"MÊME EN PRISON KARIM GARDE TOUTES LES CARTES EN MAIN"
BABACAR GAYE, PORTE-PAROLE DU PDS
Le Parti démocratique sénégalais (Pds) traverse un tournant décisif de son histoire marqué par un débat interne sur la succession d’Abdoulaye Wade. Mais selon Babacar Gaye, porte-parole du parti, l'ouverture de la succession de l’ancien président de la République, même délicate, doit être engagée dans la sérénité et la responsabilité. Dans cet entretien avec EnQuête, le Secrétaire national à l'orientation, aux stratégies, chargé des réformes, revient sur les véritables raisons qui sous tendent la suspension de l’audition de Fada et cie par la commission de discipline. Et rappelle que "même en prison", Karim Meïssa Wade garde toutes les cartes en main.
Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle au sein du Pds ?
Le Pds, comme toute organisation, est à la croisée des chemins. Il fait face à son destin dont il est le seul maître. Malgré la perte du pouvoir en 2012, notre parti est plus que debout et constitue la principale force de l'opposition. Les mutations qui sont en cours en son sein ne sont pas une fatalité. L'ouverture de la succession de Maître Wade, même délicate, doit être engagée dans la sérénité et la responsabilité. Par conséquent, cet exercice ne devrait pas présenter le parti comme une foire d'empoigne. L'essentiel de nos énergies gagneraient à être concentrées sur les défis politiques qui nous interpellent : libération de nos détenus politiques, soutien aux populations qui souffrent de l'incurie du gouvernement, constitution d'une force d'opposition alternative crédible pour faire face aux dérives d'un pouvoir incompétent etc.
Modou Diagne Fada a produit un mémorandum pour demander la restructuration du parti à travers la convocation du congrès pour le renouvellement de ses instances. Comment appréciez-vous sa démarche ?
Comme le pense la majorité des militants. Le Secrétaire Général National trouve que, même si l'essentiel du contenu de ce mémorandum pose d'intéressantes questions qui ont été soulevées bien avant cette fronde, la démarche n'est pas conforme aux règles de fonctionnement du Pds. Les instances régulières du parti offrent plusieurs cadres d'écoute et d'échanges pour aborder ces types de revendications. Évidemment sauf si l'on cherche à impliquer l'opinion publique qui ne saurait être l'arbitre d'un débat qui n'intéresse que les membres du Pds.
Mais Fada et ses camarades posent le débat sur le renouvellement des instances du parti…
S'il est légitime de poser un débat pour le renouvellement des instances du parti, il est contre-productif d'exiger le départ de Me Wade du Secrétariat général du Pds. La problématique de la réforme, de la restructuration, de la vente des cartes et des renouvellements des instances est acceptée et intégrée dans l'agenda du Pds. Me Wade est dans cette dynamique. Il a procédé à la restructuration du Secrétariat national et nommé des secrétaires nationaux dont les missions sont clairement définies dans une note administrative. Mais ce qui ne peut pas faire l'objet d'un débat, ce sont les décisions issues du dernier congrès du parti qui a décidé de maintenir Me Abdoulaye Wade comme Secrétaire général national jusqu'après la prochaine élection présidentielle et choisi, par un vote démocratique et transparent, Karim Wade comme le candidat du Pds à la présidentielle de 2017. Tout le reste de leurs revendications a fait l'objet d'un consensus quasi-général.
Ne pensez-vous pas que le parti doit aller vers un congrès pour apaiser la tension ?
Un congrès n'a pas vocation à apaiser une tension née d'incompréhensions, de malentendus et surtout de frustrations que certains responsables aussi légitimes que représentatifs ont dû accumuler. Tous ceux qui crient avec les loups n'ont pas les mêmes préoccupations que la meute. C'est pourquoi j'ai bon espoir que tout va rentrer dans l'ordre dès que le processus de réforme sera engagé. Et c'est pour bientôt.
Après avoir posé ce débat, Modou Diagne Fada et son groupe sont traduits devant la commission de discipline. Mais ils ont jugé cette instance du parti illégitime pour les entendre. Est-ce le cas ?
C'est leur lecture de nos statuts et de notre règlement intérieur. Ce n'est pas la mienne. Pour trouver une base légale à cette Commission de discipline, il suffit de combiner les dispositions des articles 22 et 23 des statuts du Parti Démocratique Sénégalais. Je n'en dirai pas plus.
Est-ce que la suspension des auditions ne leur donne pas raison dans une certaine mesure?
La suspension du processus est le résultat d'une convergence de volontés d'apaisement exprimées par le Secrétaire national chargé des conflits, médiateur et d'autres sages du parti. Le Secrétaire général national a tenu compte des résultats de ces initiatives pour ordonner la suspension des travaux de la Commission chargée de faire la lumière sur cette affaire. J'estime que c'est déjà un signe de maturité, de sagesse et d'un esprit de dépassement. Au demeurant, il faut que chacun joue sa partition avec responsabilité pendant cette phase importante de la vie du Pds.
Pourquoi le processus d’audition a-t-il été suspendu ?
