MINUIT MOINS CINQ POUR COMPAORÉ
On profite rarement de l’expérience d’autrui. Cette assertion est souvent vérifiée en politique. Seconde assertion qui se vérifie encore plus en politique, le pouvoir use et corrompt. Et le pouvoir absolu use et corrompt absolument.
Arrivé au pouvoir après un putsch sanglant et s’y être maintenu en éliminant la plupart de ceux qui l’ont aidé à y accéder ; après s’être imposé comme le parrain de l’Afrique de l’Ouest, contribué à mettre des pays comme le Liberia et la Sierra Leone à feu et à sang en y soutenant des pires crapules, le dirigeant burkinabè Blaise Compaoré a su se faire une virginité en s’imposant comme le médiateur attitré dans tous les conflits qui ensanglantent les pays de la sous-région. Même les séparatistes du Nord du Mali n’ont voulu négocier qu’en passant par lui. Mais dans le même temps, il posait une chape de plomb sur son propre pays.
Pendant vingt-sept ans, depuis 1987, Blaise Compaoré a su éliminer toute velléité de contestation, après avoir assassiné Thomas Sankara. S’il existe une certaine liberté d’expression au Burkina, elle a toujours bien été canalisée, les journaux «mal-pensants» ayant été mis au pas de manière subtile, soit en les privant des ressources, soit, s’ils ne comprenaient pas jusqu’où ne pas aller, en éliminant certains journalistes.
Le cas le plus connu est celui du regretté Norbert Zongo, dont le malheur aura été de s’intéresser aux «frasques» du jeune frère du dictateur, M. François Compaoré, qui a puni à sa manière un domestique qui a oublié ses limites. Norbert Zongo paya son enquête de sa vie.
Le tollé soulevé par cette affaire et les changements d’ordre institutionnel qu’elle entraîna ne purent pourtant ébranler le pouvoir de l’Homme de Kosyam, du nom du lieu où il s’est fait construire son nouveau Palais présidentiel.
En fait, Blaise Compaoré a eu le temps de mettre en place un système dont il était le centre, et qui servait à pérenniser son pouvoir.
Même les principaux leaders de l’opposition burkinabè peuvent être considérés comme des membres de ce système, ayant à un moment ou un autre, servi «le Beau Blaise», dans le gouvernement ou à un autre poste. L’Armée, bien tenue par des hommes qui lui doivent tout, lui est fidèle de manière incontestable.
Et ne parlons pas des pays voisins. Si Macky Sall a pu nier et démentir l’information livrée par l’hebdomadaire Jeune Afrique, selon laquelle il soutenait une candidature de Compaoré pour un troisième mandat, en violation des dispositions de la Constitution burkinabè, les autres dirigeants qui se sont tus n’en sont pas des moins fervents supporters.
Alassane Ouattara et Guillaume Soro n’ont jamais caché que c’est grâce à Compaoré qu’ils ont pu faire tomber Laurent Gbagbo. Au Mali, il est un acteur incontournable dans l’ébauche de négociations que le pouvoir tente d’établir avec sa rébellion du Nord. On a parlé du rôle qu’il a joué dans l’installation de la rébellion de Charles Taylor au Liberia et Foday Sankoh en Sierra Leone.
Le seul pays qui lui était peu favorable, le Ghana, est revenu à des bons sentiments depuis la mort de John Atta-Mills. En fait, le seul élément dont il a négligé de prendre en compte pour assurer son pouvoir, c’est son Peuple.
Beaucoup de ces jeunes gens qui sont sortis dans les rues de Ouaga et des villes de l’intérieur avaient moins de vingt ans. En plus des problèmes de gouvernance qu’ils reprochent à leurs dirigeants, ces jeunes en ont assez de ne voir, depuis leur naissance, qu’une seule figure à la tête de leur pays.
Ayant à peine entamé la soixantaine, Blaise Compaoré est déjà usé par le pouvoir, à l’âge où Abdoulaye Wade ne faisait qu’en rêver. Il va essayer toutes les artifices pour s’y maintenir, dans son obstination à mal interpréter la volonté de son Peuple. Mais même s’il veut bloquer toutes les horloges de son Palais, minuit finira par sonner pour lui.