MACKY N'AURAIT PAS DÛ...
ENTRETIEN AVEC MAMADOU DIOP "CASTRO"

Syndicaliste dans l’âme, Mamadou Diop Castro est toujours égal à lui-même, quand il livre son point de vue sur la marche du pays. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le responsable «jallarbiste» et actuel président du Comité du dialogue social, secteur éducation, assène, sans complaisance, ses vérités sur nombre de sujets d’actualité. A l’en croire, «le Président Macky Sall a commis l’erreur de s’être prononcé comme premier candidat en 2017».
Vous êtes membre de la Ligue démocratique, pensez-vous que la traque des biens mal acquis doit continuer ?
La question de la traque des biens mal acquis a été mal abordée dans notre pays. C’est pourquoi on est presque passé à côté de l’essentiel. L’essentiel, c’est de ne pas nous emmener à une bipolarisation Apr-Pds, à une prétendue chasse aux sorcières. La reddition des comptes exigée par les populations, par la société civile, s’intègre dans une dynamique d’une meilleure gestion des ressources nationales. Même si la Crei doit être améliorée, du point de vue des dispositifs. La reddition des comptes va au-delà du mandat du Président Macky Sall. L’idée de ne pas traquer, mais de réclamer des comptes, est antérieure à la gestion de Macky. Cela avait été initié par le Président Senghor qui n’était pas allé jusqu’au bout. Abdou Diouf est venu avec la loi sur l’enrichissement illicite qu’il n’a pas mis en œuvre jusqu’au bout. Le Président Macky Sall est venu, il a exhumé cette loi, mais la démarche ne nous a pas permis d'aller vers l’essentiel que souhaite la population. Mais, cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter de réclamer des comptes. Et puisque la loi date de 1981, il faudrait, peut-être, remonter jusqu’en 81. Réduire la traque des biens mal acquis à des différends entre Macky Sall et le Président Wade, ce n’est pas comprendre les lois de l’histoire. Il faut aller au-delà sous d’autres formes pour décrisper la situation, pour dépolitiser la population, et que chacun rende compte, au moment où il doit être interpellé.
Mais, la machine s’est ralentie, après la condamnation de Karim Wade. Le Pds n’a-t-il pas raison de dire que c’est une chasse aux sorcières ?
C’est ce que je disais tantôt. La question a été mal abordée, et c’est devenu une affaire de politique politicienne dans la presse et dans la rue. Alors que c’est des affaires d’Etat, le fait de rendre compte avant, pendant et après. Et faire en sorte que les politiques ne déviennent pas l’objectif. La loi sur la Crei est antérieure à l’avènement du Pds et de Karim Wade et de l’Apr. La mise en œuvre de la Crei ne doit pas se ramener à cette dualité, c’est fausser le débat. On n'aurait pas dû réduire ça à l’interpellation de Karim Wade. Il n’y a pas eu un débat explicatif sur la question, il n’y a pas eu les concertations nécessaires, voir comment engager cette affaire. Il faut poursuivre et améliorer le dispositif, mais il faut poursuivre.
Quelle est votre position par rapport au débat sur la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans ?
Il l’a dit, il doit le faire. Selon quelle modalité ? Ce que prévoit la loi. On doit se référer à la loi et organiser le référendum, puisqu’on dit que c’est par le référendum qu’on pourra y aller. Malheureusement, les choses ont tellement tardé que nous sommes à deux ans des élections annoncées en 2017. Mais, si le débat avait été engagé, très tôt, ou les conclusions de la Commission nationale de réforme des institutions, on aurait eu trois ans. Mais, nous risquons d’avoir le référendum en 2016, et les élections présidentielles en 2017. En termes de mobilisations de ressources, en termes de mobilisations d’électorat, ça pose problème. Les gens peuvent s’essouffler ou ne plus avoir intérêt à suivre les politiques dans leurs manœuvres. Le débat a été engagé trop tard. Dès son installation, le Président aurait dû mettre cette Commission pour voir comment matérialiser tous ces engagements, à savoir sur les questions économiques, sur les questions sociales, sur les questions politiques, une mobilisation, bref, une mobilisation de tous autour de cette problématique. Malheureusement, vous l’avez suivi, dès la deuxième année de son mandat, Macky Sall s’est positionné pour le prochain mandat et ça perturbe toute la dynamique de mobilisation du pays autour de ces objectifs. Il devait être le Président de tous les Sénégalais, et durant les cinq années de son mandat. Comment mobiliser le pays autour du programme «Yonnu yokkute» devenu Plan Sénégal émergent (Pse), en déclarant sa candidature ? Quand on déclare sa candidature, on fait face à d’autres candidatures potentielles, des forces qui devaient l’accompagner dans la mise en œuvre de son programme. Mais, voilà qu’il se positionne sur l’autre mandat. C’est une fissure dans la dynamique nationale. Donc, cette candidature anticipée du Président Sall a hypothéqué les chances de concertation, de consultation, de mobilisation, autour du Président et de la matérialisation de tous ces engagements.
