MONSIEUR RSE
PHILIPPE BARRY
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Ce saxophoniste passionné est à la RSE ce que Youssou Ndour est au mbalax. C’est- à-dire le modèle et la source d’inspiration ultime.
Nelson Mandela et Barack Obama sont ses références. Philippe Barry aime leur qualité commune de persévérance. Pendant des années, ces grands hommes ont su rester droits dans leurs bottes en restant fidèles à leurs principes. Lui aussi a toujours cru en la Responsabilité Sociétale d’Entreprise (RSE).
D’une passion, il en a fait son job en dépit des tentatives de dissuasion. Il en est même devenu le référent à défaut d’en être le gourou. Personne au Sénégal ne peut parler de RSE sans le citer. Ancien saxophoniste à ses heures perdues, il a tiré le concept de développement durable de l’anonymat pour en faire, un instrument fort. Rêveur, diront certains, mais comme disait l’autre, "Monsieur RSE nous a réveillés, alors qu’on dormait...".
Quand Youssou Ndour renvoie automatiquement au mbalax, Serigne Mboup à CCBM, Phillipe Barry, lui, est LE Monsieur RSE du Sénégal.
Discret, l’ancien secrétaire permanent du Syndicat professionnel des industries et des mines du Sénégal (SPIDS), entre 1985 et 2005, est bien le prophète de la RSE au Sénégal. Celui qui a prêché cette "cause perdue" à laquelle personne ne croyait. Une conviction profonde tirée de son éducation et de son expérience.
En effet, si Philippe Barry en est là aujourd’hui, c’est grâce aux valeurs inculquées par son militaire de père, Feu le Colonel Victor Joseph Barry. Rigueur, justice et altruisme étaient la devise d’un des premiers officiers du Sénégal indépendant. Cette droiture et le besoin de servir l’ensemble de la Nation n’ont jamais quitté l’esprit du fils
"Un corps de métier peut faire autre chose que sa vocation première tel les Forces Armées sénégalaises qui exercent aussi dans la voie du développement durable par leurs actions citoyennes", observe-t-il. "On retrouve l’Armée dans les constructions de ponts, dans la santé, dans la communication, etc. Dans les années 70, j’écoutais, religieusement, à la radio, l’émission "Armée-Nation" qui passait les dimanches matin. J’ai été formaté par ces valeurs républicaines incarnées par mon père et diffusées dans cette émission, et sans nul doute, cela explique mon engagement en faveur de la RSE. Cela peut même expliquer pourquoi, j’ai tenté d’amener le Patronat à s’investir autant dans le Développement Durable".
A coup sûr, Philippe Barry a appris, de ses 20 ans au service du Patronat, plus que la connaissance de l’environnement des affaires. La nature exacte du tissu industriel local, la qualité des rapports qu’entretenaient l’Etat avec les patrons ou encore la qualité des rapports entre partenaires sociaux. Il s’est rendu compte que, dans le cadre de ce dialogue avec ces derniers, les entreprises ne mettaient pas souvent en avant, l’aspect social et sociétal de leurs actions. Une lacune qui ne permettait pas de les comptabiliser dans leur système de gouvernance, et de les faire prévaloir comme arguments
Impacter utilement son environnement social
D’où est venue l’idée de créer une initiative sur la RSE? Pour M. Barry, les entreprises du secteur formel doivent, au-delà des aspects réglementaires et législatifs, faire des actions sociétales.
"C’est le tout premier constat. Ensuite, par mon parcours professionnel, je savais que les entreprises ne contribuaient pas suffisamment, aux côtés de l’Etat, au développement durable, notamment en soutenant les initiatives communautaires. Par ailleurs, je me rendais compte que les dirigeants d’entreprise n’avaient pas souvent la bonne information. Ce qui fait que ce n’est pas facile, pour eux, de synthétiser toute l’actualité économique et sociale. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire dans ce domaine. Enfin, il y a, je dirais dans mon Adn, la fibre sociétale. J’avais l’ambition de voir l’entreprise contribuer davantage au développement durable. Sur la base de ces 4 éléments et au bout de 20 ans de patronat, j’ai pris la décision de monter ma propre entreprise pour faire la promotion de la RSE".
Ainsi, Philippe quitta son poste de permanent au Patronat pour aller à la rencontre des populations qui en avaient bien besoin à l’intérieur du Sénégal. Pendant 2 ans, c’est la Coopération allemande qui bénéficia de ses compétences à travers un projet dans le domaine de l’environnement et la biomasse d’énergie : le projet "Foyer amélioré Sénégal" (FASEN) logé au sein du Programme sénégalo allemand pour l’électrification rurale et l’approvisionnement en combustible domestique.
