N’EST PAS ATT QUI VEUT
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Au moment où un militaire comme lui prit le risque inconsidéré de mettre son pays à feu et à sang, par un goût immodéré et une soif inextinguible du pouvoir au détriment de l’aspiration profonde de son Peuple pour la démocratie, il me plaît de dire : n’est pas Att qui veut.
Je suis Sénégalais d’adoption et Malien de souche, de pensée, de cœur et fier de l’être.
En écrivant cette modeste contribution, encore une fois mes petits- fils de retour d’école au crépuscule naissant vinrent me trouver. Grand-père, tu ne te fatigues jamais d’écrire ?
Je répondis non, tant qu’il s’agira de rétablir la vérité. Cette vérité qui n’a ni frontière ni culture car elle est la culture. Une fois altérée et trahie, la rétablir est l’acte le plus noble et le plus sublime qu’un homme digne de ce nom doit accomplir pendant son éphémère passage sur cette terre des hommes.
Grand-père, quelle est cette vérité me demandèrent en chœur mes petits enfants ?
Je répondis : il était une fois le Mali qui, pendant 21 ans, vivait sous un régime militaire féroce. Les tenants du pouvoir remplacèrent vite la plume par les fusils, les journaux en torchon, les libertés bafouées et le Peuple bâillonné et asservi. Les nuits, les villes se transformaient en un immense dortoir enveloppé de silence inaccoutumé.
Les règlements de comptes et les purges sanglantes en leur sein finirent par installer un état de paranoïa. Le pouvoir étant plus préoccupé à gérer une telle situation qu’à s’occuper du développement du pays. Les étudiants arrêtés et déportés, la classe politique corrompue.
La haine implacable des intellectuels emprisonnés et torturés, notamment le Professeur Ly, auteur du grand livre Toile d’araignée et dont la mort en détention fut un frein à l’expansion littéraire du Mali.
Pendant 21 ans, le Peuple vivait dans la misère absolue, la souffrance et la résignation, à tel point que les vieux se demandaient s’il existait encore des hommes au Mali.
Fierté et dignité, socle culturel de ce grand Peuple, cédaient la place à la fatalité. C’est alors qu’en 1991, la jeunesse, fer de lance de tout un Peuple, descendit dans la rue. Jeunesse courageuse s’offrant en agneau de sacrifice afin que renaisse le Mali.
Elle n’avait comme bouclier face aux balles meurtrières que son cri de «vive la liberté». Plus de deux cents (200) morts en trois jours sur les artères rougies de sang, avec toutes ces mères affolées hurlant de douleur, le corps ensanglanté de leur enfant dans les bras.
Horreur et terreur se conjuguaient au quotidien. La plus grande révolution en Afrique de l’Ouest venait de commencer. Le Mali est un vieux pays béni et arriva un jour béni de Dieu où un homme a osé.
Pétri de vaillance, il a osé par un soir du 26 mars 1991, au moment où tout espoir avait disparu, déposer l’auteur de 21 ans de souffrance et d’obscurantisme de tout un Peuple, sans effusion de sang.
Engagé et disponible, il entama aussitôt de grands travaux (routes, électrification, agriculture, prolifération des médias) car il aimait bien se référer à Thomas Jefferson, Président des Etats-Unis qui disait : «Je préfère un pays avec la presse sans gouvernement qu’un pays avec un gouvernement sans la presse.»
Des artistes de renommée se font appeler Att et d’autres se plaisent à l’imiter au grand bonheur du Peuple. A telle enseigne que des voix s’élevaient pour qu’il restât, malgré son serment de rendre le pouvoir aux civils dans un an, après des élections libres, démocratiques et transparentes.
Il a tracé les jalons d’un Mali nouveau. A la survenue de l’échéance, le monde entier inquiet et dubitatif avait les yeux braqués sur ce grand pays à la recherche de son développement, son identité et une place dans le concert des Nations par une démocratie active.
Le passage de témoin avec le Président nouvellement élu Alpha Konaré, devant la Cour suprême, se fit au grand bonheur du Peuple, lui habillé en tenue de Colonel de para-commando, comme pour conforter le symbolisme lié à l’événement. Il rendit le pouvoir dans le délai qu’il avait fixé.
Militaire pétri de grandes valeurs morales, exception dans ce magma de dictateurs, il partit anonyme, habillé du manteau royal de dignité, du don de soi, du respect de la parole donnée. Par ce geste, le Mali sortit grandi, respecté et écouté par la Communauté internationale.
Adulé plus que jamais par tout le Peuple ; choisi par les Nations- Unies, il sillonna toutes les régions de l’Afrique, notamment de l’Est où les guerres fratricides faisaient rage afin d’amener la paix (Centrafrique-Rwanda-Burundi et en Afrique de l’Ouest), mission qu’il réussit au grand bonheur des peuples et des Nations Unies.
Je fus interrompu par un de mes petits-enfants qui semblaient hypnotisés par mon récit.
Grand-père, qui est cet homme ?
Cet homme s’appelle Att, Amadou Toumani Touré de son vrai nom.