Les relations sont tendues entre l’Apr et votre parti, la Ld, membre de la mouvance présidentielle. Comment expliquez-vous cette situation ?
C’est un problème de gestion des relations. Nous l’avons toujours déploré. Il s’agit d'un défaut de consultation, d'un défaut de concertation. Ce n’est parce que nous sommes dans la mouvance présidentielle que nous devons accepter tout ce que le Président fait sans contestation. Alors que c’est ce qui nous avait opposé à Me Wade. A l’époque, la Ld avait proposé au Pds la direction unifiée qui ne signifiait pas qu’on prenait la place du Président. Mais, cela veut dire que si on doit gérer ensemble, il y a un minimum de consensus et de concertation. C’est la même démarche adoptée dans la conception et l’adoption du Pse qui a été d’abord validé à Paris avant de revenir vers nous. Et on travaille, aujourd’hui, à le vulgariser au niveau du pays. Donc, c’est aller du sommet à la base.
Les gens cherchent à adhérer, parce qu’on leur explique. Mais, l’adhésion, c’était au départ. Réfléchir ensemble, élaborer ensemble, et ensuite se mobiliser, pour matérialiser les engagements. Jusqu’au moment où nous sommes allés aux élections locales, il n’y avait pas de concertations régulières. C’est après que «Benno bokk yakaar» s’est réuni en séminaire à deux reprises pour essayer de vulgariser les conclusions pour voir ce que le gouvernement est en train de réaliser. Mais, cela, nous l’avons réclamé depuis la prise du pouvoir.
Et comment qualifiez-vous le limogeage du porte-parole de la Ld de son poste de directeur de Cabinet de Khoudia Mbaye ?
Ce qui s’est passé récemment, c’est des erreurs de parcours. De mon point de vue, le porte-parole d’un parti ne peut être membre d’un Cabinet ministériel qui est soumis à l’obligation de réserve. C’est pourquoi j’ai estimé que cela n’a jamais posé de problème, parce que le niveau du discours n’est pas arrivé à un certain niveau. Nous sommes minoritaires au gouvernement, un seul ministère, minoritaire à l’Assemblée nationale, deux députés, pas du tout consulté sur toutes les questions. Il est évident que nous ne pouvons pas adhérer à toutes les initiatives. Ça, c’est la moindre des choses. C’est sûr que si nous étions au pouvoir, nous n’aurions pas géré le pays de cette manière. Mais, nous sommes ensemble autour d’objectifs convergents, et on travaille ensemble. Mais, tout ce qu’ils font, ça ne veut pas dire que nous sommes d’accord. Par exemple, valoriser la transhumance politique, vous savez que la Ld ne peut pas être d’accord sur ça. Au temps de Senghor, nous l’avions dénoncé, au temps de Diouf, nous l’avions dénoncé, du temps de Wade, nous l’avions dénoncé. La transhumance n’est pas une modalité de gestion des affaires politiques. Macky Sall nous parle de bonne gouvernance, mais la bonne gouvernance ce n’est pas seulement sur les questions financières, c’est aussi sur les questions administratives, politiques, et dans les relations avec la société civile. C’est tout cela la bonne gouvernance. Mais, on pense que la bonne gouvernance, c’est les scandales, la traque des biens mal acquis. Non. C’est plus global que ça. Il faut mettre en place les mécanismes de création de gestion des relations entre le pouvoir et l’opposition. Tout comme faire en sorte que l’éthique soit intégrée dans la gestion des affaires des politiques. C’est pourquoi nous ne pouvons pas être d’accord sur certains points.
