MACKY À LA BONNE ÉCOLE DE SENGHOR
C'est à bord d'un vol commercial que le chef de l'État a effectué le déplacement, aux États Unis la semaine dernière, en compagnie de son épouse et de quelques proches laissant l'avion de commandement dans ses hangars
Le Président Macky Sall a été aux États unis la semaine dernière, en compagnie de son épouse et de quelques proches, pour prendre part à une cérémonie de remise de diplômes, à l'Université, à une cohorte d'étudiants dont un de ses fils.
On peut considérer que c'est un fait banal, mais les conditions du voyage présidentiel l'ont rendu exceptionnel. En effet, c'est à bord d'un vol commercial que le chef de l'État a effectué le déplacement, laissant l'avion de commandement, la Pointe Sarène, dans ses hangars. Cet avion devra aller le chercher à Paris, après qu'il aura terminé ses activités privées, pour le conduire à une réunion de la Cedeao à Accra.
Quoi de plus normal pour un déplacement privé ? Mais on est bien obligé de relever que le Sénégal et sans doute l'Afrique, ont rompu avec cette normalité depuis la disparition de chefs d'État pétris de l'éthique des Léopold Sédar Senghor, Seyni Kountché ou Julius Nyerere. Dans nos pays, les chefs d'État ne distinguent plus les affaires publiques et les affaires privées, surtout dans un pays comme le Sénégal où nous avons assisté, pendant douze bonnes années de règne d'un certain Abdoulaye Wade, à toutes sortes de dérives.
Dans ces colonnes, nous avions eu à relever, à maintes reprises, pour nous en indigner, que le Président Wade effectuait ses déplacements les plus privés, à bord de son avion de commandement ou à bord d'aéronefs loués aux frais du contribuable sénégalais. Plus grave, combien de fois lui et son épouse Viviane, de même que leur fils Karim Wade, avaient eu à affréter des avions spéciaux pour effectuer des déplacements, à quelques heures d'intervalle, vers une même destination ?
Devant notre indignation, un des proches de Me Wade nous faisait remarquer qu'il n'est pas recommandé, dans nos pays, que tous les membres d'une même famille voyagent ensemble dans le même moyen de locomotion. On aurait envie d'en rire ou d'en pleurer ? Quel cynisme !
Et on ne compte pas le nombre de fois qu'une première dame, nommée Viviane Wade, faisait des va-et-vient entre le Sénégal et la France avec un avion de commandement rempli de ses amis personnels. Tous ces gestes sont si récents que nous ne pouvons pas encore les avoir oubliés.
Une autre Première dame, nommée Elisabeth Diouf, avait eu à agir de la même façon. On s'en souvient encore. Un Premier ministre nommé Habib Thiam avait pris l'avion de commandement, la Pointe de Sangomar pour une consultation ophtalmologique en France. Cela avait suscité le tollé.
On pourra toujours dire qu'une "hirondelle ne fait pas le printemps" mais le geste du Président Macky Sall constitue donc une véritable rupture. Il aurait fait comme Abdoulaye Wade que l'opinion publique lui serait tombée dessus. On devrait être juste en lui reconnaissant ce qui traduit un certain mérite de savoir dissocier les affaires publiques et les affaires privées.
Personne n‘a encore vu la Première dame Marième Faye Sall affréter un avion spécial pour ses déplacements personnels ou au nom de sa fondation servirle Sénégal. Macky Sall avait promis une gouvernance sobre et vertueuse jusqu'à ce que ses collaborateurs, sevrés de toutes les sinécures, tournent ce slogan en dérision en parlant de gouvernance pauvre et vertueuse.
Le souci du chef de l'État de ménager les ressources publiques serait si ancré qu'on se rappelle que lors d'un déplacement officiel en Australie, pour prendre part à une réunion du G 20 en novembre dernier, le Président Sall, après avoir évalué les coûts du voyage, avait préféré laisser l'avion présidentiel au parking pour prendre des vols commerciaux. Léopold Sédar Senghor procédait de la sorte.
Le Président-poète avait un sens si élevé de dépenser les biens publics avec parcimonie au point de libérer tout son personnel de service durant ses vacances. Il ne lui restait que le strict minimum nécessaire pour sa sécurité. Léopold Sédar Senghor pensait à ses concitoyens dans ses actes quotidiens de gouvernance. Un de ses anciens collaborateurs rapporte une anecdote lors d'un voyage du Président Léopold Sédar Senghor à l'étranger. Le Président Senghor demandait à son commandant de bord la meilleure heure pour décoller afin de ne pas gêner le trafic à Dakar à son arrivée.
Il convient d'ailleurs que le Président Sall revoie le dispositif de jalonnement de son itinéraire lors de ses déplacements à Dakar. Un tel jalonnement incommode la population. Il aurait déjà demandé l'allégement ou la suppression pure et simple de ce jalonnement, mais les autorités militaires lui auraient opposé des impératifs sécuritaires. C'est à voir.
Dans des pays plus exposés que le Sénégal, les chefs d'État ne se déplacent pas avec tout le ronronnement et le flonflon que l'on a dans nos pays. Un ancien ambassadeur du Sénégal raconte la surprise du Président Abdou Diouf lors d'un déplacement en Europe, de voir son cortège s'arrêter à un feu rouge".
Il avait fallu lui expliquer que le chef de l'État du pays hôte aurait à expliquer le lendemain à sa population de quel droit il ne s'arrêterait pas aux "feux rouges", alors que les autres citoyens y étaient tenus. Dans nos pays, les cortèges officiels, de tous calibres, empruntent allègrement les sens interdits et n'ont cure des limitations de vitesse.