MONSIEUR LE PRÉSIDENT, LAISSEZ L’OPPOSITION MANIFESTER
«Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.»
Thomas Jefferson
En interdisant toute manifestation du 10 novembre au 5 décembre, l’Etat nous demande de sacrifier la liberté à l’autel de la sécurité. Par principe, refusons de sacrifier notre liberté à l’autel de l’ordre.
Nous devons le refuser d’autant plus que le prétexte de la sécurité liée au sommet de la Francophonie est une insulte à notre intelligence (on peut toujours trouver des motifs ou des prétextes à tous les interdits mais celui-la est d’une indigence politique et intellectuelle terrible).
C’est une offense à notre démocratie. Dans une grande démocratie comme la nôtre, depuis quand un meeting ou une marche est une menace pour la sécurité ?
Suspendre nos libertés pour la quiétude des participants du sommet de la Francophonie est un double scandale. Scandale parce qu’on met entre parenthèses la Constitution pour la quiétude de quelques hôtes étrangers, qui vont être parmi nous pendant quelques jours.
Cela montre le peu de respect que l’Etat a pour les citoyens. Les propos du ministre de l’Intérieur, qui déclare «qu’avec le sommet de la Francophonie les Forces de l’ordre ont d’autres chats à fouetter que d’encadrer des manifestations», confirment d’ailleurs ce mépris pour les citoyens. Qu’est-ce qu’il y a de plus important que les citoyens et leurs droits ?
Scandale parce que tous ces hôtes étrangers qui vont être parmi nous savent que le Sénégal est une démocratie et par conséquent, l’expression des libertés y est permanente. Quand on va dans des dictatures comme la Corée du Nord ou la Gambie, on accepte la nature du régime et les conditions qui en découlent.
Quand on vient dans une démocratie, on accepte la nature du régime et les conditions qui en découlent. Le silence n’est une vertu citoyenne que dans les dictatures. Le Sénégal est une démocratie et la liberté de manifester est consubstantielle au régime démocratique.
Nous sommes une démocratie et si quelqu’un doit venir chez nous et estime que notre système politique est une gêne, il n’a qu’à rester chez lui.
Refusons que sous des prétextes fallacieux, on mette entre parenthèses nos libertés. Même une visite de Obama n’en vaut pas la peine. Refusons qu’on mette entre parenthèses, sous quelque prétexte que ce soit, notre régime de liberté, parce que les dérives autoritaires commencent toujours par de petites doses ; parce que, comme dit Jefferson, si vous sacrifiez un peu de liberté aujourd’hui pour plus de sécurité, demain on vous demandera un autre sacrifice plus grand, jusqu’au jour où on vous dira que «pour plus de sécurité, vous n’aurez plus de libertés».
Et à quoi sert une sécurité sans liberté ? Et le Président Eisenhower le dit si bien : «Si vous voulez une totale sécurité, allez en prison. Vous y serez nourris, vêtus, assistés médicalement, etc. Il ne vous manquera que la liberté.»
Nous ne voulons pas, nous ne devons pas, nous ne pouvons pas renoncer à un peu liberté pour plus de sécurité. Nous voulons à la fois la sécurité et la liberté parce les deux ne sont pas antagoniques.
Nous exigeons les deux parce que notre Etat et notre démocratie sont en mesure de nous l’assurer. La liberté de marcher ou de manifester n’est pas un privilège que l’Etat nous octroie mais un droit naturel que nous garantit la Constitution.
Les deux alternances (Wade et Macky) sont des produites de ces libertés qu’on nous demande de mettre entre parenthèses pour un mois. La prochaine fois, l’Etat nous demandera deux mois, puis un semestre.
Le combat pour la liberté et la démocratie est un combat permanent parce que la liberté se mérite. Le régime de Wade, face à l’ivresse du pouvoir, avait fini par l’oublier et s’endormir avec les violons permanents de courtisans dignes du duc d’Antin. Le réveil fut brutal le 23 juin.
Dans la plupart des pays des chefs d’Etat qui vont venir au sommet de la Francophonie, le débat porte sur des modifications constitutionnelles pour donner un vernis légal à des Présidences à vie, alors que dans notre démocratie, on parle de réduire le mandat présidentiel.
Cela montre le leadership incontesté de notre pays en matière de démocratie, qui est notre avantage comparatif.
Le Sénégal est sorti de la phase infantile de la démocratie, c’est-à-dire l’ère des furies avec le binôme infernal interdiction de manifester et répression. Le ministre de l’Intérieur veut nous faire faire un grand bond en arrière.
Refusons-le par principe mais aussi et surtout, pour l’honneur et la gloire de notre pays. Refusons que Macky Sall et Abdoulaye Daouda Diallo, avec leur bond en arrière, nous rabaissent encore au niveau du Congo de Kabila.
Nous ne sommes pas disposés à renoncer à un peu de liberté pour plus de sécurité. Nous ne voulons pas sacrifier l’un au détriment de l’autre. Nous méritons les deux et notre pays a démontré par le passé qu’il peut nous le garantir.
Ce n’est pas un privilège ni une faveur, c’est un droit et le devoir de Abdoulaye Daouda Diallo est de prendre les dispositions pour que ce droit s’exerce librement.
Si l’alternance est la respiration de la démocratie, le combat permanent pour les libertés en est le cœur. Ce n’est pas Wade ou le Pds qui sont importants, mais le principe, parce que les régimes passent mais les combats pour les libertés demeurent.