''MBAMBARA'', LA TERRE D'ACCEUIL DES BAMBARAS
QUARTIER A LA UNE
Un des quartiers les plus populaires à la cité du Rail, ‘’Mbambara’’ fait partie avec ‘’Bounte Dépôt’’ des cités qui ont accueillis les cheminots maliens. Ces derniers, venus de l’ex-Soudan occidental, par le biais du trafic ferroviaire, étaient reçus par Alé Lô, un riche homme, propriétaire à l’époque, de plusieurs terres à Thiès. D’ailleurs, c’est pour cette raison que nombreux parlent de ‘’Mbambara Alé Lô’’, pour désigner la cité. Ici cet homme est vénéré, ses descendants très respectés par les voisins. Mieux, seuls ses enfants et petits-enfants sont habilités à être des délégués de quartiers. Ce, pour magnifier le rôle joué par cet homme dans la création et l’émergence de Mbambara. Une cité qui abrite un mythique cimetière et le célèbre marché ‘’Moussanté’’. A cela s’ajoutent, la présence des représentants de plusieurs familles religieuses qui sont domiciliées dans ce quartier et la grande mosquée, où feu l’Imam Tamsir Ndiour faisait ses sermons.
Fondé par Alé Lô, Mbambara est un quartier très célèbre à Thiès. Située dans la commune d’arrondissement de Thiès-Est, la cité est à la fois populaire et populeuse. En cette fin de matinée, une atmosphère bouillonnante y règne. L’horloge affichait 12heures, le taxi qui nous y conduisit, venait de dépasser Keur Ablaye Yakhine, le quartier frontalier. Il roula quelques mètres avant d’arriver à Mbambara. A l’entrée, l’école primaire Abdoulaye Yakhine et le garage Tassette. Plus loin, se dresse la pharmacie du camp, un autre indice du quartier. Sous un soleil de plomb, les klaxons de véhicules et les coups de marteaux des mécaniciens très nombreux dans le coin, créent un vacarme assourdissant, un désordre sonore, accompagné de la poussière soulevée par le vent, effet du climat sec qui prévalait. Et quand la chaleur s’en mêle, ça devient tout simplement difficile à supporter. Cependant, ce décor infernal, ne dérange guère les habitants. Ces derniers vaquaient tranquillement à leurs occupations, dans une insalubrité notoire. Des flags d’eau et des poubelles d’ordures sont repérables dans les rues et ruelles de Mbambara, où la plupart des maisons sont en zinc. Une fois à l’intérieur, le visiteur sera néanmoins séduit par l’étendue des demeures. Des maisons spacieuses où vivent des familles élargies, et ce, depuis plusieurs siècles.
ICI ON VENERE LO.C’était il y a plus d’un siècle quand Mbambara fut fondé par Alé Lô, un grand cultivateur qui possédait une bonne partie des terres à la cité du rail. «Lui et un certain Lamatt Koumath Faye, étaient de grands propriétaires terriens», selon Daouda Ndiaye, un des petits fils d’Alé Lô. Trouvé dans le domicile familial des Lô, il assure l’intérim en l’absence du délégué de quartier Badara Lô. Surpris en train de prendre du thé avec des copains, le sieur Ndiaye nous reçoit dans son salon. De teint noir, taille moyenne, il était emmitouflé sous une chemine noire assorti d’un pantalon kaki. Interrogé sur l’origine du quartier, Daouda Ndiaye nous confie que cette cité était habituée en grande partie par des Maliens. «Mon grand-père Alé Lô accueillait les Bambaras, ils venaient du Mali. Il leur a donné des terrains pour résider. Pour désigner ces habitations, les gens disaient ‘’Keur Bambara yi’’ (Ndlr : la maison des Bambaras). Mais dans la prononciation, ils ont déformé en disant Mbambara et c’est ce nom qui a continué jusqu’à présent», a expliqué Daouda Ndiaye, à l’intérieur de son salon, où sont affichés sur les murs des photos d’Alé Lô, son fils Momar et des grandes figures religieuses de ce pays. Toujours sur l’historique du quartier, il ajoute : « quiconque possède une maison ici, c’est mon grand-père Alé Lô qui lui a tracé ». A en croire notre interlocuteur, Alé Lô y a devancé les sérères. A ‘’Mbambar’’, il est considéré comme un héro. Car seuls ses descendants sont autorisés à être chef de quartier dans cette localité. « A la mort d’Alé, son fils Momar a pris les reines. A son décès en 1976, son jeune frère Adama Lô lui a succédé jusqu'à 2010, l’année où il est rappelé à Dieu. Et depuis c’est Badara Lô qui dirige », nous a raconté le délégué intérimaire.
