"ON N’EST PAS EN 1988"
EXCLUSIF ENQUÊTE : L'ex-Premier ministre Aminata Touré se prononce, notamment, sur les mises en garde d'Abdoulaye Wade contre Macky Sall
Ils sont nombreux à se poser des questions sur l’attitude de l’ancien chef de l’État qui n’a pas hésité à forcer le barrage des forces de l’ordre pour se rendre au sit-in interdit du Front patriotique pour la défense de la République. Mais pour l’ancienne Première ministre Aminata Touré, la réponse coule de source : Abdoulaye Wade veut créer une tension artificielle pour faire libérer son fils. Mimi Touré, qui a accordé ce week-end un entretien à EnQuête, est d’avis que les questions d’un tribunal ne se règlent pas dans la rue. Sur un autre registre, l’ancien chef du gouvernement estime que les relations entre les institutions financières et les pays africains doivent se faire d’égal à égal. Surtout que les experts du Fonds monétaire ne sont pas des magiciens. Dès lors, elle rejette l’idée de suppression de la subvention de l’électricité de Christine Lagarde et milite pour une privatisation partielle de la Senelec. Sur le plan politique, au-delà des frustrations connues dans le passé, Aminata Touré qui nie avoir un agenda caché, réaffirme son appartenance à l’APR tout en reconnaissant des failles dans la communication du Président. Ce domaine constitue, selon elle, le talon d’Achille du régime de Macky Sall. Un président avec qui, dit-elle, les relations sont au beau fixe. Et de qui dépend son retour annoncé aux affaires.
Le PDS a initié une série de manifestations qui sont toutes interdites. Pensez-vous qu’on peut se permettre dans une démocratie normale de priver l’opposition de son droit de marche ?
On ne va pas retourner en 1968 où on disait qu’il est interdit d’interdire. On a vu ce que ça a donné. Moi je suis militante des droits humains. Les droits politiques sont extrêmement importants. Le droit de manifester est inscrit dans la Constitution. Mais tout droit est exercé de manière raisonnable. N’oubliez pas que ma liberté s’arrête là où commence la vôtre. On est dans un pays qui a un déficit de production important. On a parlé des problèmes d’électricité qu’il faut améliorer, etc. Vous pensez qu’on peut avoir des manifestations tous les jours ? Non !
Certes, toutes les manifestations ne peuvent pas être interdites. Mais il faut quand même qu’on puisse être raisonnable dans l’exercice des libertés. On ne peut pas, sous prétexte que c’est un droit démocratique, installer un désordre permanent dans la capitale économique. Moi je suis pour qu’on ait des positions raisonnables de part et d’autre. Je ne suis pas pour le tout interdire. Je ne suis pas non plus pour le tout autoriser. Je pense qu’il faut apprécier. L’opposition a ses droits, mais des droits à exercer avec modération en tenant compte du fait qu’on est un pays qui a besoin de travailler pour s’en sortir.
Abdoulaye Wade a forcé le barrage des forces pour participer au sit-in de son parti à la place de l’Obélisque. L’ancien chef de l’État a par la suite été très menaçant à l’endroit de Macky Sall. Que pensez-vous d’une telle attitude ?
Au fond, Abdoulaye Wade veut créer une tension artificielle pour faire libérer son fils et nous n'allons pas le suivre sur son terrain car le Président Macky Sall et le gouvernement ont un programme de développement à dérouler et des résultats à délivrer aux Sénégalais. Les Dakarois ne vont pas l'y suivre non plus, ils sont plutôt préoccupés par les défis de leur vie quotidienne. Abdoulaye Wade est avocat et connaît bien son droit, il sait mieux que quiconque que son fils est entre les mains de la justice et c'est à la justice de trancher. Ce ne sont pas des manifestations de rue qui y feront grand-chose. Le gouvernement, j'en suis sûre, va continuer à assurer la sécurité des personnes et des biens. Le droit de manifester est un droit constitutionnel mais tout droit n'a de sens que s'il est exercé avec raison.
