MAIRES SOUVERAINS
Lors des combats de boxe aux Etats-Unis, notamment à l’occasion des championnats du monde, le maître de cérémonie, distinct de l’arbitre et des juges, est chargé de proclamer le résultat final.
Si le tenant du titre l’emporte aux points ou par Ko, il suffit que le maître de cérémonie déclare «...and still...» (et toujours) pour qu’immédiatement le public exulte bruyamment de joie sans attendre la précision du nom du vainqueur. Il a compris.
Après ces élections locales, quelques cas significatifs nous font vivre la même situation sans qu’il ne soit utile d’attendre la proclamation officielle des résultats ni l’installation des exécutifs locaux.
DAKAR-KHALIFA SALL
Primus inter pares (le premier parmi ses collègues maires) : Le ministre Khalifa Ababacar Sall, affectueusement appelé «Grand maire» par ceux des arrondissements. La communication autour de l’Acte 3 de la décentralisation s’est révélée si calamiteuse que la réforme est apparue, à tort ou à raison, comme politicienne et dirigée, pour l’essentiel, contre la personne du maire de Dakar.
Du coup, l’entreprise a été comprise comme une manœuvre injuste et hostile contre Khalifa. Résultat : mouvement généralisé de sympathie en faveur de l’intéressé. Si bien que son Parti n’ayant pas semblé clarifier sa position par rapport à ce processus perçu, une fois de plus, comme devant lui être préjudiciable, M. Sall a eu la lumineuse idée de lancer, à partir de son Conseil municipal pluraliste, Taxawu Dakar ( protéger, défendre Dakar), mouvement urbain trans-partis qui a convaincu les Dakarois. L’origine de Taxawu Dakar vient du Conseil municipal sortant de Dakar.
On rappellera qu’en France, durant ses deux mandats, le Président Mitterrand eut comme maire de Paris son opposant Jacques Chirac. Ce dernier collaborera durant ses deux mandats de chef d’Etat avec un opposant : Bertrand Delanoë.
Or ici, la formation politique de M. Khalifa Sall n’appartient pas à l’opposition donc, en réalité, il aurait dû être le candidat investi par la coalition Benno bokk yaakaar ; ceci à l’initiative du pouvoir et sans que quiconque, ni lui ni le Pouvoir, n’en tire projection pour l’avenir immédiat.
Au lieu de quoi, une option inappropriée et à l’arrivée l’éclatante victoire d’un maire toujours en place, conformément à la volonté populaire.
Crédité d’un bon bilan, M. Khalifa Ababacar Sall reste aux yeux des Dakarois de souche comme celui qui a osé désencombrer le centre ville et les abords de Sandaga. Ils ont alors retrouvé la ville de leur enfance, de leur jeunesse.
D’un autre côté le Ps des origines auquel appartient Khalifa (ex pionnier, ancien dirigeant des jeunesses mj-ups, ex maire d’arrondissement, ancien ministre Ps, responsable politique à Dakar, etc.) s’est senti agressé.
De sorte que lorsque j’ai vu des personnalités comme le président Lamine Diack intervenir à la télévision en faveur de Khalifa ou s’y afficher, recevant, paternellement, une caravane Taxawu Dakar, des doyens comme l’imprimeur émérite Mboup Gutenberg, braver la canicule pour aller voter, en compagnie de sa charmante épouse et de ses grands enfants, j’ai compris que le parti de Senghor, les piliers des piliers s’étaient dressés pour soutenir leur poulain et que dès lors rien ne pouvait plus arrêter la mer.
Sans parler des multiples maladresses du régime en place et de l’Apr (parti au pouvoir) qui ont poussé à une attitude de rejet politique ou citoyen (ostracisme et absence de leadership local ex : Ouakam ; tendances à l’accaparement de la part de l’Apr d’où marginalisation de certains alliés ; alliances contre nature ex : Plateau, etc.).
PODOR-AÏSSATA TALL SALL
Première femme maire dans le Fouta, Maître Aïssata Tall Sall a vu sa victoire du 29 juin 2014 saluée par toute la Nation sénégalaise. Son cas m’a rappelé celui de Mme Hélène Tine de Thiès au moment des Législatives de 2012.
Ancienne porte-parole de son parti, elle était sur tous les fronts médiatiques, de tous les combats, sur le terrain. Malgré cela, sa formation politique d’alors avait fini par l’ostraciser, tenté de l’isoler, mais lorsqu’elle a été élue député à l’Assemblée nationale via un autre groupe, ce fut une clameur nationale de joie qui s’éleva de tout le Sénégal.
