MAIS QU’EST-CE QUI FAIT DONC COURIR MADAME AMINATA TOURÉ ?
En mars dernier, dans l’édition du Témoin n° 1117, nous avions parlé de l’activisme débridé dont faisait montre Mme Aminata Touré au sein du gouvernement. Nous avions dit que tout ce qu’elle visait, c’était la Primature. Ainsi, sans donner l’air de guigner le poste de son patron d’alors, l’ex-ministre de la Justice a fini par obtenir ce pour quoi elle s’agitait. Nous reprenons in extenso, ci-dessous, l’article quelque peu prémonitoire que nous avions écrit sur le sujet à l’époque.
Sur tous les plateaux, sur tous les tréteaux, sûre d’elle et dominatrice. On l’entend partout, on la voit partout, au four et au moulin, sur les chapiteaux des meetings comme sur les plateaux des télévisions ou dans les studios des radios, s’exprimant sur la traque des biens mal acquis, sur l’affaire Hissène Habré comme sur les dossiers ordinaires de la justice sénégalaise. Donnant aussi avec autorité son avis sur les problèmes qui agitent le Sénégal en général. Les biens mal acquis, c’est sa chasse gardée au point qu’elle n’hésite pas à rabrouer ses homologues du gouvernement s’autorisant à en parler dans un sens ou sur un ton autres que les siens. Froide, rigoureuse, pragmatique, implacable et déterminée à poursuivre ceux qu’elle appelle les pilleurs de République, Mme Aminata Touré, qui dégage une apparence austère, même si elle n’a pas connu de promotion dans son rang gouvernemental — en ce sens qu’elle n’est même pas ministre d’Etat — semble par contre monter dans l’estime du président de la République. Une chose est sûre : elle guigne depuis longtemps la Primature et se verrait bien à la place de M. Abdoul Mbaye, l’actuel Premier ministre. Son omniprésence et son ultra-médiatisation sont-elles des atouts pour conquérir la Primature ? Ou, au contraire, constituent-elles la voie royale pour raviver des haines et des envies qui la feront choir de son piédestal ? Le « Témoin » a tenté d’y voir plus clair…
S’il y a un ministre dont la cote monte en flèche à la bourse du président de la République, c’est bien Mme Aminata Touré. En effet, depuis qu’elle a été nommée Garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 5 avril 2012 et qu’elle est chargée de la mission de recouvrement des biens supposés mal acquis des dignitaires de l’ancien régime, elle a endossé la cuirasse de chef de guerre pour ferrailler contre les criminels économiques accusés d’enrichissement illicite. Depuis que cette mission de nettoyage des écuries d’Augias libérales lui a été confiée, elle ne cesse de monter en puissance.
Une montée effectuée à une vitesse si supersonique qu’elle commence à intriguer au sein de l’Alliance pour la République (APR) et à inquiéter au sein de la République. Les juges se plient à ses exigences même si elle sérine en tout temps et tout lieu l’indépendance de la justice sénégalaise. Des juges qu’elle a mis au pas dès le départ avec la revendication mort-née du fonds commun des magistrats. Les fonctionnaires de son département ministériel la jugent pugnace, revêche, schizophrène, impénétrable. Mais qu’est-ce qui fait que cette dame ralliée de l’avant-dernière heure et qui, en tout cas, n’a pas participé à la sanglante bataille préélectorale — sauf durant la dernière ligne droite ! —, bénéficie de tant de confiance et de tant de considération auprès du président Macky Sall ?
CHOUCHOU DU PRESIDENT
Car aujourd’hui, il est évident que le président de la République estime, voire surestime, la valeur marchande de son ministre de la Justice et affiche à son endroit une trop grande considération qui trahit un complexe effarant. Le chef de l’Etat n’hésite pas à désavouer le porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, et le député-avocat Me El Hadji Diouf lorsqu’ils ont fait comprendre qu’il était favorable à une médiation pénale à propos de la récupération des biens mal acquis.
Le président qui aurait chargé ces deux grandes gueules de dire publiquement que « si les gens qui sont poursuivis pour biens mal acquis sont prêts à restituer au Trésor public 80 % de ce qu’ils détiennent, on leur laisse les 20% », n’a hésité à les désavouer et à les faire passer sous ses fourches caudines quand l’impératrice « Mimi », une ancienne trotskiste, a soutenu dans la presse que « la traque des pilleurs de la République ira jusqu’au bout ».
Pourtant, cette médiation pénale, elle a été mise en application depuis qu’Amadou Kane Diallo, ancien directeur général du Cosec, a versé une somme estimée à 436 millions pour obtenir une liberté provisoire qui, certainement, est définitive. Moustapha Yacine Guèye, patron de MTL, a usé de la procédure pour échapper aux griffes de la justice sauf que lui a mis sur la table du juge un chèque en bois. Une affaire à ce point scandaleuse que, lorsque la supercherie avait été éventée, Le Témoin avait écrit que sous d’autres cieux, le ministre de la Justice aurait dû démissionner.
A défaut, la tête du doyen des juges d’instruction aurait dû être mise sur le billot. Pour en revenir à la médiation pénale, si on poursuit cette logique de reddition de l’intégralité des sommes détournées, Mme Ndèye Khady Guèye, l’ancienne directrice du Fonds de promotion économique (FPE) et M. Ndongo Diaw, l’ancien Dg de l’Artp (Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes), doivent rendre jusqu’au dernier centime tous les deniers qu’on leur reproche d’avoir détournés sous le régime de Me Abdoulaye Wade. Quant à Me Kane Diallo, il doit verser le reliquat de la somme volée au Cosec.