Vous voulez dire que Macky Sall, lui-même, ne respecte pas les principes de la bonne gouvernance ?
Quand la président de la République dit à Kaffrine ou lance son mot d’ordre pour la transhumance, est-ce qu’il nous a consultés? Est-ce qu’il avait le feu vert de «Macky 2012» ou de «Benno bokk yakaar»? Non. C’est sa vision des choses, il l’exprime. Donc, tous ceux qui ne sont pas d’accord sont en mesure de s’exprimer. Je vous dis, nous ne sommes pas d’accord sur tout.
A vous entendre parler, est-ce qu’il y a réellement un avenir pour la coalition «Benno bokk yakaar» (Bby)?
Les gens veulent tout mettre dans la coalition «Benno bokk yakaar». Cette coalition, c’est autour d’objectif de prise du pouvoir et de gestion du pouvoir. Ce n’est pas parce que nous sommes ensemble dans la gestion du pouvoir que nous ne devons pas présenter de candidat. Je vous disais, tantôt, que nous ne sommes pas d’accord sur tout. Et la vision du Président dans le Pse, est-ce que c’est la vision qu’aurait la Ld, si nous étions majoritaires dans la coalition «Bby»? Non. Nous n’avons pas la même lecture des contextes. Nous n’avons pas la même sensibilité sur les questions économiques et sociales, mais nous sommes réunis autour d’objectifs minimums pour sortir notre pays de sa situation actuelle. C’est ça qui nous avait conduit à la coalition Sopi avec Abdoulaye Wade, c’est-à-dire un minimum de convergence pour aller ensemble pour atténuer les souffrances des populations. Mais, notre programme à nous, ce n’est pas alléger les souffrances des populations, c’est construire un pays socialiste. Et dans le Pse, ce n’est pas encore le socialisme, mais il y a des prémices pour doter notre pays d’infrastructures qui devaient nous permettre d’aller de l’avant.
Cela veut-il dire que la Ld aura aussi son candidat en 2017 ?
Cette question n’est pas encore à l’ordre du jour. C’est pourquoi nous avons tenu à répondre à tous ceux-là qui voulaient que les gens se prononcent autour de la candidature de Macky. Ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Il (Macky Sall) a commis l’erreur de s’être prononcé comme premier candidat en 2017, alors qu’il devait être le dernier à se prononcer. Puisque c’est lui qui doit conduire les gens à toutes ces mutations, étant le chef de l’Etat. Nous, nous disons que l’heure n’est pas encore aux candidatures. C’est pourquoi nous refusons de nous prononcer sur ces questions-là. Nous avons en place un comité de réflexion sur les questions électorales, mais nous ne sommes pas encore interpellés sur une probable candidature.
Etes-vous pour les retrouvailles des partis de gauche ?
Il y a eu une première initiative, avec la Confédération démocratique et sociale qui a réuni plusieurs forces de gauche et qui est en train de travailler à affiner les textes pour pouvoir faire en sorte que cette Confédération se structure à la base et commence le travail. Mais, la rencontre avec le Parti socialiste (Ps) s’inscrivait dans une autre dynamique également. Au sortir de notre Congrès, nous avions lancé l’idée d'un grand parti de rassemblement.
Nous avions commencé les contacts, ça n’a pas encore donné les résultats escomptés. Mais, la Ld a cette ambition de travailler à créer un grand parti de rassemblement. Ce qui se passe au niveau des organisations syndicales, c’est le même mal qui gangrène les forces politiques. Quelque 250 partis politiques pour notre pays, c’est inacceptable. Ce n’est parce qu’on dit que c’est la démocratie que les gens peuvent s’organiser quand ils veulent, qu’on doit s’organiser n’importe comment. C’est pourquoi nous avons dit qu’il faut contribuer à restaurer les principes de la politique. Il faut une gestion plus saine de l’espace politique, et il faut des organisations crédibles. Parce que nous avons vu, lors des locales passées, des récépissés qui traînaient partout, parce que les gens mettaient en location ces récépissés à des membres de la société civile qui voulaient se présenter aux élections et qui n’étaient pas dans la légalité et qui ramassaient çà et là des récépissés. Les récépissés sont, aujourd’hui, des éléments de marchandage, des partis politiques qui n’existent nulle part, qui n’ont pas d’adresses ni de sièges, qui sont dans des regroupements qui créent des difficultés. Nous avons tellement eu de difficultés, lors des élections locales passées, parce que tout simplement l’espace politique n’est plus maîtrisé. C’est le désordre total. D’aucuns pensent que c’est un élément qui traduit la vitalité de la démocratie sénégalaise. Moi, je dis non. Au contraire, c’est les dérives d’une démocratie qui perd ses repères.