Cette expérience lui a permis d’apprécier les opportunités économiques existantes à l’intérieur du pays, notamment en termes de développement de l’économie verte et de mieux comprendre ce qu’est concrètement le développement durable. Quelque chose de complètement nouveau pour un ancien expert des relations entre le secteur privé et l’Etat.
Au patronat, c’était les grandes entreprises et les PME du secteur formel avec des activités essentiellement concentrées à Dakar alors qu’au niveau du projet, les interlocuteurs étaient des artisans, forgerons, potiers, des Gie de femmes, etc. Un mix qui a fait de Philippe un professionnel ayant les compétences pour se lancer dans la consultance sur les enjeux du développement durable. Lui-même se définit comme un entrepreneur social cherchant à amener les entreprises à partager sa vision d’un monde meilleur qu’on doit léguer aux générations futures.
Un entrepreneur est né
Cependant, en regardant dans le rétroviseur, Philippe réalise que le chemin n’a pas été un long fleuve tranquille. Certains proches n’avaient pas compris son choix de quitter le patronat pour se lancer dans la RSE. "En tout cas, ils ne m’ont pas encouragé", raconte-t-il, le sourire en coin.
Loin de se décourager, Philippe persévère dans ses convictions et se lance, à fond, dans la RSE. "J’ai compris que quand on se lance dans l’entreprenariat, il ne faut rien attendre de personne. Il faut être convaincu de son projet et ne pas se poser de questions", martèle-t-il avec un regard devenu plus sévère et les poings serrés.
On est en 2008 et l’Initiative RSE vient de naître. Un travail de communication, d’explication et d’implémentation a été lancé en direction des entreprises les plus réceptives. "La Sar, la Sococim, la Fumoa et la Cotoa m’ont suivi les premiers avant que chaque année, plus d’entreprises ne rejoignent le groupe", révèle-t-il.
En 2014, l’Initiative RSE compte 32 grandes entreprises et PME, et 15 TPE évoluant dans diverses filières, convaincues qu’un autre monde est possible. Pour notre Monsieur RSE, l’objectif est de créer des synergies d’actions entre ces catégories d’entreprises, mais également de les aider à structurer leur politique RSE.
"Mon 1er objectif est de voir des entreprises développer des projets structurants de développement durable grâce à l’intermédiation de RSE Sénégal. Faciliter des partenariats entre grandes et petites entreprises. Comme ce qui s’est fait entre le campement éco touristique "La Source aux Lamantins" à Djilor et Eiffage Sénégal ou encore entre Energéco Afrique, Baobab des saveurs et Nyara. Le 2ème chantier majeur consiste à soutenir la création de l’Incubateur de Thiès pour l’Economie Verte (ITEV). Enfin, le 3ème Chantier sur lequel est focalisé, RSE Sénégal est la mise en place d’une démarche de responsabilité sociétale au niveau de la mairie de Passy. Il s’agit aussi d’amener des entreprises partenaires de RSE Sénégal à soutenir des projets structurants de Passy".
Répondant à l’interrogation sur le statut juridique de cette initiative, Philippe précise que cette initiative est en fait un mouvement porté par un expert privé. Il n’a pas souhaité l’inscrire dans le cadre d’une association afin de ne pas reproduire les associations professionnelles et partis politiques qui ont des présidents à très longue durée de mandat.
"En Afrique, malheureusement, nos associations, qu’elles soient du Secteur privé, de la Société civile ou politique, ne sont pas des exemples de démocratie", déclare-t-il. En effet, en adéquation avec les principes de la RSE, Philipe souhaite que son œuvre se perpétue au-delà de sa personne.
Toutefois, la retraite n’a pas encore sonné pour ce grand admirateur de Nelson Mandela, mais il y pense. Son souhait serait de retourner à ses vieux amours de jazzophile avec son ami Makhtar Diop de la Banque Mondiale. "On pourrait recréer notre duo et rejouer nos morceaux jazzy. Lui avec sa basse et moi avec mon saxo", rêve-t-il avec le geste du saxophoniste qu’il demeure dans l’âme.
Mais pour le moment, Monsieur RSE veut que son Plan Sénégal Emergent (PSE) à lui soit mis sur de bons rails. Il invite son autre ami, le PM, Mohammad Dionne, avec qui il a cheminé quand celui-ci était Directeur de l’Industrie, à réaliser rapidement sa vision d’une transformation structurelle de notre économie, dans une dynamique de développement durable du Sénégal. Car le chemin est bien long...