Mutatis mutandis, c’est un peu la même chose pour Aïssata. Son parti doit savoir que les malentendus relatifs à l’épisode de l’élection du leader avaient déjà créé, dans le pays et probablement à Podor, un immense sentiment de solidarité à son endroit surtout chez les femmes que l’on dit majoritaires chez nous.
Lorsque- nouvelle maladresse- le pouvoir s’engagea à faire barrage à la poursuite de sa mission de maire en dressant devant elle une méga puissance financière, il faut croire que les habitants de Podor se sont rebellés pour aller chercher au plus profond d’eux-mêmes, car même si c’est sur le fil, Maître Aïssata Tall Sall a triomphé.
Je tiens cette victoire pour la plus belle de ces élections en raison de son caractère étriqué (6 à 16 voix d’avance), en raison du symbole de la femme seule face à la force, en raison du ressenti populaire d’injustice, en raison du sentiment d’acharnement contre elle, etc.
Déjà, des personnalités qui en avaient les moyens s’étaient rendues sur place pour la soutenir durant la campagne alors qu’elles ne sont pas du même bord politique qu’elle.
Avec sa victoire, elle vient de quitter le statut- qu’elle n’aime pas d’ailleurs- d’assimilation à Ségolène Royal, première femme française au second tour d’une élection présidentielle. Si elle n’est pas encore la Jeanne d’Arc sanctifiée de la France, je la regarde en Aïssata reine iconisée du Fouta.
Son parti gagnerait à l’élever ; par exemple en la proposant à une position ministérielle dans le prochain gouvernement dans le cadre d’une augmentation de quota. Le Ps comme le pouvoir y gagneraient.
ZIGUINCHOR-ABDOULAYE BALDÉ
Maire de Ziguinchor, le ministre d’Etat Abdoulaye Baldé est le seul responsable de l’opposition à la tête d’une métropole régionale et qui ait réussi à demeurer en place au sortir des élections. En cela, son cas s’avère intéressant.
Il était parfaitement compréhensible que le régime ait souhaité conquérir la capitale du sud. De tous temps, Ziguinchor s’était rangée dans le camp du pouvoir en place. Au demeurant, c’est sur ce thème qu’en 2009, M. Baldé fera campagne et réussit à rassembler sur son nom la majorité des suffrages de ses concitoyens.
A juste titre, les nouveaux tenants du pouvoir et leurs représentants ont pensé pouvoir entonner le même refrain pour sensibiliser les habitants de Ziguinchor, d’autant que la tournée triomphale du Président Macky Sall avait abouti à un programme de développement spécial pour la Casamance, unanimement salué.
Or, ça n’a pas marché. Pourquoi ? Une fois encore des errements.
Ceux qui avaient été mis en scelle se rendaient à Ziguinchor chaque week-end ou de temps en temps, là où M. Abdoulaye Baldé vivait à demeure ; d’où une proximité réelle avec les populations. L’unité entre les intéressés fut de façade, mais jamais effective ; à preuve chacun fera campagne de son côté.
Le prédécesseur de M. Baldé se réclame du camp présidentiel or ses partisans qui auraient dû renforcer Benno bokk yaakaar ont décidé de faire cavaliers seuls, d’où dispersion des forces. Le bilan du maire sortant est des plus respectables, selon les habitants de la ville, même s’il se dit qu’il se serait contenté de mettre en œuvre les projets de son propre prédécesseur.
Enfin la bourde de dernière minute : lorsque la Cour de l’enrichissement illicite brandit, en pleine campagne, l’épée de la convocation du maire Abdoulaye Baldé pour audition. Le ressenti populaire d’injustice fera le reste.
En fin de compte, un indiscutable plébiscite qui fait honneur à notre démocratie. Pour le reste, j’adhère à l’idée selon laquelle il conviendrait de maintenir le ministre Benoît Sambou au gouvernement pour ne pas s’égarer dans une autre injustice.
Ziguinchor n’est pas un gros village, un bled quelconque, une commune rurale, mais bien une grande ville à l’échelle du Sénégal. Il n’est pas déshonorant d’y perdre des élections. Pour réussir la prochaine fois, la réalité du terrain commande l’adoption d’une autre stratégie.
MAIRIES D’ARRONDISSEMENT DE DAKAR-BARTHÉLEMY DIAS
Depuis la création des mairies d’arrondissement en 1996, jamais, à notre connaissance, dans la Ville de Dakar, un maire d’arrondissement sortant n’avait été reconduit, en dehors des situations particulières de Ngor et de Gorée.