CA TOMBE A L’EAU. ‘’Mbambara’’ fait partie des localités de la ville de Thiès qui souffrent de plusieurs maux. Parmi ceux-ci, l’absence de canalisation, occasionnant ces dernières saisons des pluies, des inondations monstres. Pendant l’hivernage, les populations vivent un véritable calvaire. «Chaque année, le quartier est inondé. On se retrouve avec un grand lac. C’est un très grand problème», fustige Doudou Gaye un tradipraticien. Rencontré à son domicile, il vit dans ce quartier avec sa famille depuis 1961, année à laquelle il est venu de Randoulène, où il a été déplacé suite au lotissement du cadastre. A côté de ce problème de canalisation, la cité vit, selon les habitants, dans une obscurité notoire avec le déficit d’éclairage public. «Ici c’est le fief des voleurs. Chacun gère sa propre sécurité», poursuit le guérisseur Doudou Gaye. Abondant dans le même sens, le chef de quartier révèle que cela fait plus de 5 ans que l’éclairage public ne fonctionne pas. Sans compter, souligne-t-il, la Route Nationale n°3 traversant le quartier, qui n’a jamais été réfectionné. Très intéressé par le sort de son quartier, Doudou Gaye déplore en outre l’inexistence de retombées de leur proximité avec la société Transrail. A l’en croire, cette entreprise n’a pas recruté des jeunes de ‘’Mbambara’’. Ce qui fait que la plupart font dans la débrouillardise avec des activités commerciales qui, soutient le vieux Gaye, dominent dans cette cité.
En dépit de ces problèmes qui plombent le décollage économique du quartier, les habitants se réjouissent par contre de l’autre aspect lié à la religion. En effet, d’aucun définissent ‘’Mbambara’’ comme une cité religieuse, grâce à la présence de presque toutes les familles religieuses du pays. «Les représentants des familles religieuses de Tivaouane, de Touba, de Kaolack, la famille omarienne habitent tous dans ce quartier. Sans oublier la cité religieuse de Keur Abdoulaye Yakhine qui est à quelque mètres», a déclaré Youssoupha Traoré, un des jeunes surpris autour de la théière devant une maison sise en face du cimentière. En nombre de cinq, ils ont tous loué la paix et la solidarité qui prévalent dans leur cité. «A part le problème de canalisation et d’éclairage, c’est un quartier calme où les gens vivent en parfaite harmonie», lance l’un d’eux, avant juste l’appel du muezzin pour la deuxième prière de la journée. La chaleur de plomb augmenta d’intensité, sous une quiétude. Seules quelques personnes circulaient dans les rues. Les populations retranchées dans les domiciles, dégustaient sans doute le plat de la mi-journée.
Alé Lô, l’altruiste
Père fondateur du quartier ‘’Mbambara’’, Alé Lô était un agriculteur, propriétaire de nombreuses terres à la cité du rail. A ‘’Mbambara’’, cet homme est une figure emblématique. Généreux et hospitalier, c’est lui qui a accueilli les Maliens qui travaillaient à la régie des chemins de fer. Dans ce quartier, les habitants lui vouent un respect notoire. Car quiconque aujourd’hui possède une maison dans cette cité, c’est grâce à lui. A la découverte de l’icône de ‘’Mbambara’’ mais aussi des Maliens.
