MILICE ET POLICE EN LICE
Comme pour avertir que la création d’une Agence de sécurité de proximité n’est pas la panacée des maux combinés dans les faits divers cités en l’occurrence, Serigne Mansour Sy Djamil a évoqué le danger des milices parallèles. Car pour lui, les 10 000 jeunes chargés de la préservation de la sécurité de proximité ne devrait pas être une milice mise en place par un parti politique, qui serait payée par l’Etat. Une certaine nostalgie de l’exégèse marxiste éclaire son analyse de la concession du monopole de la violence par l’Etat libéral et la lui fait regretter non sans raison. Cette critique annonce une prochaine dissidence rendue plus intolérable pour le camp du pouvoir par la stratégie apparente de sape de l’alliance gouvernementale par une démoralisation de sa gauche, le Parti de l’indépendance et du travail (PIT) et la Ligue démocratique (LD) en dénonçant leur silence comme si elle ne coulait pas de source. En lui répondant en temps réel et en agitant la perte des avantages qu’il a acquis dans le cadre de cette coalition, son poste de vice- président de l’Assemblée nationale notamment, le noyau « apériste » montre que le temps de déballer est venu, mais au cas par cas. A l’intérieur du parti de gouvernement, avec l’exclusion prochaine d’Alioune Badara Cissé comme avec les alliés qui regimbe- raient, les faucons du camp présidentiel veulent accélérer la cadence des purges et des séparations. Pour ne pas laisser l’initiative aux éventuels briseurs d’alliance de se liguer et pour se donner le temps de préparer les pro- chaines échéances municipales.
Ce pari audacieux tient compte de la faiblesse du parti présidentiel mais aussi des rivalités des partis et personnalités encore alliés, lesquels déjà concurrents au pouvoir, devraient se combattre plus férocement dans l’opposition. Pour le moment, rien ne vient démentir l’hypothèse que le parti présidentiel peut dilater son bassin électoral sur sa gauche comme sur sa droite malgré les réticences affichées jusqu’ici par les cadres sectaires de l’Alliance pour la république (APR). Que les élections municipales soient perçues comme un test présidentiel ou comme un enjeu de promotion individuelle des cadres sera déterminant de l’âpreté avec laquelle elle sera disputée. Il se peut que le choix anticipé d’une stratégie électorale allie les deux préoccupations dors et déjà et explique l’écartement d’Alioune Badara Cissé, la passion soulevée par la candidature d’Alioune Sall à Guédiawaye, la réforme foncière et même la création de la sécurité de proximité.
Cette milice constituée de jeunes recrutés sur une base non partisane, donc supposée neutre, n’a pas les moyens de se démarquer des directives du parti au pouvoir dans l’accomplissement de sa mission. Car quelles que soient les conditions de leur sélection, ils sont sinon reconnaissants du moins dépendants de la structure d’Etat qui les emploie. C’est en effet un leurre que de croire qu’ils serviront seulement à combattre la petite délinquance locale. Inspirée des «jeunes volontaires» de la Mairie de Dakar qui ont aidé à assainir la circulation et à dégager l’encombrement des marchés, mais aussi à tenir la dragée haute aux velléités destructrices des marchands ambulants, leur tâche sera plus rude : ils seront aux premières loges des conflits entre fractions politiques lors du scrutin municipal en vue si celles-ci confirment la passion extrême qu’elles suscitent déjà.
Ils seront un appoint de taille aux forces de l’ordre à cause de leur adaptation aux réalités de leur zone d’affectation et de leur faculté à se mouvoir parmi les groupes épars que les forces de police ne peuvent contenir que dans les grandes artères. Chichement payés cent fois moins que leur Directeur à 50 000 francs par mois, quelle que soit leur qualification par ailleurs, ils ne peuvent être pris pour des cibles représentatives de l’autorité étatique. Leur statut prolétarien qui devrait établir entre eux et les populations des relations moins tendues en temps de crise, devrait les inciter à se syndiquer donc à ne pas être un docile instrument supplétif de la police d’Etat. Cette instabilité en soi conforte dans un autre sens les craintes de Serigne Mansour Sy Djamil : cette milice de plus ne peut qu’ajouter aux problèmes du mal emploi fait de revendications salariales et d’agitation sociale. Avec toutes les sociétés employant des vigiles et des gardiens en plus des rebelles casamançais, le nombre des hommes en armes sans avoir qualité de les porter n’est-il pas désormais supérieur à l’effectif de nos forces armées ?
Encore que les missions extérieures fortement convoitées pour des raisons moins élevées que ne le décline Madame Anna Sémou Faye, Directeur général de la police nationale, contribuent à diminuer les effectifs disponibles sur le territoire national pour le maintien de l’ordre. Cette dernière trouvaille de nos nouveaux dirigeants, d’une Agence de sécurité de proximité (ASP), est certainement motivée par le besoin de tailler un fief à un affidé. Ne participe-t-elle pas à une dérégulation accélérée de la Sécurité publique ? Pour ma part, j’ai refusé au prix d’une querelle soutenue de donner ma pièce d’identité à un vigile quand ceux-ci ont pris pied dans le temple de Thémis, à ma grande surprise. Le gendarme qui est venu à sa rescousse, a mis fin à la controverse de très bas niveau puisque limité à l’alternative passer ou ne pas passer, en contrôlant lui-même mon identité. Au vu des performances délictueuses tous azimuts des policiers, leurs oreilles vont siffler lors du prochain défilé du 4 avril. Mais quid des 10 000 agents de la sécurité de proximité, ces prochaines fêtes du travail du 1er mai ?