Que prônez-vous alors ?
Il faut restaurer les principes de cette démocratie et avoir des organisations politiques qui ont une certaine assise, une certaine représentation, pour pouvoir peser sur les politiques. A défaut de pouvoir conquérir le pouvoir, la force politique doit pouvoir influer sur les politiques en cours. C’est ça la force de la Ld. Nous n’étions pas au pouvoir avec le Président Senghor, mais la lutte clandestine a permis à l’élargissement démocratique, aux quatre courants, d’abord, avant l’ouverture démocratique élargie avec le Président Abdou Diouf. La lutte de la Ld dans la clandestinité a permis l’ouverture démocratique, l’accès aux médias d’Etat, les élections libres démocratiques et transparentes avec le passage à l’urne et à l’identification des électeurs. Tout ça, c’est la lutte de l’opposition. Et nous n’étions pas au pouvoir. Donc, un parti politique, ce n’est pas seulement pour la conquête du pouvoir et l’exercice du pouvoir. Si on n’a pas les moyens et les possibilités, la réflexion, l’engagement, la détermination dans les autres segments de la vie nationale, doivent permettre d’influer sur les politiques. Et c’est à ce titre que la Ld est une force significative dans ce pays.
Quelle appréciation faites-vous de la décision du chef de l’Etat d'annuler les ponctions des salaires des enseignants ?
C’est une mesure salutaire qui s’intègre dans le processus de résolution de la crise qui secoue le système éducatif. Il est vrai que sans travail, point de salaire. Mais, c’est une législation qui doit s’accorder aux contextes et circonstances. Tout le monde dit que le gouvernement a tardé à réagir aux préavis des grèves des organisations syndicales portant, entre autres, sur le respect du protocole d’accord du 17 février 2014. Comment un gouvernement qui est en retard dans la mise en œuvre peut-il ponctionner les salaires de ceux-là qui réclament que le gouvernement respecte ses engagements ? C’est la contradiction qui entoure cette loi sur les retenues des salaires. C’est la loi qui le dit, mais la loi doit s’intégrer dans une dynamique de gestion de relations professionnelles, prévenir les crises, gérer les crises et non pas dérouler un rouleau compresseur, quand la crise s’installe. Quelles sont les responsabilités des syndicats, du gouvernement dans cette situation là ? Nous sommes arrivés à un niveau de pourrissement à tel point qu’après la suspension du mot d’ordre par les différentes organisations syndicales il faut saluer cette mesure de décrispation, d’apaisement pour une bonne année scolaire. Le président a agi.
Approuvez-vous la démarche de l’Etat qui consiste toujours à attendre que la crise soit aiguë pour réagir ?
C’est regrettable, mais cela signifie qu’il y a un déficit démocratique dans notre pays, il y a une non-appropriation des mécanismes du dialogue social, je suis président du comité du dialogue social, trois jours après la signature du protocole le ministre de l’Education nous a reçus le 20 février, nous sommes restés un an sans pouvoir le rencontrer à nouveau jusqu’à l’éclatement de la crise, et la deuxième rencontre, c’était le 3 mars 2015. Nous avons même interpellé d’autres ministres. Quand nous avons su qu’il y avait des difficultés avec le ministère de tutelle, au mois de novembre déjà, le comité a écrit au ministère de la Fonction publique, du Travail et au Premier ministre. C’est après l’éclatement de la crise que nous avons pu rencontrer le ministre de la Fonction publique, le 4 mars, après la rencontre avec le ministre de l’Education, le ministre du Budget le 17 mars, et le Premier ministre, lorsqu’il a pris l’engagement de s’impliquer dans la résolution de la crise.
