MACKY SALL AU CŒUR DU SCANDALE DE LA GENDARMERIE
ENTRE CHANTAGES ET ACCUSATIONS CALOMNIEUSES
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Secrets d’Etat. Le président Macky Sall s’est invité, à son corps défendant, dans la guerre des chefs qui minait le corps des hommes en bleu, les mois qui ont précédé le limogeage du colonel Aziz Ndaw de son poste de haut commandant en second de la gendarmerie nationale.
Dans son ouvrage “Pour l’Honneur de la Gendarmerie”, le colonel Ndaw raconte comment Bécaye Diop, alors ministre des Forces armées, a instrumentalisé Baïla Wane (ex-Dg de la Lonase et responsable du Pds) et Lamine Faye (neveu et garde du corps du président Wade) pour faire tomber le général Abdoulaye Fall, numéro un de la gendarmerie. L’obus n’atteindra pas sa cible, mais fera de graves dégâts collatéraux et conduira au limogeage du colonel Ndaw.
Explications. Furieux qu’on lui ait interdit de “toucher” désormais aux budgets des armées et de la gendarmerie, après l’épisode du détournement d’objectif des fonds destinées à la marine finalement utilisés pour la campagne électorale du ministre à Kolda, le ministre des Forces armées avait décidé d’avoir la tête du patron de la gendarmerie, le général Abdoulaye Fall. C’était en 2007.
“Il (Bécaye Diop) rassembla toutes sortes de dossiers sales et d’accusations, qu’il fait établir (...) Ensuite, il fit remettre son dossier sous forme de document anonyme à Lamine Faye. Dans le compromettant document, de graves accusations étaient portées contre le patron de la gendarmerie. Connaissant les acteurs du deal, Lamine Faye et Baïla Wane décidèrent de faire chanter le général Fall, selon l’auteur.
C’est Baïla Wane qui appela le général Fall pour lui dire qu’il devait recevoir deux jeunes militants du Pds, proches d’un certain Insa Diallo, responsable des “services de renseignement” de ce qui était alors le parti présidentiel. “Ces deux jeunes vinrent voir le général Fall et lui exposèrent le motif de leur visite, à savoir échanger, au nom de leur employeur Insa Diallo, un document explosif sur la gendarmerie”, résume l’auteur du brûlot.
C’était 50 millions de F Cfa ou le document tombait entre les mains du président Wade. Pris de panique, selon l’auteur, le général fait appel à deux officiers, fidèles parmi les fidèles. Le premier est à la tête de la fameuse section de recherches basée à Colobane ; le second est le chef de cabinet du général qui leur expose son problème et leur demande de trouver une solution.
Des barbouzes du Pds
A ce niveau, des dates ne sont pas avancées et c’est l’une des faiblesses de l’ouvrage. Toujours est-il que selon l’auteur, le colonel Moussa Fall (aujourd’hui gouverneur militaire du palais de la République) et “le seul courageux du groupe” prend l’affaire en main.
Avec ses hommes, il cueille facilement les deux maîtres-chanteurs qui passent un sale temps entre les mains des gendarmes. Le colonel Ndaw accuse ensuite le colonel Moussa Fall d’avoir fait incendier les locaux d’Insa Diallo sis à la rue Sandiniéry, à Dakar. De graves accusations.
Las d’attendre les résultats du chantage, Baïla Wane et Lamine Faye parlent alors du scandale au président Wade qui convoque illico presto le patron de la gendarmerie. Pour le palais, des gendarmes ont malmené des agents du Pds et brûlé leurs locaux. C’est le branle-bas de combat.
Comme s’il n’était au courant de rien, le général Fall demande à son adjoint, le colonel Ndaw, de s’informer. “Il m’avait volontairement menti car au moment où je l’appelais pour lui rendre compte, il était en conclave avec ses hommes de main pour fixer une stratégie face aux demandes d’explication émanant du président Wade”.
Et là, l’indicible. Selon les accusations du colonel Ndaw, le patron de la gendarmerie a rapporté au président Wade qu’en réalité, les agents du Pds avaient collecté des documents compromettants contre...Macky Sall, alors président de l’Assemblée nationale et déjà dans l’œil du cyclone des Wade.