Né en 1824 à Borofo un village situé dans le ‘’Ndiambour’’, Alé Lô était un agriculteur. Venu s’enquérir de la situation de son jeune frère, il a fini par résider à Thiès. «Il y avait des violences, alors il croyait que son frère était tué. Mais ce dernier allait bien», nous confie sa fille Betty Lô. Trouvée assise sur une natte, elle venait de terminer la troisième prière de la journée et égrenait son chapelet. Une voile sur la tête, c’est avec émotion qu’elle raconte la vie et l’œuvre de son père. De teint clair, Betty Lô veille jalousement sur l’héritage paternel. En véritable gardienne du temple, elle nous fait savoir que Alé Lô a travaillé par la suite à Dakar dans le bateau ‘’Messager’’. Un job qui lui a permis d’acquérir un patrimoine immobilier important à Tilène. En dépit de cette fortune, l’idée de retourner dans son village lui tente. Mais le passage à Thiès d’un certain Marame Ndiaye écourte son projet. Ce dernier, de l’avis de sa fille Betty Lô, lui a offert un champ à Thiès. Cultivée pendant des années, cette terre génère d’autres champs dans la capitale du rail. De ce fait, lui et les sérères nones étaient les seuls propriétaires de terres à Thiès. D’un simple cultivateur, Alé Lô devient ainsi un riche homme d’affaires. Sa notoriété dans le quartier prend des galons. Une réputation qu’il a sue utilisé à bon escient. «Il donnait gratuitement de terres aux gens pour habiter. Qui possède une maison dans cette citée, c’est Alé Lô qui lui a donné», a révélé Daouda Ndiaye, petit fils de l’homme. Sa générosité consolide au fil du temps sa réputation. Dans le quartier, cette qualité de l’homme est connue de tous. Sa bonté est vantée haut et fort. Des compatriotes aux étrangers, l’homme a été un serviteur. En témoigne les Bambaras (Ndlr : Maliens) qu’il a accueillis et donnés des terrains
AMITIE AVEC SENGHOR. A l’image des Maliens, ce fervent mouride a également reçu des religieux comme feux Abdoulaye Yakhine et Tafsir Momar Ndiour, le père du défunt imam de la grande mosquée de Moussanté, Tamsir Ndiour. D’ailleurs, Alé Lô a contribué financièrement à la construction de cette mosquée. Selon son petit-fils, son grand-père a donné le terrain, un cheval et une somme d’argent, pour l’occasion. Revenant sur l’accueil d’Abdoulaye Yakhine par Alé Lô, le délégué de quartier par intérim, nous apprend que son grand-père lui avait donné carte blanche pour prendre l’espace qu’il voulait. Résultat : les deux quartiers, ‘’Keur Abdoulaye Yakhine’’ et ‘’Mbambara’’ sont frontaliers. «Abdoulaye Yakhine venait de Keur Ndiaga Mbaye. Mais Alé Lo l’a accueilli à bras ouvert comme il l’a fait pour les Maliens qui étaient affectés à la cité du rail», relate Daouda Ndiaye, qui ne tarit pas d’éloges pour son grand-père. «C’était un homme social et hospitalier. Les visiteurs étaient hébergés et nourris chez lui gratuitement», a-t-il ajouté.
A côté de ces personnalités religieuses, Alé Lô avait aussi des relations avec les hommes politiques. A en croire sa fille Betty Lô, Léopold Sédar Senghor lui rendait souvent visite à son domicile. Nous montrant du doigt la chambre où son père recevait le premier président sénégalais, la dame déclare que Senghor avait des rapports particuliers avec son père, jusqu’à sa mort en 1930, à l’âge de 106.
Les facettes d’un quartier religieux
Implanté au cœur du quartier, le cimentière de ‘’Mbambara’’ est connu de toute la population Thièssoise. Ici cette infrastructure est une indication pour ceux qui visitent pour la première fois la cité. Très vaste, le cimetière est également le résultat de la générosité de l’icône du quartier en l’occurrence Alé Lô. C’était lors de la première épidémie de peste à Thiès. Sur demande de l’administration coloniale, il avait prêté ses champs pour que les victimes de cette maladie y soient enterrées. Non loin, se dresse la grande mosquée de Moussanté où seuls les ‘’Ndiour’’ ont droit à l’imamat.
