MIMI EN LIGNE DE MIRE
LE SALUT PUBLIC
L’actualité le veut. La crise couve au sommet de l’exécutif. Entre le président de la République et son Premier ministre - si fraîchement installé - le malaise se serait glissé. Ce que je crois, c’est qu’autour de Macky Sall et Mme le Premier ministre Aminata Touré se joue une partie de poker politique dont ils ne sont tous les deux que les cartes, et non pas les joueurs. Ce qui est visible, et de plus en plus, dans cette partie de poker, c’est qu’au sein de l’Apr, comme certainement du gouvernement –les deux entités sont en fusion, chaque jour un peu plus- Mme Aminata Touré fait face à des manifestations d’hostilités sourdes ou ouvertes, mais réelles.
Le but du jeu : l’affaiblir en créant le malaise entre lui et le Président, instiller du doute dans sa tête à elle ; saper sa confiance en elle d’abord. Ensuite, et conséquemment, la prendre en faute (ou même pas ; mais en le faisant croire au président) sur sa nécessaire loyauté envers le chef. Mimi saura-t-elle faire face et éviter le piège ?
L’affaire serait simple si elle n’était que le fait de comploteurs du dimanche, oisifs ne sachant que faire de leurs temps libres, ou de frustrés des nominations et prébendes comme on en trouve autour de la table de ce jeu singulier ; mais il y a d’autres choses.
L’appartenance idéologique de Mimi Touré, son orientation révolutionnaire qui rencontre aujourd’hui la responsabilité gouvernementale au sommet, la gestion des affaires publiques, l’oblige à de nécessaires ajustements (ça ne plaît évidemment pas à tout le monde) ; et il y a l’Alliance pour la République du Président Macky Sall, parti politique jeune, certes, mais excroissance du Pds dont il tire une bonne partie de son Adn (image forte empruntée à un ami).
Mme le Premier ministre du Sénégal est une trotskyste qui revendiquait, il y a encore peu, son trotskysme dans «Jeune Afrique», une passion idéologique rencontrée à l’adolescence, âge où l’on est d’une grande perméabilité aux idées, son engagement étant, en sus, quasiment d’essence familiale. Or le trotskysme est une doctrine impréparée à la gestion du pouvoir, et dont la pierre angulaire est ce que ses adeptes appellent la «Révolution permanente».
Les contours que celle-là prend sont nombreux, mais l’infiltration d’appareils politiques n’en est pas le moins courant, et chaque fois, quelle que soit l’organisation infiltrée (fût-elle aux antipodes de la gauche à laquelle ils appartiennent) les trotskystes procèdent à une théorisation très élaborée et séduisante de leur démarche. Jusqu’à ce qu’ils explosent l’organisme hôte. L’entrisme, dans son acception première, est leur spécialité.
L’Urd de Djibo Kâ en a fait l’amère expérience, à la fin des années 1990, début 2000, quand son leader avait cru que la bande à Doudou Sarr, Aziz Sow, Mahmouth Saleh, s’était ralliée à lui parce qu’ils croyaient à son destin ; jusqu’à ce qu’il entreprit de les embarquer dans son revirement, entre les deux tours de la Présidentielle de mars 2000, en faveur de Diouf. Ils le lâchèrent pour entrer comme un couteau dans du beurre dans la forteresse droitiste de Wade voguant allègrement vers le pouvoir.
Leur «Révolution permanente» n’étant pas que de la rhétorique, leurs faits d’arme au sein du régime libéral sont entrés dans les mémoires.
Notamment, la conception –théorisation du «Coup d’Etat rampant» pour donner plus d’allant à la platitude politique qu’était cette «dualité au sommet de l’Etat» pondue par les pataphysiciens de Wade pour diaboliser Idrissa Seck aux fins de le brûler.
Le concept qui emprunte plus que de la sémantique à la «Révolution permanente» fit les dégâts que l’on sait sur la carrière politique d’Idrissa Seck, mais ses conséquences sur le Pds et le régime de Wade ont un lien direct avec sa dégradante chute, suite à sa perversion en monarchie… rampante.