UN MINISTRE MEDIAVORE
Depuis la formation du premier gouvernement de l’ère Macky Sall, Mme Aminata Touré est la ministre qui, incontestablement, détient le record de présence et de visibilité au niveau des médias. Il ne se passe pas une seule semaine sans que l’on n’entende ou que l’on ne lise le ministre de la Justice à travers les médias. Sans qu’on ne la voie aussi à travers les étranges lucarnes de la télévision ! En bonne communicante, le Garde des Sceaux, véritable « médiavore », ne peut susciter l’indifférence. C’est d’ailleurs ce trait de caractère qui, dans un premier temps, séduit son auditoire. Elle a tout le talent nécessaire pour séduire son auditoire même si, très souvent, une bonne partie de son discours est teintée de populisme ou de démagogie. Ce qui fait en plus la force de « Mimi », c’est qu’elle se présente comme une femme opiniâtre et sans concession, prête à se battre et à faire prévaloir ses opinions dans un gouvernement à dominance masculine.
Cette opiniâtreté a été manifeste dans la gestion de l’affaire Béthio Thioune. N’eussent été les avertissements itératifs venant de médecins hautement qualifiés sur la persistance dangereuse à vouloir garder en prison ce chef religieux très malade et la pression de certains dignitaires mourides, Mimi, dame de fer mais dame sans cœur selon les talibés de Béthio, n’aurait pas cédé d’un seul pouce dans sa volonté de garder au frais le leader des « thiantacounes ». Dans ses faits et gestes, elle s’efforce de se montrer impavide et comme quelqu’un qui ne se décourage ni ne capitule devant des opposants au président de la République. Une dame de fer qui ni ne cède jamais aux menaces de certains lobbies maffieux. Un tel engagement, fût-il tape-à-l’œil, se récompense par un poste plus prestigieux au moment où les autres ministres, y compris leur chef Abdoul Mbaye, peinent à assurer correctement la mission qui leur dévolue.
Même les journalistes succombent à son bagout prodigieux. A entendre les questions ineptes que lui posent souvent certains confrères, on a comme l’impression que Mme Aminata Touré est un extra-terrestre et que, par conséquent, tout ce qui est humanité et féminité lui est totalement étranger. Comment comprendre qu’une consœur d’une radio de la place pose au ministre des questions du genre : « aimez-vous les cérémonies familiales ? », « aimez-vous faire la cuisine ? », « aimez-vous la belle vie ? », « aimez-vous vos enfants ? », et autres idioties du même acabit ? La seule chose qu’elle a oublié de lui demander c’est si elle pensait au poste de Premier ministre le matin en se brossant les dents !
MINISTRE BAVARD ET VANTARD
Ministre bavarde et souvent vantarde — à l’opposé de ses prédécesseurs au poste dont la retenue était la marque de fabrique —, Mme Aminata Touré s’épanche aujourd’hui dans les médias comme déjà un Premier ministre virtuel. Elle se mêle de tout et s’occupe de tout. Elle s’ouvre insatiablement aux médias pour tenter d’en détourner la lumière à son profit. Grand rhéteur, coriace bretteur, cet appariteur de la justice se distingue par sa propension à se placer au-devant de la scène, dût-elle pour cela écraser tous les camarades qui se mettraient en travers de sa route.
Dans l’actualité, elle fait ombrage à ses deux supérieurs de l’Exécutif que sont le Premier ministre, M. Abdoul Mbaye, et même le président de la République, M. Macky Sall. Ne parlons pas du président de la République. Elle a même réussi à éclipser une autre Aminata, Tall de son nom, ce qui n’est pas une mince performance. Cela dit, à force de monter irrésistiblement, en tout cas dans l’estime de son seul patron, le président de la République, Mme Touré devrait se méfier. L’histoire politique mondiale faite de trahisons et de meurtres à la petite semaine a toujours montré en effet que les ministres qui planent dans les nuages finissent par des chutes retentissantes. A la manière d’Icare qui s’était trop approché du soleil et dont la cire qui retenait ses ailes a fondu…
Il y a quarante-quatre ans, Israël eut comme Premier ministre une « Dame de fer » du nom de Golda Meir qui infligea en 1973 une défaite cuisante aux Arabes lors de la guerre du Kippour avant de les humilier. Mais elle finit par rendre le tablier devant le mécontentement graduel du peuple qui l’accusait de manquer de vigilance préventive après l’attaque surprise de la Syrie et de l’Egypte. Il y a trente-quatre ans, le Royaume-Uni eut comme Premier ministre Mme Margaret Thatcher qui arriva au pouvoir et imposa une politique économique fortement influencée par les idées issues du libéralisme économique et marquée par d’importantes privatisations, par la baisse de la pression fiscale, la maîtrise de l’inflation et du déficit et l’affaiblissement des syndicats.
En 1982, elle infligea une défaite humiliante aux Argentins dans les Malouines. Son anticommunisme était à ce point exacerbé que le journal soviétique L’Étoile rouge lui décerna en janvier 1976 le surnom de « Dame de fer ». Mais elle finit par être désavouée au sein de son propre parti. Ce qui l’a contrainte à la démission en novembre 1990. Ces exemples édifiants de grandeur et de décadence inattendues sont à méditer par la diserte Garde des Sceaux, future Premier ministre…