Auront réalisé cet exploit cette fois- ci : le député-maire Doudou Issa Niasse (Biscuiterie) aux prises avec une opposition inattendue ; le député Moussa Sy (Parcelles Assainies) face à une des plus hautes personnalités de l’Etat ; le financier Alioune Ndoye (Plateau) en lutte contre une vraie puissance d’argent ; l’économiste Jean-Baptiste Diouf (Grand Dakar) en roue libre dans la localité dont il est natif et où tout le monde connaît ses parents ; l’expert- consultant Babacar Mbengue (Hann Bel-Air) brillamment réélu alors qu’il a failli vivre la forclusion de sa liste ; l’adjoint au maire de Dakar Bamba Fall confronté à un enjeu majeur, mais qui a pris le dessus sur «cinq ministres, un jet-setteur, etc.».
Pour la symbolique, j’ai retenu le succès du député-maire Barthélemy Dias (Mermoz-Sacré Cœur), car contrairement aux précités, son éventuelle défaite aurait créé le buzz pour une foule de raisons.
Sans que l’on n’en comprenne les motivations, ses principaux adversaires sont à regrouper sur une brochette de «mémés» et autres «tatas», toutes aussi âgées voire plus âgées que sa propre mère. Alors que chacune d’elles aurait du rêver de Barth comme gendre, elles ont préféré opter pour la posture d’adversaires.
L’une a fait le lycée avec la mère de Barth, toujours dans la même classe ; l’autre, c’est celle que le gosse- alors âgé de 33 ans ; plus jeune maire du Sénégal - avait dégagée en 2009, mais qu’il a toujours couverte, par respect, malgré ses casseroles dans le tripatouillage du foncier communal. La suivante a fait la maternelle dans le parti de Barth lequel est né devant elle.
N’ayant jamais été capable de s’élever dans des fonctions politiques d’Etat, elle semble habitée par la rancœur contre quelqu’un qui ne lui a jamais rien fait. Les deux dernières étaient les plus inattendues, mais les plus dangereuses, car disposant du soutien du pouvoir ainsi que toutes l’ont clairement affirmé sans essuyer de démenti.
Au lieu d’unir leurs forces et leurs millions, elles se sont laissé aveugler par leur ego débridé et disproportionné. L’une a révélé avoir fait la fac avec la mère de Barth. L’autre n’avait jamais voté dans la commune, ni en 2009 ni même pour la Présidentielle et les Législatives de 2012.
Elles ont soigneusement évité leurs localités d’origine pensant plus banale la conquête, à Dakar, de la mairie de Mermoz-Sacré Cœur.
Avec ces dernières, divers foyers de la commune furent enveloppés de kilomètres de tissus beiges et marrons, l’argent coula à flots, par centaines de millions, l’on mobilisa des cortèges avec un nombre impressionnant de voitures, etc.
L’on me dira que jusque-là rien d’exceptionnel. C’est vrai. Sauf que les autres concurrents n’étaient pas logés à la même enseigne. Mais lorsqu’on se lança dans des démarches crypto religieuses pour tenter d’instrumentaliser une minorité locale contre le maire sortant, alors là c’était toucher à l’interdit.
Portant, le jeune continua à leur donner du «tata» et autres appellations affectives ; s’interdisant de leur manquer de respect. Il développa une communication efficace, édifiant clairement l’électorat sur les neuf domaines de compétence d’une mairie d’arrondissement. Il révéla le bilan de son action bien qu’une bonne partie de son mandat fut rongée par le combat que lui imposa le régime défunt.
Il fut le seul maire sortant à inviter tous ses adversaires, hommes et femmes, à un débat public. Tout le monde a fui. En vérité, certaines «mémés» ignorent tout de la gestion communale. Visiblement, elles confondaient les mairies avec une sorte de centre de repos pour retraitées. Confusion entre le jour et la nuit.
Finalement, un succès éclatant pour le maire sortant. Malgré la fraude initiée, Barth, «le Sacré cœur de Mermoz» (journal Le Quotidien), l’élu du Vendredi saint (2009) sortit vainqueur, la veille du début du mois béni du ramadan (2014) en raflant tous les bureaux de vote de tous les centres de vote. Même en additionnant les voix cumulées par Mesdames les deux ministres suivants, il les devance largement.
Maintenant, laissons-nous bercer au son de la musique de campagne (Alpha Blondy) du candidat victorieux et laissons à certaines personnes qui sont aux abois, encore 5 ans pour continuer à aboyer leurs contrevérités ; la caravane est déjà passée et elle ne ralentira pas.
Barthélemy devient le premier maire réélu de Mermoz Sacré-Cœur. Que Dieu enduise le cœur des jaloux d’un baume adoucissant à même d’en apaiser les palpitations (kholou mougne!)!