Certainement pour laisser le temps au temps et que la raison l'emporte sur les passions. La préservation de l'héritage de Me Wade qui est un patrimoine commun, mérite que l'on garde toute notre sérénité afin d'apporter les réponses adéquates aux questionnements des uns et des autres. Il urge de jouer serré afin de nous préparer à assumer notre destin d'hommes et femmes engagés au service de notre peuple qui a beaucoup souffert de la politique politicienne.
Diagne Fada soutient pourtant que c’est Abdoulaye Wade qui a pris tout seul l’initiative de suspendre les auditions. Qu’en pensez-vous ?
Cela veut dire donc que Me Abdoulaye Wade demeure la "Constante" comme le théorisait Modou Diagne Fada. En vérité, le Secrétaire général national ne décide jamais seul quand cela concerne le parti. Il a l'habitude de consulter ses collaborateurs et tous les militants peuvent attester de son sens du pardon. Peut-être que cette fois-ci, il a été influencé par des colombes qui ne manquent certainement pas dans son entourage, en dépit de ce qu'ils en ont pensé. L'essentiel est que toutes les conditions d'une sérénité dans les rangs soient réunies.
Dans le communiqué du Pds faisant état de cette suspension, l’on évoque une médiation interne. Mais le président du groupe parlementaire "Libéraux et Démocrates" et ses camarades disent n’avoir jamais été saisis par un quelconque médiateur.
Franchement le parti n'est pas dans une perspective de polémique. Médiation entre qui et qui ? Le Secrétaire Général national, fort de sa légitimité historique et de la légalité des actes qu'il pose, a déjà tranché le débat sur les revendications du groupe de Fada. Oui aux réformes et au renouvellement des instances de base du parti à temps opportun. Le départ de Me Wade du Secrétariat général avant la prochaine présidentielle est une demande que le dernier congrès a massivement rejetée. Pour ce qui concerne la séparation du statut de candidat du parti et des fonctions de Secrétaire général national, les militants se prononceront librement avec les réformes des statuts et du règlement intérieur qui seront soumises à leur sanction.
Beaucoup d’analystes politiques prédisent l’implosion du parti si Abdoulaye Wade persiste à le diriger jusqu’après les prochaines élections. Ne craignez-vous pas un tel scénario ?
Ils ont tout faux. Les bons analystes politiques pensent le contraire. C'est le retrait prématuré de Me Abdoulaye Wade qui pourrait causer beaucoup de tort au parti. Son charisme, sa popularité et sa contribution à la fois intellectuelle et financière au rayonnement du Pds sont les seuls gages de la stabilité de notre parti. Une fois au pouvoir, il serait plus facile de s'affranchir de sa tutelle en promouvant un leadership partagé.
Après avoir rencontré des cadres du parti, Karim Wade a récemment reçu Modou Diagne Fada à la Mac de Rebeuss. Quel commentaire cela vous inspire ?
Chaque jour, Karim Wade reçoit des personnes qui viennent lui témoigner de leur sympathie et lui apporter leur soutien. Si Modou Diagne Fada estime que Karim est un élément déterminant pour briser l'engrenage dans lequel il s'était engagé avec d'autres responsables du parti, c'est tant mieux. Cela ne fait que renforcer le leadership incontestable du candidat du Pds qui a l'obligation de faire la preuve de ses aptitudes à rassembler autour de sa personne autant d'identités remarquables de l'échiquier politique. Je m'en félicite et attends avec intérêt les fruits de cette nouvelle tournure des événements. Même en prison, Karim garde toutes les cartes en main.
Quel est selon vous l’avenir du Pds dans le Landerneau politique sénégalais ?
Le Pds est le plus grand parti du Sénégal pour avoir su survivre au cataclysme du 25 mars 2012, résister aux multiples agressions du pouvoir actuel et participer avec des résultats probants aux différentes élections. Malgré l'acharnement du pouvoir sur ses principaux responsables et les débauchages tous azimuts à coup de millions, l'appareil reste debout et se prépare à assurer l'alternance en 2017. Nous en avons la volonté et les moyens politiques qui passent par la formulation d'une nouvelle offre politique à partir des acquis du Libéralisme social éprouvé, des leçons retenues des erreurs du passé et des apports des autres forces démocratiques en lutte pour une gouvernance vertueuse et efficace au profit du seul citoyen qui devient un partenaire privilégié.
Quel est votre avis sur le dernier réaménagement gouvernemental opéré par le président Macky Sall ?
Comme la majorité des observateurs de la scène politique, j'estime que le Président est encore passé à côté de la plaque. La fréquence des changements qu'il apporte à son management prouve à suffisance que son casting n'est pas bon. 5 directeurs de cabinet, 4 ministres du tourisme et que sais-je encore ne pressage rien de sérieux dans le choix des hommes qui l'accompagnent de sa gouvernance politique. Qui plus est, les échecs répétés dans des domaines aussi structurants comme l'énergie et l'eau dénotent d'une absence de vision claire pour le développement économique et social. A la place de ce replâtrage, c'est le gouvernement qui aurait dû être remercié. Avec ce réaménagement, on nous a servi un exercice de chaises musicales avec des allers-retours à n’en plus finir. A quelques mois de la fin de son mandat, il y a de quoi se faire des cheveux blancs.