Mais est-ce que ce n’est pas le fait d’interdire les manifestations de l’opposition qui crée toute cette tension ?
Manifester tous les jours n'est possible dans aucun pays du monde, la démocratie et l'anarchie, c'est deux choses différentes. Remercions Dieu pour notre stabilité politique et sociale ; c'est un bien précieux dont il faut prendre soin. L'opposition a tout à fait le droit de manifester mais en restant raisonnable. La liberté de travailler et de circuler librement en toute sécurité est aussi un droit fondamental et c'est à l'Exécutif de veiller au bon équilibre dans l'exercice des droits individuels et collectif. Sinon c'est l'anarchie et on sait où mène l'anarchie.
Ne pensez-vous pas que toute cette tension est due à une absence de dialogue ? N’y a-t-il pas nécessité d’ouvrir des espaces de concertation ?
Le dialogue politique, oui bien sûr. Dans toute démocratie, il est souhaitable que les acteurs se parlent en personnes responsables car après tout, chacun invoque et convoque le bien être des Sénégalais comme raison de son engagement politique. Oui il faut un dialogue. Mais il faut aussi bien comprendre que ce ne sont pas les politiciens qui tranchent les affaires judiciaires. Ce temps est révolu. On n'est pas en 1988 mais en 2015. Déserter le tribunal pour investir la rue n'est pas une bonne stratégie de défense à mon avis. Car la raison de tout cela est le procès en cours. C’est ça le fond de la question.
On ne peut pas régler les questions d’un tribunal dans la rue. Ce n’est pas un droit du citoyen. Ce n’est plus l’exercice politique d’un droit. S’il y a un procès, la question du procès doit se régler au tribunal. La défense a choisi son système de non-représentation. La non-représentation au tribunal n’est pas automatiquement le désordre dans la rue. Ça ne peut pas être un système de défense. Il faut bien dissocier les choses. Un pays doit être respecté pour l’ordre qui règne et la discipline, dans le respect des droits humains et républicains.
Justement parlons du procès. De plus de 700 milliards au départ, l’on parle maintenant de 117 milliards. Ne pensez-vous pas que le dossier d’accusation a été trop gonflé ?
C’est un procès en cours. Depuis l’ouverture du procès, je me suis gardée d’intervenir sur le dossier. J’avais été Garde des Sceaux. La parole est maintenant aux juges, à la défense. Laissez le procès se dérouler, en respectant toutes les normes d’un procès équitable. Avec les résultats, on va commenter. Mais vous pensez que même si c’est quelques milliards, on doit prévariquer sur les fonds nationaux ? Non ! Ce n’est pas la taille ou le volume de la malversation qui importe, mais le principe qui est répréhensible. J’en profite pour dire que, et ça c’est un grand acquis du régime du président Macky Sall, la bonne gouvernance est un acquis démocratique irréversible. Ce n’est même pas seulement au Sénégal. C’est maintenant une tendance mondiale. La reddition des comptes est un acquis sur lequel on ne va pas revenir. On le dit pour le passé mais également pour le présent. N’oublions pas que les organes de contrôle sont très actifs.
Pour en revenir au procès, on vous reproche de l’avoir trop politisé quand vous étiez ministre de la Justice.
Moi je ne sais pas ce qu’on appelle "politisé". J’exprimais mes positions.
Trop communiquer par exemple ?
Trop communiquer, vous avez besoin d’informer l’opinion sur ce qui se passe. Lorsqu’on est aux affaires, il faut savoir communiquer. L’opinion a besoin de savoir. On lui donne l’information juste. Et maintenant quand on est dans un procès, on s’abstient de commentaire. J’observe comme tous les Sénégalais, et on verra à l’arrivée.
N’avez-vous pas l’impression que le procès va vers l’impasse ?
