MA CORNICHE N’EST PAS A VENDRE
Toute autorisation de construire délivrée par l’Etat à l’ambassade de Turquie est illégale. Mais oublions un peu l’aspect légal et réglementaire et posons nous la question de la légitimité des agressions sur la Corniche
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La situation créée par l’érection d’un mur sur la corniche par l’ambassade de Turquie au Sénégal, oblige les citoyens à interpeller à nouveau les autorités du Sénégal, et, en particulier Son Excellence monsieur le Président de la République, par rapport à la gestion du foncier et à la qualité de l’urbanisme dans la ville de Dakar.
La formation politique au pouvoir et son chef étaient membres du M23 pendant toute la période pré-électorale. Il me souvient que, pendant cette période, le M23 a rencontré des représentations diplomatiques pour les mettre en garde sur les problèmes que pose à long terme la gestion du foncier au Sénégal. Nous avons souvenir notamment d’une rencontre durant laquelle les représentants des partis politiques avaient noté le caractère imprescriptible des contentieux en matière foncière comme argument à opposer aux représentations diplomatiques qui pourraient être impliquées- ou dont des compatriotes pourraient être impliqués – dans des transactions illégales au Sénégal. A l’époque, cette position de principe consistant à avertir nos partenaires que le prochain gouvernement n’avaliserait pas les transactions illégales effectuées par le régime libéral, nous paraissait conforme aux attentes du peuple sénégalais en termes de bonne gouvernance.
Malheureusement, notre gouvernement, au nom des bonnes relations avec la Turquie et d’autres pays, est en train de s’installer dans l’illégalité par rapport à la construction de l’ambassade de ce pays sur la Corniche. Un des cadres de l’administration de l’Urbanisme a déclaré dans la presse que toute l’opération-et en particulier, l’autorisation de construire un mur accordée à l’ambassade Turquie, était légale. Malheureusement, les textes le contredisent formellement.
La délivrance de l’autorisation de construire relève de la compétence exclusive du Maire ou du Président du Conseil Rural. Il est vrai que notre gouvernement actuel essaie d’introduire une modification du Code de l’Urbanisme qui mettrait les projets de l’Etat, les projets « d’intérêt public » et les projets des représentations diplomatiques hors du champ des compétences du Maire. Ce texte a t-il déjà été adopté et promulgué suivant la procédure clandestine à laquelle le régime précédent nous avait habitué ? Nous espérons que non !!! Nous n’en avons pas trouvé trace sur le site du gouvernement.
Par contre, le Décret n° 2012-650 du 4 juillet 2012 relatif aux attributions du ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat ne fait pas état de la possibilité de délivrer des autorisations de construire pour le ministre de l’Urbanisme. Il n’est donc pas possible au ministre de l’Urbanisme d’autoriser une construction d’une ambassade, fût-ce un simple mur.
C’est, nous semble t-il, la raison pour laquelle le ministre de l’Urbanisme a limité son autorisation à la construction d’un mur. Il y a un an, nous avions déjà dénoncé cet acte comme illégal. Nous n’avions pas eu le moindre démenti de l’Etat sur ce point.
Pour le moment donc, toute autorisation de construire délivrée par l’Etat à l’ambassade de Turquie, est illégale. Mais oublions un peu l’aspect légal et réglementaire et posons nous la question de la légitimité des agressions sur la Corniche. Cet aspect est relatif à la qualité de la gouvernance de notre pays. C’est un des aspects fondamentaux qui avaient opposé le peuple sénégalais au régime libéral. Nous pensions que nous en avions fini avec la mal gouvernance. Elle semble s’être parfaitement adaptée aux nouvelles conditions politiques.
Quelle a été la procédure utilisée pour octroyer ce terrain à l’ambassade de Turquie ? Y a t-il eu une enquête publique ? Les populations riveraines ont-elles été consultées ? Si ces actes ont été réellement effectués, il en reste des traces. Il suffit au gouvernement pour montrer sa bonne foi de publier ces traces. Et qu’on ne nous dise pas que cela a été fait avant le 25 mars 2012. Car si cela était, on ne saurait cautionner un acte qui visiblement aurait été entaché d’illégalité.
Nous sommes d’autant plus surpris de la position des autorités que récemment, un aménagement d’un espace paysager sur la Corniche a vu ses travaux interrompus par les agents du ministère de l’Urbanisme sous prétexte qu’il n’y avait pas de permis de construire. Auparavant, l’Etat avait commis une mission dirigée par monsieur le Préfet de Dakar, en sollicitant l’appui de scientifiques renommés pour tenter de prouver que les aménagements paysagers en question pouvaient remettre en cause la stabilité de la Corniche. A la fin de cette visite, le spécialiste de la Corniche s’était déclaré en accord avec les provisions faites par l’équipe de projet. Il ne s’agissait que de pavage et de bancs publics. Les constructions sur la Corniche (il ne s’agit pas là d’aménagement paysager ni de pose de pavage) n’auront-elles aucune répercussion ? Je suis sûr que le scientifique qui avait été interrogé sur le site de Lat-Dior pourrait valablement éclairer la lanterne de nos autorités sur l’occupation généralisée de la Corniche et ses conséquences.
Monsieur le Président de la République devrait également solliciter l’avis du laboratoire de la qualité de l’air (Eh oui, il en existe un à Dakar !!) sur l’incidence de la coupure des alizés sur la santé des Sénégalais.
