MACKY, LA TERRE ET LE LOGEMENT

La problématique du logement est une des préoccupations majeures de tout Etat constitué, de par sa dimension pluri utilitaire. En effet, le logement est le réceptacle du ménage qui est la cellule, l’entité de base du tissu social qu’est la Nation, il est également le premier instrument de sûreté, car il est l’abri qui accueille et sécurise la famille.
Il est en outre le lieu de développement humain et social des individus qui composent la communauté. C’est pourquoi une politique d’habitat efficace est une priorité essentielle pour tout gouvernement soucieux d’assurer le bien- être social de ses fils et filles.
Cependant, des milliers de Sénégalais du pays comme de la diaspora se font gruger par des promoteurs véreux sous le regard parfois complice des régimes en place qui à l’occasion leur servent d’agents commerciaux : Qui ne se souvient pas du Président Wade demandant aux émigrés sénégalais de l’Italie de s’inscrire dans le projet de la société Namora sis à Tivaouane Peulh ?
Aujourd’hui, le collectif des victimes de Namora et le collectif des victimes de la société Agir ne savent plus à quel saint se vouer...
La nature ayant horreur du vide, l’incapacité, voire la démission, de la Sicap et de la Snhlm à satisfaire la demande en logements sociaux a laissé la place à des truands en tous genres, qui font des offres défiant toute concurrence à travers les journaux, avec la complicité manifeste de certaines collectivités locales et banques de la place. Or, les transactions en matière immobilière sont rigoureusement encadrées par le législateur, qui en a confié le monopôle à l’ordre des notaires.
Au lendemain de l’élection du Président Macky Sall, les Sénégalais s’attendaient à une politique de rupture dans le secteur de l’immobilier pour permettre aux citoyens d’avoir un accès massif à un habitat de qualité après douze années d’errements du régime wadien marquées de scandales de toutes sortes.
Après deux ans et demi de pouvoir, force est de reconnaître que dans ce domaine comme dans d’autres, le manque de vision est manifeste.
Ce manque de vision se traduit en premier lieu par la qualité des personnes nommées au département ministériel en charge de l’Urbanisme et de l’Habitat, qui sont loin d’avoir le profil et qui au demeurant, caractérisent une volonté du Président Macky Sall de céder ce secteur ô combien stratégique aux investisseurs étrangers : le ministre en charge de l’Habitat, Diène Farba Sarr, n’est autre que l’ancien ministre en charge de la Promotion des investissements. (Investissement s’entend Ide : investissement direct étranger).
En second lieu, les méthodes utilisées par le président de la République pour assurer le développement du secteur sont fortement contestables. En effet dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, on force le Sénégal à se déshabiller pour attirer le regard de l’étranger. Alors que ce que l’on recherche à l’extérieur existe bel et bien ici dans notre pays, il suffit de réfléchir pour trouver des solutions.
Le constat est affligeant. La terre qui est la première des richesses d’une Nation est bradée aux étrangers.
Passons sur les centaines d’hectares de terres au nord du pays, données aux expatriés au détriment des autochtones, pour des cultures qui ne sont même pas destinées à nourrir la population, mais plutôt à produire du biocarburant à réexporter. Une option capitaliste qui favorise les investisseurs et transforme nos paysans en ouvriers agricoles, instaurant une forme de prolétariat rural.
Le Sénégal a donné gratuitement des terres à une société marocaine pour construire des immeubles à Diamniadio. Les terres de l’ancienne gare routière de Pompiers seront données à une société immobilière de ce même pays pour recevoir 17 tours de 10 étages chacune.
Dans la perspective d’accélérer la production de logements, 300 hectares de terres sont données à une société dénommée Getran et 250 hectares à la société Teylium, deux sociétés inconnues dans le domaine de l’habitat social. Un autre projet d’envergure est prévu sur les rives du Lac Rose sur un financement qatari.
Au même moment, la Snhlm a lancé un appel d’offres sous le numéro AAON°T_DT_042/PPM/2014 pour la construction de 1 000 logements. Dans cet appel d’offres, elle se proposait d’acheter aux participants les terres qui devront accueillir les- dits logements.