Jamais le régime de Wade, jusqu’à sa chute, ne s’est remis de cette révolution de palais encadrée par Saleh. Sans frais pour lui, parce qu’aujourd’hui, le même Saleh trône au palais de Macky Sall, directeur de Cabinet politique du Président, après avoir su sentir le vent qui tournait contre Wade, alors qu’il avait contribué à le faire tourner.
Les trotskystes sont les spécialistes de la survie politique. Ils n’ont jamais démontré qu’ils étaient passionnés de responsabilités publiques. Ministre évanescent, Aziz Sow semble s’être senti plus à l’aise en tant qu’adjoint de Sindièly Wade au Fesman, Doudou Sarr lui-même a été si éphémère au gouvernement…
L’idéologie que Mimi Touré a partagée avec cette glorieuse troïka, forcément, va agir elle, mais ne détermine pas le choc avec l’Apr qui la propulse au coeur de cette partie de Poker où l’on joue sa tête. Si c’était le cas, le choc serait intervenu bien plus tôt et Mimi ne serait jamais devenue Premier ministre de Macky Sall, le libéral. C’est qu’il est en train de se passer un fait assez inquiétant pour qui sait observer.
Les tenants de l’idéologie dont se réclamait Mimi Touré avec une certaine fraîcheur romantique, et qui sont au coeur du système en construction de l’Alliance pour la République,seraient en train de fourbir leurs armes pour les retourner contre elle. Il y aurait une alliance objective entre eux et les «apéristes» les plus atteints par les maladies héréditaires du système Pds.
En réalité, L’Adn du Pds ayant fourni à l’Apr des traits de caractères et réflexes récurrents, celui qui commande cette offensive, cette Opa sur la tête du Premier ministre, est ce qui, au Pds, pouvait être
désigné comme le «Complot permanent». C’est ce complot aux contours toujours mesquins qui a eu raison ou affaiblit tous ceux qui ont eu le malheur de porter le titre de Numéro deux du Pds, de feu Fara Ndiaye à Idrissa Seck, en passant par feu Boubacar Sall et aussi Ousmane Ngom, en son temps, sans oublier, bien évidemment, Macky Sal, lui-même. Sa rencontre avec «La révolution permanente» risque d’être explosive.
Alors Mimi saura-t-elle faire face, éviter le piège d’un clan, l’Apr, rompu par héritage au complot, et apparemment soutenu par des gens dont le Premier ministre appréhende bien la capacité de nuisance ; et, par ailleurs, exorciser les démons de son héritage idéologique propre ? Je crois personnellement qu’il ne faut pas trop vite sonner le glas pour elle. D’abord, c’est le Président Macky Sall lui-même qui doit être son principal allié devant cette épreuve du piège extérieur, le complot. Les enjeux sont aussi risqués pour lui, seulement un trimestre après qu’il se soit trouvé un Premier ministre à sa mesure, dont la nomination avait été saluée par tout le monde.
En outre, si au Pds, Wade lui-même était l’orchestrateur des complots, c’est qu’il savait bien avec la structuration de sa formation politique, que lui seul, «la Constante », le pouvait. Sans sa caution, voire sa participation directe, aucune cabale n’aboutissait.
Ce devrait être la même chose à l’Apr, vu que ce parti aussi, non structuré et qui le revendique, ne compte qu’une constante, Macky Sall. S’il tape sérieusement sur la table -mais sérieusement- les gens laisseront Mimi travailler. En plus, c’est dans l’intérêt de tous, je parle du pays, de disposer d’un gouvernement stable et surtout crédible. Et l’intérêt de tous, le président de la République en est le premier responsable.
Sur son trotskysme, il convient de dire, sous le contrôle de tous les observateurs, que si Mimi n’est pas un enfant de choeur, elle n’est pas du type de trotskystes cités dans ce papier. Elle a su, en intellectuelle sensible, apprendre du monde professionnel dans lequel elle s’était immergée comme fonctionnaire internationale, que la politique est un moyen, et non une fin. Et qu’en tant que Premier ministre du Sénégal, il lui suffit de lever la tête pour s’apercevoir que de fins, il n’en manque pas pour l’occuper.
Et c’est peut-être ce que ne supportent pas ceux qui veulent sa peau.