MULTIPLE PHOTOSMAI 68, COMMENT CERTAINS ACTEURS REVIVENT L'HISTOIRE ?
Ousmane Camara, directeur de la Sureté nationale en 68
« L’inexpérience de ce mouvement nous a permis de reprendre la situation en mains »
« Le 29 mai 68, c’est le point d’orgue des heures chaudes des années de feu 66-69. Senghor a eu un adversaire inattendu : les étudiants. En 1966, j’étais en consultation dentaire. Je ne savais pas que la police était dans la rue. J’ai été confondu, pourchassé par les policiers, j’étais dans une situation complexe, je ne pouvais pas aller trouver un policier pour lui dire que j’étais leur chef. J’étais pris au dépourvu. Le malentendu Senghor-étudiants est parti de la fermeture de l’université. La période entre 66-67, fut très ardue. Seule l’inexpérience de ce mouvement nous a permis de reprendre la situation en mains. Tous les responsables syndicaux étaient à la Bourse du travail, ce qui nous a donné l’opportunité de les ‘’décapiter’’, de les cueillir et de les acheminer à Dodji. Le peuple était dehors sans chef.
Dialo Diop, représentant des élèves du Lycée Blaise Diagne
« C’est l’éveil de la conscience politique et syndicale »
« Mai 68, c’est l’éveil à la conscience politique et syndicale. Car avec Senghor, c’était le bâton ou la carotte. Nous avons passé le Bac en octobre, le plus facile parce qu’avec des épreuves uniquement orales, mais Djibo Kâ s’est arrangé pour le rater. L’autre enseignement de cet évènement, c’est que l’unité a permis une défaite politique claire et nette de Senghor ».
Mamadou Diop Decroix, représentant des élèves de Van Vollenhoven
« Je suis passé de révolté politique à militant »
« J’étais élève en terminale au lycée Van Vollenhoven. Le mouvement n’était pas organisé au niveau des élèves, chaque lycée avait un représentant. Ce que je retiens, c’est que j’ai vu le porte-parole de l’Association des parents d’élèves, Bassirou Ndiaye, pleurer à chaudes larmes. C’était la première fois que je voyais un adulte pleurer. J’ai voulu laisser tomber quand il nous disait que la grève occasionnait une perte de 9 milliards F Cfa. L’un des enseignements est que la répression n’est pas toujours la meilleure arme. La stabilité et le succès des régimes sont tributaires du degré d’adhésion de la jeunesse et de la complicité jeunesse/Etat. Enfin, il indique que plus la répression est féroce, plus la défense trempe des consciences politiques. Cet évènement a fait que je suis passé de révolté politique à militant.. ».
Mbaye Diack, président de l’Udes (Union des étudiants du Sénégal)
« Ce qui nous intéressait c’était nos draps, notre nourriture, l’ouverture de nouvelles facultés, la construction de nouveaux pavillons, le respect des franchises universitaires et avoir deux sessions ».
« Il est bon pour la génération de 1968 de se remémorer ce qui s’est passé et utile que d’autres puissent apprendre afin de perpétuer l’œuvre, pour la bonne marche du pays. Le 24 avril 1968, nous manifestions pour lutter contre le fractionnement de la bourse et pour de meilleures conditions. Le linge n’était plus fait et la nourriture était mauvaise. Senghor fut surpris. Le recteur Pontissier nous avait demandé de signer une convention disant que l’on ne voulait pas renverser le régime de Senghor. Nous avons refusé, parce que nous, ce qui nous intéressait c’était nos draps, notre nourriture, l’ouverture de nouvelles facultés, la construction de nouveaux pavillons, le respect des franchises universitaires, et la garantie d’avoir deux sessions. Nous ne fûmes pas entendus. Nous avons poursuivi la grève. La 29 mai, les policiers sont entrés dans le campus. Ils ont défoncé les portes et nous transportés au camp Mangin. Le contexte n’était pas favorable au gouvernement ».