Curieusement, cet appel d’offres a été remporté par la Socabeg, malgré les sérieuses contestations du directeur technique de la Snhlm, Socabeg la même société qui avait vendu à l’Etat de Macky Sall les terres devant accueillir la cité Tawfekh Yakaar, destinée aux sinistrés des inondations, Socabeg la même société, encore elle, qui avait vendu à la Lonase sous Baïla Wane, un immeuble à quatre niveaux en construction à plus d’un milliard de francs Cfa sur la route de l’aéroport.
Ainsi se résume toute l’incohérence du régime du Président Macky Sall en matière d’habitat. Un Etat titulaire de la loi sur le domaine national, qui achète la terre pour ses propres besoins tout en l’offrant aux privés avec des exonérations fiscales sur les logements qui y seront construits. On dépouille ainsi l’Etat de ses ressources comme si l’on n’avait pas une infinité de dépenses à satisfaire ailleurs.
L’ambition de construire rapide- ment des logements est louable et la motivation est réelle, car la demande en logements neufs, compte tenu de l’évolution démographique, est estimée à 12 500 par an alors que la production tourne autour de 5 000 logements, privés et publics confondus, selon une étude d’Oxford business group. Il y a en l’état actuel des choses un gap de 125 mille logements. C’est la méthode choisie par le gouvernement du Sénégal, qui consiste à offrir ce secteur aux étrangers, qui n’est pas bonne à notre avis.
Compte tenu de l’importance stratégique de ce secteur, qui constitue un levier de croissance économique formidable, il convient d’aller au- delà de l’aspect utilitaire qui est d’offrir des logements aux Sénégalais, pour prendre conscience des enjeux financiers de ce secteur à très forte valeur ajoutée. Il serait beaucoup
plus profitable pour notre économie que le secteur soit contrôlé par des capitaux sénégalais, ce qui aurait comme conséquence une cascade de valeurs ajoutées à partager au niveau interne, partant de notre système financier jusqu’aux artisans, en passant par les entreprises de promotion immobilière, de construction, de menuiserie, d’équipements et de matériaux de construction, etc.
Par ailleurs, la faiblesse du marché financier au Sénégal et la rareté des produits financiers de placement font en sorte qu’en dehors des titres émanant de l’Etat (bons du trésor, emprunts obligataires) et des actions des quelques sociétés cotées au niveau de la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm), le domaine privilégié qui reçoit les investissements des acteurs disposant d’une épargne conséquente, c’est le secteur de l’immobilier.
Les entreprises d’assurances, les Institutions de prévoyance sociale (l’Ipres et la Css) et d’autres disposant de réserves à faire fructifier, telle que la Caisse des dépôts et de consignation (Cdc), interviennent dans ce secteur pour assurer la pérennité de leurs actifs. Or, il est du devoir impérieux de l’Etat de garantir la survie de ces institutions sociales à dimension nationale.
Dans un tel cas de figure, donner le secteur de l’immobilier à des expatriés équivaudrait à enlever le pain de la bouche des investisseurs locaux pour l’offrir à l’étranger, avec comme résultante in fine la fuite des capitaux, tout le contraire des institutions financières domestiques qui pourront bonifier la rentabilité de leurs réserves financières (en ce qui concerne les organisations sociales) assurer la pérennité de leur activité et réinvestir leur plus-value dans d’autres domaines de l’économie.
C’est cette analyse au second degré qui fait défaut chez nos autorités. Souvent elles essaient de parer au plus pressé en faisant des choix de court terme qui parfois hypothèquent l’avenir du pays : l’essentiel étant pour elles de présenter un bilan de réélection et/ou de se remplir les poches en touchant des commissions sur de gros contrats.
Or, il convient, au-delà de la problématique de l’accès au logement de nos concitoyens, de prendre en compte les intérêts du Sénégal dans la répartition des gains générés par les activités de promotion immobilière, d’autant que le secteur des Btp constitue une locomotive de croissance économique importante, car comme le dit l’adage : lorsque le bâtiment va tout va !
Ainsi, le Sénégal gagnerait à mettre en place un circuit économique interne fermé qui assure la conception, le financement, la production et la commercialisation de logements et autres bâtiments de type administratif.
