MACKY ET LA GESTION POLITICIENNE DE LA CHOSE PUBLIQUE
"Quel que soit le jugement du peuple au terme de ce premier mandat, ce ne sera pas un problème pour moi. Je suis encore jeune et j'ai tout l'avenir devant moi". Ainsi s'est exprimé le chef de l'Etat, Macky Sall, vendredi 20 septembre 2013, à l'occasion du lancement du programme de Couverture maladie universelle (Cmu). Le chef de l'Etat veut-il réconcilier ses compatriotes avec une espérance mise à mal par certaines de ses déclarations antérieures, notamment lorsqu'il a enjoint les Directeurs généraux d'établissements publics affiliés à son parti de gagner les élections dans leurs localités sous peine de se voir débarquer ? Ce qui , faut-il en convenir, était un encouragement à une gestion politicienne de la chose publique.
Macky Sall aurait-il enfin compris, par la magie d'un sursaut salvateur, la mission dévolue à la génération post indépendance dont le Premier ministre et lui sont aujourd'hui des acteurs emblématiques. Ce qui devrait justement lui ouvrir le grand boulevard des audaces qui sculpte les possibles, nourri par le sens de l'histoire et la perspective de faire autre chose de ce qu'on a fait du Sénégal jusqu'à présent.
63 ans après son accession à la souveraineté nationale, ceux et celles qui sont nés avant les indépendances ont vu leur pays tomber dans la décadence. Qu'elle était charmante Dakar, en ces années là ! On y faisait du lèche vitrine. La ville n'était pas encombrée. Le Building Maginot était une merveille, de même que l'avenue William Ponty. Il y avait des terrasses de café, des salles de cinéma, des librairies. Dans les villages, les greniers étaient remplis de vivres. Dans les premières années de l'accession à la souveraineté nationale, l'école publique jouait son rôle d'ascenseur social. Aussi, l' école privée était-elle réservée aux potaches qui n'arrivaient pas à suivre et non à ceux de l'élite, comme c'est le cas aujourd'hui. Il en était ainsi de l'environnement avec des quartiers propres comme les Sicap ou le Point E .
Sûr que les jeunes élèves du lycée Blaise Diagne qui, dans les années 60, profitaient des heures de permanence pour aller chaparder alentour des mangues vertes et autres fruits de saison qui s'offraient avec générosité dans le quartier du Point E, n'en reviendront pas de voir ce qu'il est devenu. Naguère coquet, avec une véritable personnalité architecturale, il se retrouve, comme les Sicap, complètement défiguré avec des constructions qui vont dans tous les sens, emportant du même coup son héritage mémorial voire son patrimoine architectural.
C'était aussi une époque où les valeurs avaient encore un sens. Personne n'osait s'afficher avec l'argent volé ni parader avec l'insouciance et l'insolence de ces temps modernes. Faire de la prison pour détournement de deniers publics jetait l'opprobre sur la famille.
Loin d'être une nostalgie qui s'évertue à vouloir présentifier une époque révolue, ce clin d'œil au passé est plutôt l'expression de quelque chose d'autre de plus dynamique qui s'apparente à une nostalgie de l'excellence. C'est pourquoi, la déclaration du président apparait comme un avertissement susceptible de rassurer les personnes qui commençaient à se laisser envahir par le doute, pris par la crainte de voir le Parti prendre le dessus sur la Patrie. Le chef de l'Etat se doit donc de montrer plus que jamais qu'il est mû par un meilleur être du Sénégal et des Sénégalais et non par l'obsession de sa réélection, laquelle d'ailleurs n'aura de sens que parce qu'elle sera la sanction du travail accompli, à travers les réponses concrètes apportées aux nombreuses attentes des populations.
Les chantiers sont énormes et les gagner nécessite de se doter d'une vision qui rompt avec les petits calculs qui ont pour horizon le très court terme. Le Sénégal a en effet besoin d'être secoué par la folie créatrice du bâtisseur, pour la simple raison qu'il est difficile de faire des œufs sans casser des omelettes. L'éradication des inondations récurrentes dont souffre la région de Dakar nécessite des mesures fortes, impopulaires parce que courageuses, puisqu'il faudra réparer des fautes qui ont été commises par les populations et les régimes précédents qui ont abdiqué de leurs responsabilités. Ils ont laissé les gens construire dans les zones non aedificandi, n'hésitant même pas à s'installer dans la zone de captage. C'est dire ! A l'évidence, les milliards de francs Cfa injectés à pomper l'eau ou à exécuter le plan "fendi" n'y feront rien, du fait que "nul ne peut en effet arrêter la mer avec ses bras". La solution incontournable est par conséquent de permettre à la nature de retrouver sa voie naturelle.
Les grands chantiers, c'est la modernisation d'une agriculture encore grandement soumise à des techniques culturales archaïques. C'est une des conditions pour freiner l'exode rural en procurant aux gens, aux jeunes notamment, des raisons d'espérer chez eux, dans leurs terroirs, parce qu'ils peuvent y vivre et s' épanouir sans être tenaillés par l'irrépressible envie de partir n'importe où, prêts à faire n'importe quoi en espérant s'en sortir. La mission qui incombe à Macky Sall est donc de réconcilier ses compatriotes avec une espérance confisquée et piétinée par une gouvernance gangrénée par la corruption et la concussion.
Remettre la pirogue Sénégal à l'endroit ne sera pas une mince affaire. Fragilisé lors de la très longue mandature socialiste, il a tangué, manquant de se renverser durant les douze années de gouvernance wadienne qui ont vu se côtoyer le meilleur et le pire. Le meilleur, du fait de l'audace d'un agitateur d'idées qui n'avait pas peur d'y aller et savait ne pas se laisser envahir par une quelque frilosité inhibitrice. Le pire, c'était cette grosse tête encombrée par un aveuglant amour de soi et un détestable mépris des autres qui lui faisait croire que le Sénégalais était achetable à souhait et que l'intelligence du pays avait trouvé refuge dans son seul cercle familial.
Ce n'est pas pour rien que la traque des biens mal acquis s'apparente à une forte demande sociale. Il y a comme une volonté de rupture de la part d'une large frange de Sénégalais avec un continuum de renonciations qui ont marqué les premières années d'indépendance, pour se ressaisir et écrire enfin une autre histoire qui dessine une nouvelle trajectoire. Et cela passe par la rupture définitive avec un certain nombre de pratiques qui ont notamment émaillé la gestion de Macky Sall, à savoir les marchés de gré à gré; l'immixtion de l'entourage familial dans les affaires publiques, etc.
L'avertissement du chef de l'Etat n'aura par conséquent de sens que s'il traduit une forte détermination à se tourner vers la résolution des problèmes des Sénégalais, en dehors de tout calcul partisan. Voilà Macky Sall à l'épreuve pour le reste du quinquennat.