MAHAMMAD DIONNE, LE PM PROVIDENTIEL ?

Choix de Mahammad Dionne comme Premier ministre
Un sondage que je viens tout juste de réaliser auprès de 302 internautes, à travers les réseaux sociaux, indique une bonne perception du personnage. Presque 75% de l’échantillon se distribue autour de «très satisfaisant/satisfaisant». 13% n’ont pas d’opinion car ils disent ne pas connaître l’individu. Environ 8% ont une opinion négative et 4% ont indiqué «indifférent».
Il se dessine globalement une «présomption de compétence» qui est surtout marquée chez les internautes dont l’âge se situe entre 30 et 45 ans (80%). C’est donc là, un bon capital de départ. Je ne peux cependant ne pas penser à la fameuse phrase de Giscard D’Estaing en 1974 alors candidat à la présidence de la République : «Mais il s’agit d’une autre fonction, celui de président de la République».
Pour Dionne, il s’agit d’une nouvelle posture, d’une nouvelle fonction, de nouvelles responsabilités et seul le temps dira si cette présomption de compétence s’est avérée juste.
Dans tous les cas, l’enjeu est de rapidement prouver sa capacité d’être un bon Premier ministre qui peut convaincre que le Président Macky Sall a un cap et que son nouveau Premier ministre sait en montrer la direction, qu’il sait en décliner la lisibilité et surtout l’actualisation en résultats tangibles et sentis par les Sénégalais.
Analyse de la première sortie médiatique de Monsieur Dionne
La première sortie médiatique du Premier ministre Dionne tente d’indiquer un style, un éthos. Son énonciation était ancrée dans deux effets rhétoriques : l’épizeuxis suivi de l’anaphore avec le souci énonciatif de souligner une expression, de faire de cette expression une incantation, une urgence. L’expression «Au travail» est reprise plusieurs fois dans un intervalle court, ce qui produit un effet de corsetage énonciatif, ce qui capte l’énergie du discours et de la réception.
La morphologie syntaxique d’ensemble crée un effet de symétrie du discours, ce qui produit aussi un effet de cohérence d’ensemble et l’image de quelqu‘un qui sait où il va. Se côtoient donc dans ce fragment, l’énergie, le volontarisme, la cohésion, mais aussi un «paraître vrai». La reprise de la même expression témoignant du besoin d’affirmer une conviction, une volonté.
Certains se rappelleront sûrement de l’anaphorisation de François Hollande lors de son face à face avec Sarkozy. «Moi Président, je...» disait Hollande. «Au travail pour que ...» dit Dionne. La scansion se fait ici dans l’effacement de sa propre personne pour mettre en relief un programme d’actions et de résultats. Le discours semble énoncer une rupture dans la perception de la fonction : l’occuper pour matérialiser le programme de développement du Président Macky Sall et non pas pour se préparer un avenir présidentiel.
L’énonciation, la scansion et les prédications semblent affirmer une rupture : Il ne peut être question d’une quelconque dualité, d’un quelconque tiraillement au sommet de l’État.
En quoi un homme de son profil est-il mieux outillé pour faire des résultats?
Dionne comme Premier ministre c’est, me semble-t-il, une volonté d’amener le Sénégal de l’économie à définir le Sénégal politique. Le Président Macky Sall a choisi pour diriger le gouvernement, quelqu’un qui est politique sans être un politicien, et cela me paraît important. Politique ici compris au sens de «politike», c’est-à-dire que Dionne connaît bien les enjeux du pouvoir politique.
Il connaît les enjeux de la pratique du pouvoir. Il connaît les luttes de pouvoir et la gestion du pouvoir. Il a appris aux côtés de Macky Sall, Premier ministre et président de l’Assemblée nationale. Il n’est pas totalement en terrain inconnu. Il n’est pas politicien, du moins jusqu’ici. Le politicien est celui qui fait de l’activité politique un métier et son souci de durer oriente son approche de la chose politique.
Le Président Sall a choisi un homme sensible à la chose politique mais qui ne risque pas de n’être que politique. Il a choisi un technocrate, un gestionnaire de dossiers économiques. J’ai travaillé à plusieurs reprises avec Dionne et contrairement à ce que certains disent, il est plutôt une main de fer dans un gant de velours. Il sait s’affirmer.