Où est-il, grand-père ? Soyez patients et suivez la suite. Après les deux mandats de Alpha
Konaré, des patriotes réunis à Dakar en vue des prochaines élections et après analyse objective de la situation du Mali, décidèrent de rédiger un mémorandum au mois de juin 2001, intitulé l’Appel de Dakar au sein d’une organisation dénommée «Les Amis d’Att»
C’est cet Appel de Dakar qui le convainc, malgré les hautes fonctions juteuses qu’il occupait au sein des démembrements des Nations- Unies pour répondre à l’appel de la Patrie de se présenter à l’élection présidentielle de 2002. Bien en a pris le Mali, car après son élection, le pays devint un carrefour de rencontres internationales, colloques, séminaires, etc. avec une démocratie apaisée sans aucune pesanteur.
Sa croissance était exceptionnelle. Multiplication de routes, autoroutes, ponts, et la liste n’est pas exhaustive. Ce développement multiforme se poursuivait partout, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest.
A son deuxième mandat, toujours bien élu, la crise internationale finit par s’installer en filigrane avec comme corollaire la face hideuse de la guerre où le pétrole constituait un enjeu de taille et la Libye en fit très vite les frais.
Malgré les conséquences prévisibles de la débâcle libyenne, il continua à préparer les prochaines échéances électorales pour son successeur, car il ne lui restait que 45 jours pour la fin de son deuxième mandat. Même le Nord y était impliqué, car la situation était sous contrôle.
Votre grand-père marchait la tête haute, la poitrine bombée comme ces commandos à la démarche altière tant mon pays était cité en exemple. Un ancien Président devenu Président de la Commission de l’Ua qu’il dirigeait de main de maître et très apprécié dans sa démarche et dans ses décisions et un autre Président qui avait fait le don de soi pour installer la démocratie comme une reine sur le trône du Mandé, avec à la clé une croissance exponentielle et soutenue jamais escomptée.
Une grande satisfaction teintée d’orgueil et de fierté pour tous les Maliens.
Maintenant, avec tout ce qui se passe : gestion chaotique de l’Etat, dénonciations grandiloquentes, cascade de scandales, déroute de l’armée à Kidal par le Mnla, j’avoue marcher à pas feutrés en rasant les murs.
Il fut alors victime d’un coup d’Etat, avec beaucoup de non-dits par des fossoyeurs de la démocratie plus préoccupés par le pillage des ressources que d’aller bouter les jihadistes hors du Mali. Motif invoqué pour justifier leur acte : la débâcle de la Libye et ce coup d’Etat ont facilité et précipité l’invasion jihadiste.
Grand-père, où est Att ?
Il est ici. Il n’est ni fugitif ni refugié mais sa présence à Dakar est à l’initiative de la Cedeao qui, au moment des faits, recherchait un espace apaisé pour organiser les futures élections de 2013. Depuis lors, il s’est emmuré dans un silence de dignité.
Il n’a jamais perdu son âme, animé qu’il est d’une des grandes vertus «la patience», se remettant à son destin. Ce destin dont les redoutables passages ponctuent l’existence et la façonnent.
Grand-père, qu’est devenu le Président Traoré ?
Le Mali est un pays de tolérance et de pardon. Il vit libre à Bamako grâce à Att, devisant parfois au hasard des rencontres avec certains rescapés devenus handicapés de ses geôles. Mieux, il a même été qualifié de républicain par les nouvelles autorités.
Mais grand-père, pourquoi Att ne retourne-t-il pas ? C’est injuste ! Tout simplement parce que les nouvelles autorités ne l’ont pas décidé pour des raisons qui leur sont propres, mais ce qu’elles ignorent, c’est que l’histoire a cette particularité que dans sa marche inexorable et événementielle, elle nous rattrape toujours.
Elle a horreur du mensonge pour ne rétablir que les faits dans leur véracité, où il est uniquement question de preuves, non pas de crédulité ou d’oubli. Et comme nos vieux, je vous dis que le mensonge fait des fleurs, mais jamais de fruits.
A propos de la situation combien confuse du pays, des voix s’élèvent pour exprimer à Att à gorge déployée, sympathie et reconnaissance pour tout ce qu’il a accompli mais surtout pour ce qu’il endure injustement par l’acharnement, l’esprit de vengeance et la folie des hommes.
A preuve, la voie de la négociation qu’il avait tracée, par ego, fut abandonnée pour être reprise et admise comme seule issue de sortie de crise. Malgré tout et selon les rumeurs de ses rares confidences, il demande que l’on prie pour son successeur afin qu’il réussisse dans sa mission au grand bonheur du Peuple malien.
Mais grand-père, que pouvez- vous dire à Att ?
Que dire sinon lui citer Schopenhauer, qui disait : «Toute vérité franchit trois étapes. D’abord, elle est ridiculisée et niée, ensuite elle subit une forte opposition et enfin est considérée par tous comme une évidence.» Att est un exemple et il le demeurera. Dieu ne dort pas.
Vive la réconciliation nationale et que Dieu protège et bénisse le Mali.