Donc, il y a là des lenteurs coupables de la part du gouvernement qui n’a pas dénié recevoir les organisations syndicales jusqu’au dépôt de leur préavis, sans dénier rencontrer le comité qui est censé faire de la régulation ou supposer faire de la prévention, de l’anticipation, il y a un déficit de démocratie et de dialogue social. Le dialogue social, ce n’est pas seulement rencontrer les gens et signer des protocoles d’accord. C’est tout ce qui se fait avant, pendant et après les crises. Et notre rôle, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas de crises, ou si elles éclatent, qu’il y ait une bonne gestion de la crise et des solutions acceptables pour toutes les parties.
Selon vous, quelle doit être l’attitude d’une Centrale syndicale ?
Dans le secteur de l’éducation, il y a des difficultés à cause de l’éparpillement des syndicats, plus d’une quarantaine d’organisations syndicales, c’est difficile à gérer pour ces mêmes organisations. Il faut aller vers des unités d’actions dans lesquelles chacun garde son autonomie de penser et d’action, décide de s’engager ou de se retirer. Mais, aujourd’hui, les syndicats ont fait un grand pas avec la création du grand Cadre qui succède au Cuse. Il y a malheureusement d’autres organisations qui ne sont pas membres, et il faut travailler à restructurer le mouvement syndical, car il y a l’Useq, d’un côté, dont certains sont membres du grand Cadre, et d’autres non. C’est un niveau de complexification. Il y a le Cusems qui est traversé par une crise interne. La coexistence des deux Cusems pose problème. Il y a d’autres syndicats dits autonomes qui ne sont dans aucun de ces cadres-là qui vacillent depuis la suspension du mot d’ordre. Nous sommes en train de trouver les voies pour rapprocher les différentes dynamiques pour remembrer le grand Cadre qui est, aujourd’hui, un enjeu national, et un pas qualitatif qui devrait permettre d’élargir ses bases, au lieu de se fissurer et faire de sorte que les syndicats puissent aller dans la même direction comme nous l’avions fait lors des assises nationales de l’éducation et de la formation, où nous étions arrivés à unir les syndicats d’enseignants pour constituer une seule délégation. Nous l’avons refait lors de la signature du protocole d’accord. Nous avons été installés à cet effet, et l’Etat doit nous donner les moyens de notre ambition, un budget de 5 millions a été voté dans le budget du ministère de l’Education, ce qui tarde à nous parvenir. Nous nous déployons sur fonds propres ou des cotisations des organisations syndicales et qui avaient même décidé de participer au financement du comité, à la demande du ministre de l’Education qui avait souhaité que les autres partenaires, également, participent 25 000 francs par syndicat, et par an. C’était une décision courageuse, mais les cotisations ne rentrent pas, nous n’avons enregistré que 4 cotisations qui sont épuisées depuis très longtemps.
Est-ce que ce nombre pléthorique de syndicats ne complique pas la tâche au Haut conseil du dialogue social ?
Il y a eu beaucoup de difficultés lors des discussions passées avec le gouvernement : 3 cadres, 3 porte-parole, face à un gouvernement pour le suivi d’un protocole signé d’un commun accord avec des divergences d’approche. La question du logement qui est perçue différemment par les syndicats. Il faut une journée d’étude pour harmoniser les positions des différentes organisations syndicales sur la question du logement avant le dépôt de l’étude sur le système de rémunération. Il y a des pas à franchir, la division syndicale n’aide pas à la construction d’un dialogue social constructif.
C’est pourquoi dans une de nos missions, il y a l’aide aux organisations professionnelles pour arriver à restructurer le mouvement, parce qu’un dialogue social n’est constructif que, quand il y a des partenaires crédibles forts, pour pouvoir animer les discussions franches et sincères. Sinon, nous aurons des difficultés qui commencent à naître, d’ailleurs, chez les parents d’élèves, où il y a deux associations. Il faudra aussi travailler à les rapprocher pour qu’elles parlent d’une seule voix, sinon le gouvernement va continuer à jouer dans la dispersion des voix et des forces en essayant de tirer son épingle du jeu. Mais, ce n’est qu’apparent. La réalité, c’est qu’il y a des difficultés à gérer des relations dans un contexte de dispersion des acteurs.
