MOUSTAPHA NIASSE, ‘’LES DJINNÉS’’, ‘’LES IMBÉCILES’’ ET ‘’LES SALOPARDS’’
La cérémonie de présentation de vœux à Moustapha Niasse, secrétaire général de l’Alliance des forces du progrès (Afp) organisée le jeudi 22 janvier 2015 par les cadres de ce parti a tourné au vinaigre et a fini en eau de boudin. Organisée au lendemain du limogeage de Malick Guèye, secrétaire général du Mouvement national des jeunes de l’Afp, de son poste de conseiller technique du président de l’Assemblée nationale, ce conclave était parti pour être très houleux.
En effet, le jeune leader progressiste a commis le «péché» d’exiger que le parti ait un candidat pour la Présidentielle de 2017, mais aussi de déclarer être favorable à la désignation du remplaçant de Moustapha Niasse à son poste de secrétaire général de l’Afp.
Il s’y ajoute la fronde de larges segments de ce parti qui n’étaient pas prêts à suivre la décision unilatérale de Moustapha Niasse de renoncer à toute ambition de briguer les suffrages des électeurs sénégalais pour la quête du Graal. Pire, Moustapha Niasse avait menacé de ses foudres quiconque, dans son parti, oserait déclarer sa candidature contre le Président Macky Sall en 2017.
En faisant acte d’allégeance au chef de l’Etat, Moustapha Niasse venait de fixer une limite à sa riche carrière politique : le perchoir.
Le parcours politique de cet homme est tout simplement exceptionnel à plus d’un titre tant «Sa Keur Madiabel» passe pour être un hôte (de marque) à s’inviter à la table des différents pouvoirs qu’a connu le Sénégal post-indépendance.
Après une carrière dans la haute fonction publique où il aura été directeur de cabinet du président Léopold Sedar Senghor, Moustapha Niasse est nommé ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Environnement le 15 mars 1979, et ministre des Affaires étrangères le 19 septembre 1979, puis Premier ministre en avril 1983 pour un mois, sous le régime du Président Abdou Diouf.
Seulement, Moustapha Niasse a longtemps gardé au travers de la gorge le poste de Premier ministre à lui promis par le Président Senghor et que le Président Diouf a préféré confier à son ami Habib Thiam. Une «trahison» de Abdou Diouf que Moustapha Niasse ne lui pardonnera jamais.
C’est pourquoi le compagnonnage de Moustapha Niasse avec Abdou Diouf n’a jamais été un long fleuve tranquille tant au niveau de l’Etat qu’au sein du Parti socialiste.
Comme en atteste l’incident survenu en 1984 lorsque le sanguin Moustapha Niasse administre une magistrale baffe au ministre de l’Information, Djibo Kâ, qui lui reprochait, lors d’une réunion du bureau politique, d’être constamment en mission et de ne pas s‘occuper de la vie du Parti.
Cela s’est passé sous les yeux d’un Président Abdou Diouf interloqué et hagard. On connaît la suite. Moustapha Niasse qui était directeur politique du Parti socialiste, est ainsi évincé du gouvernement.
Mais, les couleuvres avalées par Moustapha Niasse au sein du Parti socialiste vont l’étouffer littéralement et le pousser à la révolte lors du fameux «congrès sans débat» de 1996 au cours duquel lui, le chef de file des «refondateurs» et grand cacique du Parti, s’est vu préféré Ousmane Tanor Dieng, chef de file des «rénovateurs», par le Président Abdou Diouf. C’en était vraiment de trop pour un Moustapha Niasse qui estimait n’avoir pas été rétribué à sa juste valeur.
Et ce qui devait arriver, arrivât : Moustapha Niasse claque la porte du Parti socialiste et fonde, à la suite de son mémorable Appel du 16 juin 1999, l’Alliance des forces du progrès (Afp).
Porté par un formidable élan populaire des Sénégalais qui voyaient en lui une victime du régime socialiste finissant, dont il était pourtant un des plus éminents barons, Moustapha Niasse suscite autour de sa personne une importante onde de sympathie qui va le pousser à se présenter à l’élection présidentielle de 2000 avec beaucoup d’optimisme et de certitudes.
Son score de 17% enregistré au premier tour du scrutin au soir du 27 février 2000, le classant troisième derrière Abdou Diouf (42%) et Abdoulaye Wade (32%) avait fini de faire de Moustapha Niasse un «faiseur de roi» car devant départager les deux «finalistes» à travers les reports de voix.
C’est ainsi que son soutien décisif au candidat Abdoulaye Wade, au second tour du scrutin, le 19 mars 2000, sera récompensé par ce dernier qui va le nommer Premier ministre. Un poste que Moustapha Niasse va occuper pour la deuxième fois de sa vie.
Le temps de faire sa fameuse déclaration de politique générale, le 20 juillet 2000, sous forme d’un pamphlet aux relents de règlement de comptes avec ses anciens camarades du Parti socialiste, Moustapha Niasse, chef du premier gouvernement de l’alternance, ne mettra pas longtemps pour entrer en conflit ouvert avec le Président Abdoulaye Wade.