Avec un mur de clôture peint en blanc et une porte d’entrée en vert, le cimetière de ‘’Mbambara’’ est un lieu mythique dans cette localité. Même si dans le quartier, les gens ne se souviennent pas de l’année de sa création, d’aucuns sont unanimes qu’il date de la première épidémie de peste qui a frappé la cité du rail. D’après le délégué de quartier, l’administration coloniale n’avait pas où enterrer les gens emportés par la peste. Alors elle demanda à Alé Lô, de lui prêter ses champs. «Comme il possédait beaucoup de terres, il n’a pas hésité à lui donner gratuitement une partie. Et on y enterra les morts de la peste. Par la suite, Alé va lui-même le transformer en cimetière en donnant carte blanche à qui le veut, d’y enterrer son mort», fait Badara Lô. A l’intérieur, l’immensité de l’espace attire l’attention avec des tombes qui s’étendent à perte de vue. Donnant l’impression que l’espace va bientôt manquer dans cet endroit. Il était dix-sept heures passé lors de notre passage en ce lieu. L’ambiance y est paisible. Point d’enterrement, seuls quelques visiteurs étaient visibles sur place. Parmi eux, une dame et deux hommes. Des frères et sœurs, venus se recueillir sur la tombe de leur mère. «C’est aujourd’hui, le premier anniversaire de son décès. C’est pourquoi nous sommes venus ici, prier pour elle, pour que cette terre lui soi légère», lance Moussa Dioum, l’un d’eux. Domicilié à Diamaguène, il nous apprend que les quartiers environnants amènent tous, leurs morts dans ce cimetière. Raison pour laquelle, il suggère aux autorités de penser déjà à la construction d’un autre cimetière. Car au rythme ou les enterrements se déroulent, le cimetière va bientôt atteindre son seuil, d’après notre interlocuteur.
A ‘’Mbambara’’ l’implantation du cimetière est bien appréciée. Selon eux, le fait de cohabiter avec les morts les rapproche davantage de Dieu. Cela peut les dévier de certaines pratiques à l’encontre des préceptes de l’Islam. «On côtoie les morts et c’est une bonne chose surtout pour la jeunesse. Parce qu’ils auront toujours à l’esprit que tôt ou tard, ils finiront dans ce cimetière. En outre, l’existence de ce cimetière renforce l’aspect très religieux de ce quartier», martèle Doudou Gaye le guérisseur.
MOSQUEE DE MOUSSANTE, SANCTUAIRE DES NDIOUR. L’autre infrastructure religieuse érigée dans cette cité est la grande Mosquée de Moussanté. Située en face du marché, elle est également un autre monument de ‘’Mbambara’’. Première mosquée du département de Thiès, elle a été fondée en 1906 par Tafsir Momar Ndiour, accueilli dans le quartier par Alé Lô, qui a participé financièrement à sa construction. Selon l’actuel imam de la mosquée, Tafsir Ababacar Ndiour, à part Alé Lô, El Hadji Malick Sy et Cheikh Ahmadou Bamba, ont aussi contribué à la mise sur pied de cette maison de Dieu. « C’est El Hadji Malick Sy qui l’a tracée et Cheikh Ahmadou Bamba a donné de l’argent et un cheval. C’est Serigne Massamba Mbacké qui a amené la contribution», raconte Tafsir Ababacar Ndiour. Etant pendant presque 50 ans, la seule et unique mosquée du département de Thiès, d’après toujours Imam Tafsir Ababacar Ndiour, cette mosquée familiale a eu comme premier imam son fondateur Tafsir Momar Ndiour. Trois de ses fils vont ensuite se succédés à l’imamat. Décédé en juin 2010, Mame Tamsir Ndiour a inauguré l’ère des petit-fils. Il sera remplacé par l’actuel imam Tafsir Ababacar Ndiour. D’après ce dernier, il en sera ainsi jusqu’à l’éternité. «Pour l’imamat, ça suit la lignée familiale», révèle l’imam. D’où le caractère particulier de cette mosquée, sis au cœur du marché Moussanté.