Ayant donc l’oreille du président, le général FALL explique au président de la République que Macky Sall a fait appel à son “ami”, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, haut commandant en second de la gendarmerie, pour retrouver les documents compromettants et les faire disparaître. Il fait croire au vieux que son second a fait arrêter deux agents des services du Pds, les a fait torturer et incendier leurs locaux.
Le soir même, le président de la République signait le décret de limogeage du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw. Jusqu’au bout, Macky Sall niera -notamment lors d’une visite chez le khalife général des Mourides, Serigne Bara Mbacké connaître personnellement le colonel Ndaw. C’est clair dans l’esprit du colonel Ndaw : pour sauver son fauteuil, son patron l’a sacrifié...
BRÛLOT SUR LA GENDARMERIE
Des députés et la société civile indignés
Si certains hommes politiques ont préféré garder le silence par rapport aux révélations du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, d’autres n’ont pas caché leur indignation. Pour sa part, le Forum civil demande à l’Ofnac de s’auto-saisir.
Les révélations faites par le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw sur la gendarmerie dont EnQuête a publié les bonnes feuilles semblent avoir installé un malaise au niveau de la classe politique sénégalaise. “Je n’ai pas encore lu les bonnes feuilles”. Telle une ritournelle, cette réponse est servie par bon nombre de responsables politiques interpellés. Une manière bien subtile de ne pas se prononcer sur le sujet.
Le député Cheikh Oumar Sy, membre du Mouvement Bés Du Niakk, rame à contre courant de cette tendance.
Et, est d’avis que “ces déballages compromettent la sécurité nationale et le processus de paix en Casamance”. C’est pourquoi il met l’Assemblée nationale devant ses responsabilité dans cette affaire qui touche la haute hiérarchie de la gendarmerie, car ‘il y va de notre sécurité”. “Le général Fall (Abdoulaye) a été accusé de corruption, de concussion et de meurtre. C’est extrêmement grave !”
Son collègue Zator Mbaye estime lui que l’Etat doit s’inquiéter de l’ampleur des “scandales” qui éclaboussent la Police et la Gendarmerie.
“Si dans ces deux corps de sécurité, il n y’ a pas de probité morale, nous ne pouvons dormir que d’un seul œil”, croit savoir le responsable de l’Alliance des forces de progrès (AFP). Qui dit attendre que le débat soit posé au niveau de l’Assemblée nationale pour prendre position.
Moins attentiste, le député Cheikh Oumar Sy, quant à lui, promet de déposer une question écrite sur la table du président de l’Assemblée pour la constitution d’une commission parlementaire. “Il faut qu’il (le général Abdoulaye Fall) vienne s’expliquer” devant la représentation nationale afin d’édifier l’opinion sur les accusations portées à son encontre.
En revanche, le leader du PSD-Jant bi, se dit “outré” et “meurtri” moins par le contenu de l’ouvrage que par la démarche entreprise par le colonel Ndaw. “C’est désormais la délation qui est érigée en règle”, s’écrit l’ancien ministre d’Etat sous le régime de Wade.
“Pourquoi attendre maintenant pour faire de telles révélations alors qu’il (le colonel Ndaw) avait la latitude de le faire pendant qu’il était en service ?” se demande Mamour Cissé pour qui, l’auteur de “Pour l’honneur de la gendarmerie” “manque de courage”.
Le Forum civil interpelle l’OFNAC
Cet avis est loin d’être partagé par le coordonnateur du Forum civil. Au contraire, pour Mouhamadou Mbodji, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw a posé un “acte de courage et de responsabilité” en rédigeant son ouvrage (Pour l’honneur de la gendarmerie) qui, selon lui, met à nu les pratiques peu orthodoxes qui ont cours dans ce corps. Son constat est amer.
“Si la corruption a traîné, s’est maintenue et s’est développée, c’est par la lâcheté des personnes qui conduisent le destin du pays. Nous sommes dans un pays à 95% musulman et l’Islam nous prescrit de nous éloigner de la corruption. En moins d’un an, nous avons déconstruit dans la conscience collective la sacralité des institutions”, constate le patron du Forum civil qui se demande s’il y a encore une raison pour croire à notre justice”.
