MICHAELLE JEAN SE MET EN PISTE
SUCCESSION DE ABDOU DIOUF A L'OIF
En visite au Sénégal, la Chancelière de l’Université d’Ottawa au Canada, Michaëlle Jean, a exprimé son intérêt pour le poste de secrétaire général de la Francophonie. L’ex-gouverneur général du Canada souhaiterait succéder à l’ancien chef de l’Etat sénégalais, Abdou Diouf, dont la succession sera organisée en 2014.
Envoyée spéciale de l’Onu pour l’Unesco dans son pays d’origine Haïti, Michaëlle Jean parle de la refondation de son pays d’origine et regrette l’absence de normes et de règles qui ont conduit cette Nation au fond du gouffre.
En 2005, vous avez été nommée gouverneur général du Canada. Quelle signification avez-vous donné à cette nomination?
Premièrement, j’ai réfléchi. J’ai pris le temps qu’il fallait parce qu’au plus profond de mes valeurs on ne fait pas que pour soi. On le fait parce qu’on a le sentiment qu’on peut contribuer à quelque chose de plus grand que soi. Alors qu’une femme noire arrivée au Canada avec sa famille comme réfugiée politique, accepter d’assumer cette très haute fonction au sein de la gouvernance canadienne, cela a frappé les esprits. Ce qui m’a amené à accepter la conviction de ce que cela pouvait déclencher comme possible réaction pour beaucoup d’autres. Ça a été la même chose quand j’ai entrepris la carrière de journaliste à la télévision publique canadienne. Je ne le faisais pas pour moi-même. Je le faisais parce que je sentais que, par ce petit écran, je pouvais correspondre à quelque chose qui peut être un puissant déclencheur pour légitimer les rêves de ceux ou celles qui ne se trouvaient pas là. Pendant mon mandat, j’ai beaucoup travaillé avec les jeunes qu’ils soient noirs ou pas. Ce n’est même pas une question de couleur c’est une occasion pour eux de se dire que c’est donc possible. Moi, je crois beaucoup à ce rôle que nous avons d’être en quelque sorte des vecteurs d’espoir. Déclencheurs de rêves. La citoyenneté, c’est participer, c’est contribuer, c’est oser. Et quand l’occasion d’ouvrir la voie se présente, il faut toujours la saisir.
Votre nom est souvent très cité pour succéder à Abdou Diouf à la tête de la Francophonie. Est-ce que vous êtes intéressée par ce poste ?
C’est vrai que je suis très sollicitée. La question est souvent abordée, des gens m’approchent, m’en parlent. Je suis pétrie de francophonie. Je suis d’origine haïtienne, je suis canadienne, je suis du Nord et du Sud. Je considère la Francophonie comme un espace extrêmement dynamique, extrêmement vivant. J’ai eu à travailler de très près avec l’Organisation internationale de la francophonie (Oif) alors que j’étais grand témoin de la francophonie. Oui je suis intéressée. Je serais disposée à m’engager pleinement mais il m’importe quand même de recueillir les perspectives. Quand on fait un choix, on ne le fait pas seulement pour soi même. On le fait aussi en se disant qu’on le fait pour l’ensemble, pour le plus grand nombre, en se disant vers quoi on a envie d’aller ? Sur quelles perspectives ? Comment est-ce qu’on voit la Francophonie pour demain ? C’est une organisation qui a un très beau bilan, le Sénégal en sait quelque chose. La francophonie a quand même son berceau ici avec Léopold Sédar Senghor. Le Président Abdou Diouf a fait un travail extraordinaire. Il a amené cette institution à un niveau de crédibilité et de pertinence, il en a fait un outil de médiation en temps de crise. On a voulu d’une francophonie plus politique, et il a réussi ce défi d’en faire un instrument beaucoup plus politique. Cette organisation a su vivre une restructuration au niveau de son administration. Ce que vous allez célébrer ici en 2014 (Sommet de la francophonie prévue à Dakar) constitue un énorme succès.
Que l’on sente vraiment que ce Sommet de Dakar vienne donner une impulsion forte et percutante pour la francophonie.
Quel contenu comptez-vous donner à la francophonie si toutefois vous êtes élue?
En ce moment, je suis vraiment en réflexion, lorsqu’on évoque cette hypothèse, j’ai le souci constant qu’on passe de la parole aux actes. J’ai le souci aussi constant qu’on soit au plus près des forces vives dans nos sociétés. Il est important d’avoir le souci de l’obligation des résultats. C’est essentiel. Je crois à l’importance de dynamiser tout espace où je m’implique. Il y a toujours cette possibilité lorsqu’on s’engage quelque part de faire en sorte que l’on réinvente les règles. La modernité, c’est un peu ça c’est-à-dire savoir aller vers les espaces, rejoindre les citoyens et les citoyennes sans avoir peur parfois de sortir des chantiers battus.
Vous êtes envoyée spéciale de l’Onu pour l’Unesco en Haïti, votre pays d’origine. Après le drame qui s’est passé dans ce pays pouvez-vous nous décrire maintenant la situation?
(Très émue) J’ai vu ce pays dévasté. J’ai porté de nombreux deuils. J’ai vu ce pays en ruines. Une population en état de choc. Et ce que je retrouve trois ans après, c’est une vraie volonté en marche. Le pays est en immense chantier en ce moment. Ce pays a fait des choix qui sont déterminants. Aujourd’hui en Haïti, on ne parle pas de reconstruction. On parle de refondation. Refonder le système, l’éducation. Refonder l’approche dans l’aménagement du territoire, les choix dans le domaine de l’agriculture, le rôle des femmes, le rôle des jeunes. Penser à des infrastructures durables. Etablir un système de normes, de règles, créer une vraie économie. Sortir de la dépendance chronique à l’aide internationale. Faire de la culture un levier profond de développement. Penser au bien commun à toutes les occasions, voir comment on fait ensemble autour d’un projet commun. Sortir du chacun pour soi et pour son clan et pour sa famille et penser davantage aux biens communs. C’est un exercice de tous les instants en Haïti. Est-ce qu’on peut parfois sortir de l’esprit partisan ?
Le tremblement de terre a été le moment où on s’est dit qu’il faut vraiment changer les choses et les approches. Ce n’est pas le tremblement de terre qui a tué les gens. C’est l’absence de normes et de règles. C’est les responsabilités chroniques, c’est ça qui a tué les gens. Et je pense que les Haïtiens sortent de cette expérience en se disant qu’il faut vraiment tout repenser. Vous vous rendez compte comme ce que cela représente comme défis ? Alors accompagner dans les champs de compétence l’Unesco que sont l’éducation, la culture, les sciences, accompagner ce pays là qui veut se remettre sur ses deux jambes et avancer pour ne pas être toujours l’alibi des autres, sortir du pays laboratoire de toutes les expériences, de tous les projets sans coordination mais se ressaisir et affirmer clairement sa perspective et en même temps toujours avec parfois des réflexes qui sont difficiles à désamorcer. C’est passionnant de voir ce pays en marche.