MON AUDIENCE AVEC LE PRÉSIDENT
Des passeports diplomatiques avaient été distribués à des marabouts par le ministre de la Justice. Ce dernier aurait invoqué une nécessité de rétablir une justice. Ce n'est pas ça la rupture
Bonjour M. le Président, je commence par vous souhaiter mes meilleurs vœux et vous remercier de bien vouloir inaugurer avec moi, à l'entame de ce nouvel an 2015, une audience de type nouveau, libre et publique, par média interposés avec les citoyens.
Un président est une personnalité singulière dans une nation, de ce fait il intéresse tout le monde et par conséquent ne devrait se contenter des réseaux sociaux (facebook, tweeter) conçus pour connecter le commun des mortels.
Nous allons instaurer un système dynamique et sans trop de contraintes pour vous, afin que tout citoyen ne s'intéressant qu'à la bonne marche de son pays, puisse accéder, sans que sa présence physique ne soit nécessaire, à l'essentiel d'une audience : l'écoute de l'hôte (en l'occurrence vous, Président).
Cela vous épargnera du temps tout en vous laissant un double choix du timing et du médium pour communiquer. Par exemple une communication de juste cinq minutes enregistrée et divulguée par les radios les premiers lundis de chaque mois.
Cette audience virtuelle ne demande pas grand-chose, seulement une acceptation par vous et les organes de communication de jouer le jeu.
Les règles du jeu sont simples. Un citoyen s'imagine en audience avec vous et au lieu d'utiliser la parole, il écrit ce qu'il désire exprimer. Puis il adresse ses notes de l'audience aux organes de presse, qui ne les publient, que s'ils les estiment dignes d'être portées au public. Vous faites ensuite de toutes les notes publiées une synthèse et vous en donnerez une suite à votre convenance.
Voici un modèle- cette présente première Audience Virtuelle Publique (AVP) : le président est désigné «N°1» et moi-même «N°2»)
- N°1 : …
- N°2 : Merci de votre compréhension. M. le Président, à l'élection de votre prédécesseur, d'après ce que nous a rapporté un de ses plus proches collaborateurs d'antan, il se serait exclamé : "Nos soucis financiers sont terminés". A votre tour, quel sentiment vous a projeté votre subconscient à cet instant crucial de votre consécration ?
- N°1 : ... (Réponse du président)
- N°2 : (Rires) Vous avez bien compris monsieur le Président. Je ne cherche pas à vous piéger, mais j'ai un archétype que je cherche à vous appliquer. Puisque nous savons que l’envie d'en finir avec des soucis financiers, exprimée du fond de son subconscient par un élu, a abouti à une ruineuse vénalité devenue épidémique dans notre société, je crois pouvoir établir une relation entre ce substrat de l'inconscience et le chemin que l'élu suivra une fois le pouvoir bien en main.
- N°1 : ...
- N°2 : Je suis rassuré, j'espère que mes concitoyens le seront quand ils apprendront votre réponse. J'en déduis que vous aimeriez laisser aux Sénégalais un héritage d'ordre culturel, éthique et moral, plutôt que matériel. Tant mieux, j'y vois de la cohérence et un alignement avec vos thèmes de campagne : rupture et tolérance zéro. N'empêche le PSE semble être la priorité des priorités aujourd'hui. Pour cette audience, je m'en tiendrai strictement à ce tiercé caractéristique de votre ambition politique pour le pays.
- N°1 : ...
- N°2 : Monsieur le Président, après l'incendie de la villa de la Rue 6 qui a couté la vie a plusieurs enfants, les tout-petits talibés sont toujours dans la rue, malgré l'indignation des plus hautes autorités de l'Etat, les charrettes ramassent encore les ordures dans les quartiers de Dakar et semblent y avoir désormais droit de cité, les coxeurs sont toujours sur les marchepieds des "cars rapides", tout ça malgré des mesures qui avaient été prises à l'encontre des fléaux de cet ordre. Il y aurait une constante derrière cette difficulté de mettre durablement un peu d'ordre dans la société : l'esprit d'insubordination. Cette inclination à la défiance tend à atteindre sa masse critique dans notre société, et serait en passe d'être incontrôlable. De quels moyens autres que ceux qui jusqu'ici ont échoué, le PSE disposerait-il pour convaincre les récalcitrants à embarquer dans le train de l'émergence, si précieux à notre pays ?
- N°1 : ...
- N°2 : Je suis optimiste, il y a une solution, il nous faut la trouver. N'accorder aucun crédit à ceux qui la cherchent, n'est pas une option. Alors une suggestion de ma part en guise de contribution : créez au cœur du cabinet présidentiel un observatoire national de l'inefficience. L'inefficience est le talon d'Achille de notre société. Il faut la prendre au sérieux et lui accorder les crédits nécessaires, pour disposer d'une machine puissante et pertinente à la traquer partout.
- N°1 : ...
- N°2 : M. le Président, je voudrais revisiter avec vous votre couple de slogans pertinents qui m'a séduit lors de votre campagne : tolérance zéro et rupture. Le second a été tôt mis en orbite mais le premier semble être délaissé, alors qu'il est l'énergie qui propulse la dynamique de changement visée par le couplage. Tant que le désordre et l'indiscipline demeureront aussi flagrants et même choquants dans l'espace public, il faudra des formules savantes pour convaincre de l'émergence. L'émergence ne peut pas se faire avec des autorités capables de passer devant les glissières de sécurité défoncées et étalées dangereusement depuis des années sur la chaussée, le long de l'autoroute Malick Sy-Patte d'Oie, sans s'en indigner utilement. C'est la sécurité qui justifiait leur présence, aujourd'hui elles représentent le plus grand danger. Lequel peut être écarté juste en ramassant ses détritus. Je paris que pour ce faire les responsables font fi du danger et attendent d'obtenir le prochain financement pour les remplacer.
- N°1 : ...
- N°2 : Je vous remercie pour les mesures qui seront prises et je comprends vos difficultés d'instaurer la rupture au niveau de tous vos collaborateurs. Il y a quelques jours j'apprenais que des passeports diplomatiques avaient été distribués à des marabouts d'une région du pays par le ministre de la Justice. Ce dernier aurait justifié son geste en expliquant que 500 000 en avaient été octroyés à des marabouts au préjudice de ceux de cette région, d'où une nécessité de rétablir une justice. Ce n'est pas ça la rupture que l'on attend, je suis désolé. C'est plutôt une consolidation du statu quo. Point de changement, "more of the same" disent les anglophones.Qu'un ministre qui n'avait juste pas à s'impliquer dans la délivrance de ces documents, ait à nous fournir une explication si cynique est une hérésie qui soulève beaucoup de questions par rapport à ceux qui ont en charge la politique de rupture, pilier de l'émergence. N'y a t'il pas parmi vos collaborateurs des gens qui ne peuvent juste pas s'imaginer ce que l'émergence exige en terme de rehaussement de nos paradigmes ? Si telle est la situation irréversible qui prévaut en matière de passeport diplomatique avec nulle possibilité de retour à l'orthodoxie, alors faites quelque chose de juste et plus utile avec : délivrez-en aux professeurs-chercheurs de l'université, aux artistes et artisans de renommée internationale, aux écrivains, qui ne devraient plus être là à galérer pour l'obtention d'un visa chaque fois qu'ils sont invités à des événements, alors qu'ils ont le rang de citoyen universel. Merci de m'avoir accordé votre attention monsieur le Président.