En tant que médiateur, quelle lecture faites-vous des revendications syndicales ?
Les Centrales syndicales sont traversées par le même mal. Il y a eu une vingtaine de Centrales syndicales dans ce pays-là, malgré les élections de représentativité des syndicats. Car celles qui ont été battues se regroupent dans un front. Comment expliquer une telle situation ? Les élections ont défini le cadre, celles qui sont plus représentatives sont les porte-parole des travailleurs et qui doivent faire face au gouvernement dans tout le processus de discussion de suivi des préoccupations des travailleurs. Mais, si les autres, également, s’estiment devoir se faire accepter par le gouvernement, malgré les élections, cela veut dire qu’il y a encore des difficultés de compréhension de la loi et d’organisation du secteur.
Et les élections de représentativité dans tout ça ?
Les élections de représentativité se tiennent tous les 3 ans, le cadre est établi. Le problème, c’est de respecter les échéances afin d’organiser les élections le plus rapidement possible. C’est ça qui se prépare dans le secteur de la Fonction publique, où il y a les Commissions administratives et paritaires qui doivent être organisées tous les trois mois. Il y a un retard considérable au niveau de la Fonction publique. Mais, on attendait l’organisation des Centrales syndicales avant de revenir à la Fonction publique et la question qui se pose, aujourd’hui, c’est ces élections au niveau du ministère de l’Education pour régler les problèmes des syndicats parallèlement aux Commissions administratives et paritaires.
Quelles peuvent être les conséquences de ces grèves sur la qualité des enseignements ?
C’est l’inefficacité dans la gestion de la revendication, mais aussi des retards dans la matérialisation des consensus réussis, à travers des rencontres, comme les assises de l’éducation et de la formation. Après cela, nous avons assisté à l’éclatement du Sudes qui était un instrument puissant qui avait contraint l’Etat à aller aux Etats généraux de l’école. Mais, après l’Etat s’est attaqué au Sudes et est arrivé à le démanteler pour ne pas réaliser les conclusions des assises, sur instruction de la Banque Mondiale et du Fmi qui disaient qu’ils ne pouvaient pas appliquer les conclusions des Etats généraux des assises de l’éducation. Et si les organisations syndicales perdent leur efficacité et leur dynamisme, l’Etat prendra son temps pour matérialiser telle ou telle autre conclusion pour écarter une dimension qui ne l’arrange pas. Nous sommes à neuf mois des assises, le Conseil présidentiel qui était annoncé pour leur validation et pour créer les conditions de leur matérialisation ne sont pas à l’ordre du jour, parce que, tout simplement, il n’y a pas de pression, et l’Etat prend tout son temps, alors que les organisations syndicales attendaient beaucoup de ces assises. C’est faute de n’avoir pas vu un frémissement du côté de l’Etat qu’ils ont déposé un préavis, après avoir cherché à mettre en scène le comité du dialogue social qui n’a pas su se faire entendre au niveau des autorités. La division des organisations professionnelles non harmonieuses crée ces conditions-là, les syndicats perdent de leur influence, l’Etat prend tout son temps. C’est sûr que si le Conseil présidentiel était intervenu dans les premiers mois, et que le comité de suivi soit installé, il n’y aurait pas de crise cette année.
Comment pérenniser le dialogue constructif et permanent entre les acteurs ?
Il faut croire au dialogue social et se donner les moyens de sa mise en œuvre. Le programme national de dialogue social vient d’être érigé en Haut conseil du dialogue social. C’est une volonté de dialogue public, mais qu’il faut traduire dans les faits avec des moyens forts. Un Conseil présidentiel a été organisé sur le pacte social et une enveloppe de 3 milliards pour le financement du plan d’actions. Mais, pour le comité de branche qui existe dans la Fonction publique, il y a celui que je préside, il y a celui de la santé et de la justice qui ne fonctionne pas du tout. Le Sutsas est sur le pied de guerre, le Sytjus est toujours en ébullition. Il faut financer les comités de branche et leur donner les moyens de gérer les relations professionnelles dans les secteurs qui les concernent. Nous sommes là avec toute notre expertise et notre volonté, mais sans les moyens, nous n’allons pas atteindre les objectifs qui nous sont assignés.