Défis et obstacles sur sa route
Comme je l’ai dit tout à l’heure, le gouvernement sera jugé par ses résultats et il est dans l’urgence de rapidement inspirer confiance grâce à la production de résultats. La composition du gouvernement veut refléter plusieurs choses : un accent porté sur l’économie et sur les priorités du Pse; un contrat de fidélité respecté avec les alliés de Benno; une reconnaissance des nouvelles légitimités surgies des élections locales; une reconfiguration de l’espace communicationnel de la présidence de la République; une préoccupation de positionnement pour affronter l’élection présidentielle de 2017.
Il faudra à Dionne savoir prendre en charge autant les grands projets que les petits besoins du quotidien des Sénégalais. Les frustrations populaires causées par l’oubli de la satisfaction de ces petits besoins amènent les citoyens à ne pas percevoir les avancées réelles dans les grands projets.
Il lui faudrait aussi ne pas se construire l’image de l’homme providentiel qui vient tout régler d’un coup. Il lui revient d’établir un contrat de vérité avec les Sénégalais en leur expliquant autant la vision du président de la République que les marges de manœuvre réelles de l’économie.
Il est alors nécessaire de bien encadrer la communication du gouvernement et l’articuler à celle de la présidence de la République, afin que les énoncés produits ça et là ne deviennent pas des fardeaux. Le contrôle des mots est important, car en politique surtout, les mots ont une mémoire et une valeur et à un moment donné de l’évolution de la vie politique et économique, ils viennent réclamer leurs prix.
Le remplacement de Mme Aminata Touré par Monsieur Dionne est également perçu comme l’abandon de ce que l’on appelle la traque des biens mal acquis...
Rien ne justifierait un recul de l’État sénégalais dans la promotion de la bonne gouvernance et la reddition des comptes. Je lisais récemment dans un numéro de la revue Causeur une analyse intéressante sur la politique et l’argent. L’auteur indiquait qu’aujourd’hui dans les pays de l’Est, les milliardaires arrivent au pouvoir, comme l’actuel Président de l’Ukraine, Petro Porochenko.
Ces gens faisaient fortune avant de rentrer dans l’arène politique. En Occident, les hommes politiques deviennent riches après leur sortie de la vie politique ou de la direction des grandes agences en créant des entreprises conseils et en exploitant leurs réseaux et leurs expertises. Les cas de Tony Blair, Gerhard Schroder, Dominique Strauss Kahn, Bill Clinton... sont illustratifs.
Or, dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et de l’Amérique latine, les dirigeants deviennent milliardaires pendant l’exercice du pouvoir. Notre pays doit s’extirper de ce lot. Ce que l’opinion a reproché au pouvoir, ce n’est pas de faire dans la traque des ressources illicites mais plutôt d’avoir donné l’impression de ne savoir faire que ça!
Tentatives de rapprochement entre le Pds et le Palais...
Je dirai tout simplement que le Président Macky Sall devra tôt ou tard trouver la formule heureuse, non choquante pour assumer ce que je peux appeler «sa dissonance identitaire politique». Il est sans conteste le produit, la mémoire de 2 histoires principales, de deux parcours. Un parcours avec le Pds qui n’a pas été facile à la fin, un parcours avec ses alliés d’aujourd’hui qui a abouti à son élection en mars 2012.
Comment opérer une synthèse heureuse, comment savoir tirer le meilleur de ces deux histoires, sans s’aliéner les alliés d’aujourd’hui et sans heurter la sensibilité politique et éthique des Sénégalais ?
Comment tirer le meilleur de son parcours avec le Pds en se délestant de ce que les Sénégalais ont rejeté de ce parti et de ses dirigeants?
Ce qui est sûr, c’est que ce travail de reconstruction identitaire s’inscrit dans son futur. Les identités multiples, hybrides se vivent par moments d’identification à telle ou telle identité. Je ne crois pas que tous ceux qui se réclament du Pds soient des pestiférés, ni que tous ceux qui appartiennent à la nouvelle alliance soient des anges.
L’intelligence politique de Macky Sall sera de construire son propre équilibre identitaire, dans le respect de l’éthique et sans sombrer dans la compromission, pour pouvoir tracer sa propre voie.