MOURIR POUR L’ARABIE SAOUDITE ?
Le soutien du Sénégal au royaume saoudien dans sa guerre au Yémen constitue assurément une faute diplomatique lourde de graves conséquences
«J’ai beaucoup échangé avec le roi d’Arabie Saoudite, Salman Ben Abdelaziz, sur des questions de paix et de sécurité internationales, en abordant notamment la situation qui prévaut au Yémen, qui fait face à une attaque de groupes armés qui ont renversé l’État sur place. Mais nous réaffirmons notre soutien total à la coalition», a indiqué le président de la République, Macky Sall, a son retour de la visite officielle qu’il a effectué en Arabie Saoudite le 1er avril 2015.
Le conseil des ministres, tenu dés son retour à Dakar, confirmait ce «soutien à l’action militaire déclenchée par le Royaume d’Arabie Saoudite en réponse à la demande du Président légitime du Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi, pour défendre et protéger le Yémen contre les milices qui menacent la stabilité de ce pays ainsi que celle des pays voisins».
Le président de la République engageait ainsi le Sénégal dans l’opération «Tempête de Fermeté» (en rappel à Opération Tempête du Désert de triste mémoire ?), dans une coalition autour de l’Arabie Saoudite et regroupant une dizaine d’Etats comprenant les Etats du Golfe, le Pakistan, la Jordanie et trois états arabo-africains (Egypte, Soudan et Maroc).
Le Sénégal est le seul pays Africain, non arabe, qui y participerait éventuellement. S’agit-il là d’une véritable entrée en guerre de notre pays dans ce conflit ? Ou s’agit-il seulement d’une déclaration «diplomatique» ?
Il est vrai que le Sénégal, qui ne possède ni avions de combat ni navires de guerre, ne pourrait participer aux bombardements déclenchés depuis le 26 mars par l’Arabie Saoudite contre les positions des «rebelles» houthis et auxquels chaque allié contribue avec sa flotte.
Mais après plus de vingt jours d’intenses bombardements l’opération «Tempête de Fermeté» semble s’enliser, l’Etat major saoudien, qui déjà avait pré positionné 150 000 hommes à sa frontière avec le Yémen, va sans doute se résoudre à lancer une opération terrestre.
Le Président Maky Sall enverra-il alors nos Diambars ? Mourir au Yémen par solidarité avec l’Arabie Saoudite ? Au nom de quels intérêts nationaux ou de quelles considérations géopolitiques ? S’agit-il seulement de raffermir les relations de notre pays avec Ryad au moment où un nouveau souverain arrive sur le trône du Gardien des Deux Saintes Mosquées ? Est-ce pour s’assurer d’une contribution financière particulièrement importante au Plan Sénégal Emergent ? S’agit-il d’indiquer encore une fois l’encrage du Sénégal dans le «camp occidental», auprès de la France et des Etas Unis ? A-t-on bien mesuré les graves implications et conséquences de l’engagement du Sénégal dans cette guerre, même s’il reste au niveau de la prise de position diplomatique ?
Il faut en effet considérer d’abord qu’il s’agit d’une agression caractérisée, de la part de l’Arabie Saoudite, d’un pays tiers, illégale même si elle est cautionnée par les États-Unis, la France et toutes les puissances occidentales, et même si le Conseil de Sécurité des Nations Unies ne la dénonce pas.
Le Sénégal se fait complice de fait d’une grave agression de la loi internationale qui constitue un précédent susceptible de se retourner un jour contre notre pays.
Il y a aussi qu’en réalité, le Yémen (avec la Syrie, le Liban et l’Irak) est l’un des champs de bataille actuels de la guerre ancienne que se livrent Chiites et Sunnites au Moyen Orient et que les USA ont manipulé et porté à son paroxysme.
C’est en réalité contre l’Iran que l’Arabie Saoudite est en guerre et c’est contre l’Iran que l’Arabie Saoudite mobilise ses alliés.
Les Houthis sont vus en effet par l’Arabie Saoudite, les USA et leurs alliés comme le bras armé de l’Iran qui pourrait, après la prise du pouvoir de ses «coreligionnaires» au Yémen, déstabiliser les autres pays du Golfe et l’Arabie Saoudite elle-même.
N’y a-t-il pas meilleure prise de position que de s’engager ainsi diplomatiquement si ce n’est militairement dans le camp Sunnite contre les Chiites ?
Le Sénégal, pays musulman, de tradition Sunnite certes, mais d’un sunnisme traditionnel, «du juste milieu », devait il entrer dans cette guerre ?
Notre tradition islamique, notre position politique au sein de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) ainsi qu’au sein de la Ummah toute entière ne nous aurait-il pas permis d’œuvrer plutôt en faveur de la conciliation et de la négociation ?
Il y a aussi qu’Al Quaida dans la Péninsule arabique (AQPA) et l’Etat Islamique (EI) sont partie prenante dans le conflit à la fois contre les Houthis et contre les forces alliées à l’Arabie Saoudite.
On voit le danger que ces mouvements terroristes pourraient représenter pour le Sénégal et les Sénégalais à travers le monde.
Le soutien du Sénégal à l’Arabie Saoudite dans sa guerre au Yémen, même s’il s’avère qu’il ne donnera pas lieu à un engagement militaire de notre pays, constitue assurément une faute diplomatique lourde de graves conséquences.
L’évidente désinvolture avec laquelle cet engagement a été pris devrait amener les Sénégalais à demander des comptes sur la manière dont la diplomatie de notre pays fonctionne. Comment les décisions de politique étrangère, particulièrement face aux crises politiques, aux guerres et aux urgences humanitaires, sont-elles prises ?
Le président de la République décide-t-il seul ? Quel est véritablement le rôle du ministère des Affaires étrangères ?
Dans ce monde complexe et dangereux, le président de la République, ne devrait il pas être informé et conseillé en permanence par un organe indépendant du ministère des Affaires étrangères pour ne pas être soumis à des considérations politiciennes ?
Un Conseil national de Sécurité composé à la fois de civils, de spécialistes de haut niveau des questions de sécurité et de géopolitique, et de militaires, chargé d’identifier et d’étudier de manière prospective les risques et opportunités à la sécurité et au développement de notre pays, pourrait contribuer à cela.
Conformément à la lettre et à l’esprit de la Constitution actuelle du Sénégal, la définition de la politique étrangère du pays reste bien entendu la prérogative du président de la République et sa mise en œuvre, de la responsabilité du gouvernement à travers le ministère des Affaires étrangères.
Cependant si le président de la République décidait de faire intervenir les forces armées du Sénégal à l’étranger, au Yémen comme ailleurs, il devrait au préalable, comme c’est l’usage dans toutes les grandes démocraties, en informer le peuple à travers ses élus à l’Assemblée nationale et lui indiquer ses motifs ainsi que les objectifs poursuivis pour susciter un débat entre le Parlement et le Gouvernement.