La même administration qui se montre tatillonne par rapport à des projets de la Mairie de Dakar ne comportant aucune construction peut-elle décemment défendre la construction d’une ambassade sur le DPM ? Et encore, s’il ne s’agissait que d’une ambassade ? Le drapeau du Koweït flotte sur une partie de la Corniche près de la mosquée de la divinité. Juste avant cet endroit, on ne voit plus la mer à cause d’une clôture positionnée à partir du rond-point. L’Ambassade de Turquie est emblématique parce que nous ne pouvons pas nous empêcher de penser qu’il y a un lien très fort entre la construction du Centre de Conférences pour la Francophonie et ces facilités accordées à cette ambassade. On nous a dit que la Turquie avait accordé 4000 m2 au Sénégal pour construire son ambassade. Soit ! Mais si ce terrain existe, est-il situé au pied des murailles d’Istanbul qui sont classées au patrimoine de la Turquie ou sur la place TAKSIM occupée par des manifestants qui réclamaient l’annulation d’un permis de construire donné sur cette place ?
Le gouvernement turc lui-même devrait comprendre que le peuple sénégalais ait envie de défendre son patrimoine naturel au même titre que les manifestants de la place TAKSIM ? Ou pense t-il que les Sénégalais n’ont pas les capacités de résistance du peuple turc ? Je suis étonné que les autorités actuelles, qui ont participé aux manifestations du M23 pendant des mois, aient si courte mémoire ? C’est la capacité de résistance des Sénégalais qui a permis l’installation du Président Macky SALL au Palais de l’avenue Léopold Sédar SENGHOR. Nous devrions tous nous en souvenir.
Il s’y ajoute que le Président de la République s’est engagé à défendre les intérêts des Sénégalais de toutes ses forces. S’il pense que les Sénégalais considèrent qu’il est de leur intérêt de ne plus voir la mer sur la Corniche de Dakar en échange d’un centre de conférences, il se trompe lourdement. Il est de la responsabilité de ses conseillers de le lui dire.
Nous sommes également conscients que l’érection de cette ambassade serait juste un ballon d’essai. Si nous laissons passer ce projet, toute notre corniche sera privatisée par les lobbies des spéculateurs de toute sorte, dépiécée et distribuée à des privilégiés qui n’auront comme seul mérite que leur proximité au pouvoir en place.
Est-il de l’intérêt des Sénégalais de se voir interdire l’accès à la mer par des ambassades (relations diplomatiques obligent !!), par des hôtels (les emplois créés sont tellement importants pour notre pays, n’est-ce pas ?) ou des constructions d’appartements et de villas privés (là, le justificatif est un peu plus difficile à trouver).
Ma Corniche n’est pas à vendre. Elle vaut plus que les avantages d’un investissement hôtelier, beaucoup plus qu’un Centre de Conférences pour la francophonie, infiniment plus que la satisfaction d’un groupe de privilégiés. Aujourd’hui, des hôtels, des espaces de récréation à qui l’Etat avait accordé des espaces, se sont étendus comme une gangrène sur notre littoral, sans que personne ne dise rien, sans que l’Etat qui doit protéger notre bien commun, ne lève le petit doigt. Par contre, l’Etat sénégalais sera très ferme quand il s’agira de mettre en prison un chef de chantier qui n’aura pas de permis de construire. Nous qui croyions naïvement que tout cela allait changer et que la mal gouvernance de notre foncier serait définitivement stoppée.
Monsieur le Préfet de Dakar a interdit une marche d’information sous le prétexte qu’à l’approche du 04 avril, les forces de police ne pouvaient pas être mobilisées en nombre suffisant pour l’encadrer. Par contre, nous avons assez de forces de police pour installer une patrouille en permanence à proximité de ce mur, qui, soit dit en passant, n’est menacée par personne. Nous en prenons acte, mais que les autorités mesurent l’ampleur de la tâche qui les attend s’il faut interdire la marche sur la corniche à des promeneurs et autres randonneurs. Surtout qu’il n’y a pas de dress-code légal qui m’empêche de porter un T-shirt avec « NON AU MUR » inscrit dessus pour aller faire du sport le long des attributions faites sur cette corniche. Pour nous, le seul moyen de contrôler l’action publique est de garantir notre liberté d’expression et notre capacité d’indignation. La manière dont la spéculation sur la Corniche est gérée par nos autorités nous donne une bonne idée de la qualité de la gouvernance qu’elles veulent établir.
Mais surtout il est temps d’interpeller nos acteurs politiques. Tout le monde fait la cour aux dakarois pour les prochaines élections. Mais sur des choses concrètes qui touchent notre quotidien et qui devraient être la préoccupation principale de ceux qui souhaitent recueillir nos suffrages pour les élections locales, nous n’entendons pas les acteurs traditionnels.
Nous sommes au stade des actes et pas seulement des déclarations creuses. Les protecteurs de la Corniche (essentiellement des membres de la société civile que notre code électoral considère comme des citoyens de seconde zone incapables de gérer une collectivité locale) pourraient parfaitement lancer un mot d’ordre de boycott de tous les candidats, de toutes les listes qui ne se prononceraient pas clairement contre la construction de l’ambassade de la Turquie sur la Corniche et pour l’arrêt immédiat de toutes les constructions sur le littoral tant que la loi littorale ne serait pas votée. Dans toutes les rencontres pré-électorales, il faut poser cette question au candidat, de la manière la plus abrupte pour ne pas laisser la moindre possibilité à la langue de bois de s’exprimer. En effet, pourquoi voterais-je pour quelqu’un qui complote à dégrader mon cadre de vie ? Dans la même optique, nous pourrions censurer tous ceux qui se proclament solidaires des spoliateurs qui nous ont mis dans cette situation et tous ceux qui traînent à voter des lois protégeant notre environnement.
Vous croyez vraiment que cela n’aurait pas d’effet ???
Mamadou Jean-Charles TALL
Citoyen sénégalais, Dakarois de cœur