Mbodji interpelle d’ailleurs le président de la République Macky Sall et demande à l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) de s’auto-saisir dans cette affaire, mais aussi dans celle relative à la drogue dans la police. Aussi, le patron du Forum civil pense que les députés ont, à travers ce scandale, une belle occasion pour “justifier leur salaire”. Car, regrette-t-il, “on a touché le fond avec cette institution”.
Poursuivant son analyse, il soutient que “le vice est au cœur de l’Etat. Après la crise politique, les Sénégalais font face à la crise des valeurs qui leur ôte le “sens de la citoyenneté”. Mais le “plus grave”, selon le coordonnateur du Forum civil, c’est le fait de “ne pas trouver une solution” à la gangrène que constitue la corruption.
“Face à l’état actuel des choses, aux manquements dénoncés par l’UMS (Union des magistrats du Sénégal), restera-t-il quelque chose à notre justice ? » s’inquiète Mbodji. Dans le même sillage, le patron du Forum civil rappelle que pour moins que ce qui est dit par le colonel Ndaw et le général Keïta, le rappeur Malal Tall alias Fou Malade a été arrêté.
RÉACTIONS...
ME MBAYE JACQUES DIOP
‘Je gênais des gens dans le dossier casamançais”
Cité dans le livre “Pour l’honneur de la gendarmerie” comme étant une “’victime” dans le dossier casamançais, Me Mbaye Jacques Diop, ancien président du Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales (CRAES), dit ne pas approuver la démarche de l’auteur de l’ouvrage, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw. “Je condamne toute divulgation des secrets d’Etat. Nous partageons l’Etat avec ses bienfaits et ses méfaits. Donc, nous devons le protéger”, confie Me Mbaye Jacques Diop.
S’agissant du dossier de la Casamance, l’ancien édile de Rufisque se dit “fier” de l’avoir piloté “gratuitement”. “Je n’ai reçu aucun franc de l’Etat. Je fonctionnais avec le budget du CRAES”, confie-t-il. Avant de révéler “n’avoir “jamais eu le soutien du général Abdoulaye Fall” qui, parallèlement, conduisait le dossier. “Le fait que je gérais ce dossier a gêné des gens. Toutefois, il se refuse de donner des noms. “Des personnes identifiées ont travaillé au corps Wade qui m’a finalement retiré le dossier”, révèle le leader du PPC. En définitive, Me Mbaye Jacques Diop salue le travail fait par Robert Sagna pour le retour de la paix en Casamance.
BABACAR GAYE (PDS)
“Quand les muets retrouvent la parole, la République est en danger”
"Pour l'honneur de la gendarmerie nationale" et les révélations faites par le Colonel Ndaw, anciennement Haut Commandant de la Gendarmerie nationale en second, rappellent bizarrement "l'honneur de l'armée" telle que théorisée par ceux qui avaient envoyé le capitaine Dreyfus au bagne, alors qu'il était innocent. En attendant que toute la lumière soit faite sur cette affaire qui sape les fondamentaux de l'Etat, un de ses corps les plus prestigieux est éclaboussé par un Haut gradé de ce même corps d'élite. Pour l'instant, personne ne sait exactement quelles seraient les motivations de tels déballages, dans un contexte de mutations profondes d'une nation. Frustrations, règlement de comptes, rivalités d'écoles, que saisje encore ? Mais quand les muets retrouvent la parole, la République est en danger. En tout état de cause, les faits relatés sont d'une telle gravité que nous ne pourrions que suivre le dossier avec attention, espérant que soit tirée au clair cette autre grosse affaire après le scandale de la drogue qui a secoué la police, sans préjuger du caractère fondé ou pas des accusations portées contre les uns et les autres.”
SEYDOU GUÈYE (APR)
Les révélations du Colonel Ndaw sont très préoccupantes. Nous devons prendre toutes les dispositions conservatoires requises et faire procéder à toutes les enquêtes en vue de tirer tout cela au clair. Dans une démocratie et une république comme la nôtre, il faut tout faire pour garder aux institutions leur sacralité, leur part de mythe et leur crédibilité.