour un candidat de son choix. Pour cela, il crée un mouvement qui s’appelle «Fékké maci boolé». Mais il précise que c’est un mouvement qui n’est pas dirigé contre le président Abdoulaye Wade. Et dans la même interview accordée à Jeuneafrique.com, le chanteur le plus populaire du Sénégal précise : «Je ne dis plus : «Jamais je ne ferai la politique.» Désormais, je ne serai plus neutre. J’ai une vision et une expérience qui peut me servir, et servir aux autres. Je ferai mon choix en fonction de la qualité des programmes et selon mes convictions». Youssou Ndour rencontre des personnalités du pays dont certains ont des différends avec l’État. C’est le cas de l’entrepreneur de BTP, Bara Tall, qui est accusé par l’État de complicité de surfacturation avec l’ancien premier ministre, Idrissa Seck, dans les chantiers de la ville de Thiès (80 km de Dakar), qui lui ont été attribués. Il lui est aussi reproché de ne pas avoir respecté le cahier des charges dans la construction de la route Fatick-Kaolack qui s’est dégradée en moins d’un an après sa livraison. Cette jonction entre les accusés du régime du président Wade inquiète le pouvoir qui compte se faire réélire en 2012. À cette pression s’ajoute celle du groupe de presse Futurs Médias, composé du quotidien L’Observateur et de la radio Rfm.
Alors entre en jeu le Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, qui «a des relations étroites avec la famille de Ndèye Sokhna Mboup, la maman de Youssou Ndour»[5]. C’est ainsi que, rapporte nettelli.com, Youssou Ndour, le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye et le ministre Karim Wade, fils du président de la République, Abdoulaye Wade, se rencontrent «secrètement» au domicile de la mère du chanteur pour aplanir les divergences entre le groupe de presse et l’État. Si rien n’a filtré de cette réunion, Youssou Ndour obtiendra par la suite une audience, négociée par le Premier ministre, avec le président Wade. C’est au sortir de cette audience que l’autorisation d’émettre de la Tfm fut accordée à Youssou Ndour. Toutefois, la télévision ne sera plus généraliste, mais une télévision thématique s’occupant de la culture conformément à la première demande formulée par le groupe Futurs Médias. Et le 1er septembre 2010, Tfm démarre ses émissions au grand bonheur de Youssou Ndour, de son personnel et de tous ceux qui l’ont soutenu au Sénégal et à travers le monde. De télévision thématique culturelle, Télévision Futurs Médias, devient, quatre mois après, une chaîne de télévision d’informations générales après une longue bataille menée par ses promoteurs.
Mais cette bataille est le reflet de l’absence d’une structure de régulation indépendante chargée d’octroyée des fréquences. Si l’Agence de Régulation des Télécommunications et des Postes en a la charge, sa voix n’est pas décisive. En effet, c’est le chef de l’État, Abdoulaye Wade, lui-même, qui est le principal distributeur des fréquences de télévisions au Sénégal.
C’est, pour la plupart, lors d’une audience, qu’il prend la décision d’octroyer l’autorisation et charge le ministère de tutelle de faire le nécessaire. Ce qui a pour conséquence la politisation du processus d’autorisation. Il est nécessaire soit de créer une structure indépendante chargée d’autoriser les fréquences de radios et de télévisions, soit charger l’Artp du travail ou confier le processus à la Commission nationale de Régulation de l’Audiovisuel (Cnra) avec des critères techniques, financiers et un cahier des charges connu à l’avance de tous. En conséquence, demander au chef de l’État et aux structures de l’État, notamment le ministère de l’Information et de la communication, de ne pas s’immiscer dans le processus. C’est de cette manière qu’on peut éviter de politiser l’octroi des fréquences de radios et de télévisions.
Mais tant que le chef de l’État et les autorités politiques sont au cœur de leur distribution, il n’est pas exclu qu’un promoteur invoque l’immixtion de la politique dans le refus de l’État d’autoriser sa chaîne de télévision d’émettre.
À suivre…