D’après ce que je lis dans vos colonnes, les témoins sont auditionnés. La Cour conduit le procès. Il faut dire aussi que c’est un premier procès du genre. Et quand on initie ou expérimente ce genre de procédure judiciaire, c’est une nouveauté pour tout le monde. Ce n’est pas un procès classique, c’est clair. Ce sont quand même des sommes importantes de ressources publiques. En tout cas, je soutiens la démarche de tous les acteurs, les juges qui ne se laissent pas impressionner, les avocats de l’État qui plaident leur cause, ceux de la défense également qui font leur travail. C’est ça un procès juste et équitable, il n’y a pas besoin de vouloir manifester tous les jours.
Comment expliquez-vous alors la démission en pleine audience de l’un des assesseurs du président de la CREI ?
Ce sont des incidents qui arrivent. Ça n’a pas empêché le procès de se poursuivre. Si quelqu’un estime qu’il doit se retirer, la loi le lui permet. Qu’il le fasse tant que ça n’hypothèque pas le procès qui lui, continue son cours. Il y a beaucoup de médiatisation sans cause. Ce type de procès s’organise dans toutes les démocraties. Pour nous, c’est la première fois. C’est pourquoi peut-être il y a toute cette tension et cette attention médiatique.
Cette démission de l’assesseur Yaya Dia ne traduit-elle pas un certain malaise dans la Cour ?
Moi je ne le perçois pas comme tel. Dans des procès, vous avez des avocats qui jettent l’éponge. Vous avez un assesseur qui a jeté l’éponge, il a été remplacé et le procès se poursuit.
On parle de plus en plus de liberté provisoire pour Karim Wade, êtes-vous pour ou contre ?
Je ne suis ni pour ni contre. Je constaterai ce que la Cour décidera. C’est à elle de décider. Ce n’est pas une question personnelle. Je suis complètement dépassionnée par ce procès. Je pense que c’est l’exercice de la reddition des comptes. C’est qu’on n’a pas l’habitude. Le sujet de façon générale est la traque des biens mal acquis.
Mais on constate que Karim est le seul responsable de haut rang à être arrêté. On semble même oublier des députés qui ont vu leur immunité parlementaire levée. Pourquoi le fils de Wade uniquement ?
Je pense que le processus va se poursuivre. J’imagine que l’importance de la personnalité du premier prévenu explique que ce procès prenne du temps. On a un nombre limité de magistrats. Vous ne pouvez pas tout faire en même temps. Je ne pense pas qu’il y ait un acharnement particulier contre un individu. La reddition des comptes est un principe impersonnel. Certains ont également intérêt à politiser le procès en disant que c’est de la persécution politique, mais personnellement je ne le pense pas. Il y a les questions logistiques. Vous ne pouvez pas organiser plusieurs procès de ce genre.
D’après certaines indiscrétions, l’ancien procureur Aliou Ndao a jeté l’éponge parce que le pouvoir s’est opposé à sa volonté d’entendre des dignitaires de l’ancien régime comme par exemple l’ancien ministre de l’Economie Abdoulaye Diop…
Je l’ai lu dans la presse comme vous. Je suis aussi une citoyenne à la maison. Je m’informe pour l’essentiel à travers vos colonnes. Je n’en sais rien.
La reddition des comptes, c’est aussi pour les gouvernants actuels. Mais on voit que la directrice de l’OFNAC est obligée de bousculer les élus pour qu’ils fassent leur déclaration de patrimoine. Qu’est-ce qui explique cette attitude, selon vous ?
Parce que ce n’est pas une habitude, mais il faut le faire. Parfois ce n’est même pas parce qu’on a mal acquis ses biens. Il y a beaucoup de gens qui ont péniblement acquis leurs biens. Je pense qu’il doit y avoir même le concept de bien péniblement acquis (rires). Mais ce n’est pas dans notre culture (la déclaration). Parce qu’après, on est envahi par la demande sociale. On ne savait pas que vous aviez autant d’argent, peuvent vous dire certains de vos proches parents, etc. Il y a un peu cette crainte, mais ce n’est pas forcément que les gens n’ont pas légalement acquis leurs biens. Mais il faut qu’on dépasse un peu ce blocage culturel pour aller de l’avant. On est dans un système social de parenté où il faut régler les problèmes des autres. Et souvent il y a cette dimension-là.