Son limogeage par le Président Wade, à moins d’un an seulement après sa nomination, a inauguré le début d’une longue traversée du désert politique dont son parti aura du mal à se remettre.
En effet, le Parti de Moustapha Niasse, l’Afp, était en perte de vitesse et voyait ses rangs se dégarnir petit à petit avec les départs successifs des cadres comme Me Abdoulaye Babou, Me Massokhna Kane, Oumar Khassimou Dia n°1, Serigne Mamoune Niasse, etc.
La bouderie de Èlène Tine suivie de celle de sa «remplaçante» Cathy Cissé Wone ont convaincu les derniers incrédules de la réalité de la crise interne d’un parti Afp à la tête duquel trône un homme insupportable doublé d’un pouvoiriste qui, aux dires de ses proches, ne peut pas souffrir la contradiction, même s’il donne des airs et des leçons de démocrate en public.
Ce parti, l’Afp, qui avait «choisi l’espoir» en 1999, fait moins rêver aujourd’hui. Aussi, les suffrages qu’il a engrangés aux différentes élections présidentielles sont-ils en chute libre : 17% en 2000, 5% en 2007 et 13% en 2012 (ce dernier chiffre est trompeur car il faut noter que pour l’élection présidentielle du 26 février 2012, la candidature de Moustapha Niasse a été portée par toute une coalition, en l’occurrence Benno Siggil Senegaal).
D’autre part, le nombre inespéré et surfait de 17 députés obtenus par l’Afp aux législatives du 1er juillet 2012 (contre 11 députés en 2001) est inversement proportionnel à son poids politique réel, et n’est que la résultante de la dynamique victorieuse de la coalition Benno bokk yaakaar à laquelle le parti de Moustapha Niasse s’est arrimé pour mieux cacher son étiolement.
Il faut aussi dire que l’éclaircie pour Moustapha Niasse et son parti, au lendemain de leur traversée du désert consécutif au «divorce» avec Wade, est née de la tenue, à point nommé, des «Assises nationales» qui ont permis de requinquer une opposition, dite significative, mais amorphe et dont l’erreur historique du boycott des législatives du 3 juin 2007 avait laissé longtemps groggy.
Ainsi, dans la dynamique, l’euphorie et la foulée des «Assises nationales», l’opposition d’une manière générale, et l’Afp en particulier, aidés par un régime libéral empêtré dans de nombreux scandales et subissant de plein fouet les contrecoups d’une crise mondiale sans précédent, ont été revigorés et ont commencé à reprendre du poil de la bête comme en atteste la belle percée réalisée lors des élections locales de 2009 qui ont vu beaucoup de mairies de grandes villes tomber dans leur escarcelle. C’était – signes annonciateurs et avantcoureurs – le début de la fin du régime de Wade.
Bouée de sauvetage d’une «opposition de salon» et largement à la dérive, les «Assises nationales» ont pourtant buté, entre autres, sur «le cas Niasse» quand il s’est agi de fixer l’âge maximal de tout candidat à l’élection présidentielle au Sénégal, qui devrait être de 70 ans.
D’ailleurs, cette étiquette de trouble-fête voire de pomme de discorde qui embarrasse et divise ses alliés, semble coller à la peau de Moustapha Niasse. Ce bagarreur né et toujours prêt à en découdre.
Cela a été le cas au sein de Benno Siggil Senegaal au moment de choisir entre Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng pour une candidature unique de la coalition à l’élection présidentielle de 2012. Les déchirements qui s’en sont suivis ont brisé l’élan unitaire de cette coalition et lui ont ôté toute chance de voir l’un ou l’autre des deux rivaux élu président de la République du Sénégal.
En février 2012, avec son énième revers à une élection présidentielle – une fois encore, il n’était même pas qualifié au second tour – Moustapha Niasse devait se contenter, pour la deuxième fois, de son titre de «faiseur de roi» en participant à la coalition victorieuse du second tour, la coalition Benno bokk yaakaar, une coalition de coalitions.
En guise de reconnaissance, le Président Macky Sall le désignât comme président de l’Assemblée nationale, une décision qui sera avalisée et entérinée par la majorité mécanique de Benno bokk yaakaar à l’Assemblée nationale où cette directive présidentielle est passée comme lettre à la poste, en dépit des pitreries de Moustapha Cissé Lo qui voulait amuser la galerie avec sa vraie-fausse candidature au perchoir pour le mandat inaugural.
Idem pour le renouvellement de ce mandat, lorsque le député Apr, Cheikh Diop Dionne, a exprimé sa volonté de briguer le poste de président de l’Assemblée nationale face à Moustapha Niasse.
Pour ce qui avait été jugé à l’époque comme un «acte de défiance» qui jure d’avec «la discipline de parti» le téméraire frangin de l’actuel Premier ministre Mahammad Boune Abdallah Dionne, avait essuyé un tir groupé de ses camarades de parti, y compris... Moustapha Cissé Lô, celui-là même qui voulait faire pareil un an auparavant. Décidément, le ridicule ne tue pas dans ce pays.
