MISE EN DEMEURE - Vers un bras de fer avec l'Etat sur la sortie du territoire national : Karim Wade un colis piégé - Il veut voyager pour apporter ses preuves

Karim Wade constitue un véritable colis piégé. Entre le principe immuable du respect du droit de la défense et le risque de le laisser s’échapper, l’Etat du Sénégal est écartelé entre deux positions. Car l’ex-ministre va demander la levée de son interdiction de sortie du territoire pour apporter les preuves de son enrichissement licite. Selon toute vraisemblance, l’Etat n’accéderait pas à cette requête qu’il va formuler.
Après la publication d’un rapport sans concession et explosif sur les biens mal acquis rendu public ce vendredi par certains médias, qui devrait semer le trouble jusque sous les dorures de Versailles, Karim Wade est à la croisée des chemins. Il le sait : il y a celui qui le mène à la prison et celui qui le maintient en liberté. Il traversera sans doute ses trente jours comme une âme en peine à la recherche des justificatifs qui attestent son enrichissement licite. Cette mise en demeure est le premier jalon décisif de la mise en branle du processus judiciaire. Outre la fortune personnelle et opaque du fils de l’ex-chef de l’Etat reconstituée par les enquêteurs, cette affaire mettra en lumière le pouvoir judiciaire notamment le Parquet spécial pour lui éviter de se heurter à un mur politique qui l’empêcherait de «jouir de ses droits». Vu l’immensité de la richesse à lui reprochée (691 milliards), Karim Wade sollicitera la levée de son interdiction de voyager. Il va bien sûr formuler cette requête pour se donner les moyens de sa défense.
Aujourd’hui, cette mesure constituerait un frein à sa défense. Le monde observe et l’Etat sénégalais semble unanime sur le principe de la présomption d’innocence. Lancé dans la traque des biens mal acquis, le Sénégal a réussi à décortiquer les biens «sénégalais» de certains anciens dirigeants libéraux, parmi lesquels Karim Wade, grâce à la collaboration de certains pays occidentaux, terre d’asile de l’argent détourné. D’après certains officiels sénégalais, son interdiction de quitter le territoire sera maintenue. «Il n’a pas voyagé au moment des auditions a fortiori après avoir reçu sa mise en demeure», souffle un haut responsable de l’Etat. Pourquoi ? «Parce que dans l’ère moderne, on peut obtenir toutes les informations économiques en restant sur place grâce à l’internet. Il ne bougera pas d’ici», répond-il. A travers cette mesure, les autorités rompraient le principe de l’équité. Il est évident que l’ex-ministre de l’Energie est en droit de demander à emprunter le même circuit que les autorités qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour rassembler une pile de preuves qui le compromettraient. Même si on lui reproche d’avoir utilisé les circuits financiers clandestins pour cacher son magot. Ce refus va une nouvelle fois enflammer et passionner l’espace public qui ne bruit que du dossier du prince déchu.
A vrai dire, une décision du Parquet qui l’autorise à voyager pourrait être «une avancée juridique historique». Sinon, d’aucuns pourraient reprocher au gouvernement de s’être engagé dans cette affaire en foulant au pied le droit sacré de la défense, qui se retrouve dans ce dossier, à prouver l’origine de sa fortune. Ce qu’on appelle le renversement de la charge. Le Sénégal verra se refléter, enfin, l’image d’un pays déterminé à traquer les biens mal acquis dans le respect de tous les principes de bon fonctionnement d’un Etat de droit. Le Président sénégalais, qui semblait perdu au cœur d’un gouvernement confus, redorerait son blason et se referait une image d’homme d’Etat à cheval entre la reddition des comptes et le bon fonctionnement de la justice. Surtout que Macky Sall a accédé au pouvoir sur la promesse non seulement de changer la politique, banalité de toute campagne, mais aussi de moderniser la démocratie et d’assurer l’indépendance de la justice qui consacre le droit de la défense.
Si politiquement et juridiquement cette position ne doit souffrir d’aucune compromission pour permettre à Karim Wade de rassembler les preuves de sa défense, l’Etat du Sénégal est aussi face à une incertitude. En remettant les pieds en France, va-t-il revenir au pays pour affronter la suite de la procédure judiciaire ? Il faut savoir qu’il n’y a pas d’accords d’extradition entre le Sénégal et la France. Pis, l’Hexagone n’extrade jamais ses citoyens. En effet, l’affaire Lamine Diouf, ancien patron de l’Ipres qui avait été confondu par la Cour des comptes à cause de sa gestion gabégique, est encore fraîche dans les mémoires. Il était parti avec quelques milliards de Francs Cfa. Chat échaudé… Pour Karim Wade, la vie n’est pas un allié fiable.
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