LOBBIES PUISSANTS, PRODUCTIVITÉ EN BERNE, SUBVENTIONS INEFFICIENTES
«L’agriculture sénégalaise est marquée par une croissance faible et fluctuante». Ce constat, les chercheurs et économistes l’ont partagé hier au cours du forum de vulgarisation sur les résultats de la recherche économique et sociale.
En effet, les chercheurs, qui ont animé la rencontre, ont effectué un diagnostic de fond de ce secteur, sur lequel est aujourd’hui adossée notre croissance économique. En ce qui concerne l’utilisation des ressources financières, le Pr Abdoulaye Diagne a, lui, souligné «que les subventions n’ont pas été ciblées, dans la mesure où elles ont bénéficié à pratiquement tous les secteurs agricoles».
De plus, ajoute le chercheur, «ces subventions n’ont pas été estimées en fonction des besoins réels». Et aujourd’hui, la problématique reste la «soutenabilité de ces pratiques», explique M.Diagne. «Plus les montants de ces subventions augmentent, moins de ressources sont disponibles pour les autres dépenses auxquelles le secteur doit faire face», souligne-t-il.
De l’avis de M. Diagne, bien qu’il soit nécessaire d’injecter beaucoup plus des ressources dans le secteur de l’agriculture, il reste cependant important «d’utiliser ces ressources avec beaucoup plus d’efficience, en les allouant autrement». L’autre problème de l’agriculture sénégalaise, c’est l’absence d’une modernisation des techniques de production. Ce qui engendre «la faiblesse de la productivité».
Et pour y remédier, explique le Pr Diagne, «il faut investir davantage dans la modernisation». De plus, explique le chercheur, «la croissance de l’agriculture est plus tirée par les superficies que par la productivité. Nous avons une croissance plus extensive qu’intensive. Une évolution qui pose problème puisqu’on ne peut pas indéfiniment disposer de nouvelles superficies à mettre en valeur pour pouvoir augmenter la production».
Papa Abdoulaye Seck Conseiller technique au ministère de l’Agriculture, qui est aussi Pr d’économie à l’Ucad, a lui regretté que le sénégal ne puisse toujours pas «tirer un meilleur profit des ressources agricoles que nous avons chez nous, les terres abondantes, les conditions climatiques favorables, etc.».
Cependant, cette situation peut engendrer des conséquences extrêmement sérieuses: «La conséquence c’est que, si vous avez des éléments d’opportunité économique que vous ne mettez pas en valeur dans ce contexte de concurrence internationale, vous verrez des investisseurs venir s’accaparer de vos opportunités de croissance et de développement.
C’est le phénomène d’acquisition internationale des droits de propriété agricole, le ‘‘land grabbing’’(Ndlr: l’acquisition controversée de grandes étendues de terre). Le Sénégal n’est pas en marge de ce processus mondial. Il y a eu l’affaire Fanaye par exemple. Et on n’est pas bien outillé pour pouvoir faire face à ce phénomène», alerte M. Seck. Ce dernier estime que nous devons surtout changer d’approche: «Nous ne voyons pas l’agriculteur comme un agent économique, mais comme quelqu’un qui a besoin d’assistance ».
L’autre problème de l’agriculture, cite l’économiste, c’est le manque de productivité. «Notre secteur agricole est à un niveau de productivité de 33%. C’est-à-dire si vous regardez tout le potentiel de création de richesse que nous avons dans le secteur nous sommes à 33% (1/3). On a vraiment 2/3 à atteindre.
Maintenant comment l’atteindre ?», se questionne le conseiller qui se demande même si «notre secteur agricole est réformable» au vu des lobbies qui pullulent dans le secteur agricole. «S’il y a un secteur où les intérêts stratégiques sont très puissants, plus puissants que dans tout autre secteur, c’est l’agriculture. Tout ce que l’Etat met en termes de milliards pour soutenir le secteur, il y a des individus, des organisations, des institutions qui sont là, qui en profitent et qui ne veulent pas qu’il y ait un changement qui bénéficierait à toute l’économie dans son ensemble», dénonce-t-il.
Une situation qu’il faudra traiter et renverser avec une volonté politique ferme et un soutien populaire «pour faire face à ces lobbies» et les éradiquer