Abdoulaye Bathily, membre du Conseil d’administration de l’Udes :
« Mai 68, c’est le long cheminement qui a abouti à l’alternance en 2000 »
La commémoration permet la rencontre, ravive des émotions et permet de se projeter dans l’avenir. Mai 68, c’est un évènement majeur de l’histoire contemporaine du Sénégal. Il est le fondement majeur de la dynamique de la citoyenneté. Au-delà de la vision romantique, c’est le point de départ du pluralisme. Pour la démocratisation, il faut des conflits sociaux permanents. Le système scolaire s’est retrouvé dans la turbulence permanente. Mai 68, c’est le long cheminement qui a abouti à l’alternance en 2000. Nous voulions une université au service du peuple. C’était aussi une crise de la décolonisation, il y avait transfert de compétences mais pas d’indépendance.
Makhtar Diack, président de l’Union nationale des étudiants
« Pourquoi Mai 68 fut un succès ? »
« Ce qui s’est passé à Dakar n’était pas du mimétisme. L’étincelle est partie de l’histoire de draps, qui a entraîné une grève d’une demi-journée. Ce succès réside dans l’unité, l’indépendance et le leadership légitime du mouvement. Après, Senghor a pris des mesures radicales, diminution du salaire des députés et des ministres. C’est un acquis important au plan macro-sociologique. Les acquis des étudiants furent l’entrée dans la gestion de l’université. Il y avait une co-gestion de la représentation étudiante dans les assemblées de l’université, du conseil d’administration du Coud. Nous refusions le sectarisme. La situation politique de l’époque faisait que les étudiants étaient l’opposition la plus visible. C’était aussi l’épicentre et le point focal de la société, où s’étaient concentrés tous les problèmes sociaux. C’est pourquoi la jonction entre les mouvements des étudiants et ceux des travailleurs, avait porté ses fruits ».
Iba Der Thiam, syndicaliste
« Aussi longtemps que nous resterons solidaires, nous pourrons instaurer tous les changements »
« Mai 68 alimente beaucoup de confusions. C’est une manifestation d’étudiants, d’élèves, mais aussi de la classe ouvrière et du peuple qui a participé de manière décisive. Mai 68 est juché sur une série de frustrations, qui a atteint son point culminant en 1968. Le contexte était chargé, il y avait la dissolution du Pai, la crise Mamadou Dia/Senghor, les élections de 1963, l’arrestation d’Abdoulaye Ly, la dissolution de l’Ujes et de l’Ujao, Nous avons été repérés par nos voitures. On a été cueillis à la bourse du travail et envoyés au camp de Ouakam. On a été transférés dans un avion sans sièges, nous sommes restés attachés jusqu’à Dodji. L’engagement et le travail ont abouti à la libération partielle.
J’ai été ramené et mis en résidence surveillée. Nous avions dit à notre base que tant que les responsables syndicaux ne seraient pas libérés, on ne lèverait pas le mot d’ordre. La jeunesse était consciente de sa mission. Le peuple était déterminé. Mai 68 est une leçon politique pour les syndicalistes et les étudiants. La jonction était un atout de taille. Ce qui veut dire qu’aussi longtemps que nous resterons solidaires, nous pourrons instaurer tous les changements. L’engagement des travailleurs et des étudiants a abouti à la libération partielle des détenus ».
Ousmane Ndiaye, trésorier de l’Udes :
« Il faut une analyse approfondie et scientifique, pour qu’on ne fasse pas une commémoration de la Grèce libérée »
« J’assurais le volet financier et les ressources font couler beaucoup d’encre. Je rédigeais les tracts et les imprimés. L’Etat nous a accusés d’être financés par la Chine et la Russie, il n’en était rien. Le 29 mai, les policiers m’ont pris ma montre et m’ont traité de pauvre type. Pourtant, j’avais 450 000 F CFA dans les chaussettes de mes chaussures Bata, la publicité disait Pas un pas sans Bata. Mai 68, c’était un mouvement africain. Il faut une analyse approfondie, scientifique, pour qu’on ne fasse pas une commémoration de la Grèce libérée. Le Sénégal est fort en théorie, les pays développés ont accepté de faire des sacrifices et de mettre la main à la poche. Il faut s’en inspirer.
Le financement du développement ne se fera qu’avec des gens disposés à mettre la main à la poche. Est-ce que le problème est réglé ? En tout cas, le financement pose toujours problème, le crédit fait toujours défaut à l’éducation, à la santé… Le service qu’on peut rendre aux jeunes générations, c’est de faire des observations scientifiques et résoudre l’équation des ressources financières.