Le Sénégal, il faut le reconnaître, a une avance certaine dans ce domaine, comparativement aux pays de la sous-région. Notre pays dispose d’instruments institutionnels capables de prendre en charge cette question. En effet, nous avons sur place une banque spécialisée dans l’habitat, deux sociétés nationales de pro- motion immobilière : la Sicap et la Snhlm.
Tout dernièrement avec le régime dit de l’Alternance sous Wade, l’Ipres, la Css, et La Cdc ont été introduites maintenant dans le secteur de l’habitat social. A partir de cette énumération, s’énonce clairement un besoin de réorganisation pour mettre fin à cette dispersion des forces, cette cacophonie organisée à des fins inavouables.
Que faut-il faire ?
Pour répondre à cette question, analysons l’exemple de la France. Dans ce pays, la Cdc reçoit les réserves des institutions de prévoyance sociale (Caisse de sécurité sociale, caisse de retraite), des caisses d’épargne en sus des dépôts provenant de personnes détenant des fonds pour le compte d’autrui (notaires, syndics, greffiers) et des consignations correspondant à des sommes dont les destinataires sont inconnus ou contestés.
Grâce à ses ressources, la caisse de dépôts et de consignation est devenue le plus grand banquier de la planification française après le Trésor. Elle supporte largement la politique française d’habitat social. A travers sa filiale dénommée Groupe Sni (www.groupesni.fr) lui appartenant à 100%, la Cdc offre un logis à plus d’un million de Français avec près de 278 mille logements produits.
Dans ses perspectives de développement, le groupe Sni ambitionne de produire 50 mille logements d’ici l’an 2018. Le groupe Sni avec un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros (900 milliards de francs Cfa) a un personnel de 4 200 collaborateurs.
La Cdc détient également une autre filiale dénommée Icade, spécialisée dans la construction de plateaux administratifs destinés à accueillir des bureaux et de bâtiments de haut standing, recevant des acteurs très diversifiés allant des départements ministériels aux activités hospitalières, en passant par les résidences universitaires.
Son cœur de cible est le développement harmonieux des villes. Icade détient un parc immobilier estimé à 9 milliards d’euros (5 900 milliards de francs Cfa) mis à la disposition de la communauté à travers des contrats de crédit bail.
Icade est ainsi un acteur majeur du Grand Paris et du développement territorial capable d’apporter des solutions globales, durables, innovantes et adaptées aux besoins de ses clients et aux enjeux de la ville de demain. Icade a un chiffre d’affaires annuel de 1,5 milliard d’euros (983 milliards) avec un personnel de 1 721 collaborateurs.
A la lumière de ce qui précède, il conviendrait d’élargir la base de l’assise financière de la Cdc sénégalaise en lui confiant la garde des réserves de l’institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) de la Caisse de Sécurité Sociale (Css) et du Fonds national de retraite (Fnr). La Cdc pourra également créer une compagnie d’assurance et de réassurance toujours dans la perspective d’augmentation de ses ressources.
Le Fongip et le Fonsis peuvent aussi y être intégrés. La capacité financière de la Cdc peut facilement atteindre le montant de 500 milliards de francs Cfa sur la base d’une simple décision administrative : (vote d’une loi, décret présidentiel).
A cette réforme de la Cdc, il conviendrait d’associer une réorganisation du secteur de l’habitat social par le regroupement des entreprises nationales de promotion immobilière (Sicap et Snhlm) en une seule entité forte détenue à majorité par la Cdc qui pourra y injecter les financements nécessaires en vue d’atteindre les objectifs de l’Etat en matière d’habitat social.
La Cdc pourra également créer une société spécialisée dans la modernisation des villes à l’instar d’Icade en France. Une telle organisation pourrait se voir confier la réalisation de la Cité des affaires prévue dans les terres de l’actuel Aéroport de Dakar après son transfert à Diass.
La modernisation des villes ainsi que les besoins en matière d’immeubles et d’établissements administra- tifs nécessitent la mise en place de ces institutions qui n’auront d’autres objectifs que l’accompagnement de la croissance urbaine avec une capacité logistique et financière idoine.
Ainsi, le Sénégal fera d’une pierre deux coups, assurer le développement endogène de notre économie sur la base d’un financement interne et garantir la pérennité de nos institutions sociales dans une logique de construction du bien-être social des Sénégalais par la poursuite de l’intérêt général.