Pourtant, Moustapha Niasse, qui n’était «demandeur de rien», avait refusé ce poste de président de l’Assemblée Nationale lors du processus de sélection du «candidat de l’unité et du rassemblement» à lui proposé par les facilitateurs du Benno Siggil Senegaal originel pour le départager avec Ousmane Tanor Dieng dès lors qu’aucun des deux ne voulait lâcher du lest, car s’estimant être le plus légitime.
Qu’à cela ne tienne, Moustapha Niasse a réalisé une partie de ses rêves : se faire appeler «Monsieur le président». Même s’il préférait de loin «Monsieur le président de la République», la formule «Monsieur le président de l’Assemblée nationale» lui va bien. Peu importe que l’épée de Damoclès de mandat d’un an renouvelable au perchoir soit suspendue en permanence au-dessus de sa tête.
Cela dit, le parcours de ce dinosaure politique qui a siégé dans les gouvernements des Présidents Senghor, Diouf et Wade avant d’être le chef du pouvoir législatif sous Macky Sall, et qui a donc mangé à tous les râteliers, est très riche et bat tous les records de longévité.
En outre, tous les jeunes militants, collaborateurs et compagnons de qualité que Moustapha Niasse a formés et encadrés au cours de son impressionnante carrière politico-administrative, sont parfaitement en mesure de prendre la relève.
Maintenant qu’il est au crépuscule (politique) de sa vie, ne doit-il pas donner leurs chances aux plus jeunes dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler l’alternance générationnelle ?
Il est anachronique qu’en 2015, des hommes politiques de l’ère de Senghor continuent d’occuper toujours le devant de la scène politique, comme si le Sénégal ne pouvait pas se passer d’eux. Il est encore plus inadmissible que des vieux de la veille veuillent imposer leurs vues à la jeune garde, dans un parti qui se dit démocratique, rien que pour préserver leurs privilèges personnels.
Heureusement qu’il y a un «front du refus» à l’Afp qui est déterminé à ne pas se laisser faire ou à cautionner une entreprise qui ambitionne à terme de «vendre» leur parti à Macky Sall ou d’être phagocyté par l’Apr.
D’ailleurs, le parti de Macky Sall avait un temps fait dans le harcèlement pour proposer à l’Afp de fusionner avec l’Apr. Une sorte de fusion-dissolution quoi !
Mais, depuis que Moustapha Niasse a fait son «djébeulou» à Macky Sall, à travers sa déclaration du 10 mars 2014, une frange dissidente est née dans son parti. C’est d’ailleurs ce courant contestataire amené par un El Hadji Malick Gakou, enfin décidé à sortir de son mutisme assourdissant, qui a essuyé les insultes dignes d’un vieux polonais ivre, proférées par un Moustapha Niasse, visiblement colérique, irascible, irrité et vindicatif.
«Les djinnés», «les imbéciles» et «les salopards» dont parle Moustapha Niasse, devant les micros et les caméras des journalistes, c’est bien ces jeunes progressistes, et des moins jeunes, qui refusent d’être des bénis oui-oui ou des obligés de Macky Sall.
Et pour qui l’Afp doit avoir un destin présidentiel. C’est des personnes comme Mamadou Goumbala, qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui n’a pas mis les formes, ni des gants, en disant de Moustapha Niasse qu’il est «politiquement amorti et intellectuellement obsolète».
Cela étant, le dérapage verbal de Moustapha Niasse qui a dû faire siffler beaucoup d’oreilles chastes, a été passé en boucle par la quasi-totalité des radios et des télés de la place et a fait le tour du monde. Pathétique.
Tout ça pour témoigner sa gratitude à Macky Sall et lui (dé)montrer qu’il lui est redevable de tout, à vie et pour toujours. Quitte à écraser tous ceux qui se dresseront au travers de son chemin et à saborder son parti, qui deviendrait alors une formation politique dont l’ambition ultime ne serait plus la conquête démocratique du pouvoir, mais l’arrimage au parti au pouvoir.
Pour une sortie de fin de carrière politique, on attendait vraiment beaucoup mieux de Moustapha Niasse. Manifestement, il a choisi la petite porte alors que la grande lui est largement ouverte.
Seulement, il encore temps pour lui de se ressaisir, de se mettre dans le sens de l’histoire afin que son parcours, jusque là honorable, ne soit pas entachée par un «unhappy end», une fin calamiteuse.
Ce qu’on attend de Moustapha Niasse, c’est le passage apaisé du témoin et de la main à la jeune pousse de son parti et le respect scrupuleux des textes et des instances de l’Afp qui, en toute souveraineté, à l’issue d’un congrès
démocratique, décidera librement de la voie à tracer pour le parti dans un futur proche. Ce qui ne saurait être interprété comme préjudiciable au compagnonnage Macky Sall-Moustapha Niasse, qui est avant tout un gentlemen agreement entre deux hommes politiques, et qui n’engage qu’eux.
De Moustapha Niasse, on attend aussi de lui la publication de ses Mémoires pour que les Sénégalais et le reste du monde en tirent des enseignements précieux.