La patronne du FMI est au Sénégal. Qu’est-ce que le gouvernement peut attendre concrètement de cette visite ?
Le Fonds monétaire international est le partenaire technique et financier pour nombreux pays en voie de développement. Je veux d’ailleurs commencer par dire qu’il faut saluer l’évolution de la trajectoire du FMI. Dans les années 80, lorsque nous commencions notre vie militante, le FMI et la Banque mondiale étaient des institutions repoussoirs. Il y avait cette approche purement économique, économétrique même. Et au fil des années, il y a eu une évolution ; vous vous rappelez ces fameuses politiques d’ajustements structurels à visage humain. Cette évolution est due à l’acquisition d’une souveraineté affirmée des pays clients de la Banque et du Fonds. C’est dans ce nouveau contexte que cette coopération-là s’inscrit. Les pays, de plus en plus, affirment leur demande en tant que client qui sait ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. Les relations sont beaucoup plus équilibrées que par le passé.
Le FMI est donc un partenaire et le fait que sa directrice se soit arrêtée à Dakar est un message sans équivoque au Plan Sénégal émergent qui est un plan qui dépasse notre génération. Son cadre temporel va jusqu’à 2035. C’est comme ça justement que moi je perçois les questions de développement. Elles doivent transcender les régimes, les présidents qui les initient. A la fin du plan, le président Macky Sall qui l’a initié sera très âgé. Donc, il faut qu’il y ait cette continuité du point de vue des ambitions économiques. Elles ne doivent pas nécessairement se plaquer à l’existence des mandats présidentiels. C’est un effet cumulatif. Abdou Diouf a réalisé un tronçon de notre développement, il en est de même du président Abdoulaye Wade. Le président Macky Sall va jouer sa partition et par la suite d’autres continueront.
Est-ce que les remèdes du FMI sont toujours applicables à des pays africains pauvres comme le Sénégal ?
Les remèdes, comme vous dites, ont beaucoup évolué. Ce sont maintenant plus des recommandations. Et les États ont le choix. Les experts du Fonds et de la Banque ne sont pas des magiciens. Moi-même, j’ai été fonctionnaire internationale des Nations unies. Ce sont des gens comme moi que vous trouvez là-bas. Les États ont à regarder en rapport avec leurs intérêts nationaux, leur vision, leurs perspectives économiques. Et ils discutent, ils acceptent ou ils refusent. Comme je l’ai dit, ce sont des relations beaucoup plus équilibrées. Le FMI s’intéresse particulièrement aux équilibres macroéconomiques. On peut le comprendre, vous ne pouvez pas tout le temps dépenser ce que vous n’avez pas. Mais dans les pays comme les nôtres également, les politiques sociales sont extrêmement importantes.
Et c’est heureux de voir cette nouvelle vision dans les institutions financières internationales. Moi je suis de la génération où on a fermé les internats parce qu’on estimait que c’était trop de dépenses. On avait commencé à parler de recouvrement de coût dans le système de santé. C’est donc à cette génération traumatisée par les politiques d’ajustements que j’appartiens. C’est donc une satisfaction de voir que la vision a beaucoup évoluée. Je sais par exemple que le programme de bourse familiale est un programme qui a besoin de se faire connaître, parce qu’il marque une rupture fondamentale. Je suis sûre qu’il y a 15 ans, les institutions internationales ne l’auraient pas vu d’un bon œil. La banque mondiale va investir avec nous dans ce programme. Parce qu’il s’agit de soulever une masse importante de population en dessous d’un seuil de pauvreté qui, à mon avis, est indigne de la condition humaine.
Certes, la Banque mondiale vous accompagne dans votre politique de santé. Mais au même moment, Mme Lagarde préconise la suppression de la subvention sur l’électricité. Quel commentaire cela vous inspire ?
C’est là où je parle de souveraineté. C’est sa recommandation comme économiste. Personnellement je pense qu’on pourra le faire à terme, lorsqu’on aura une capacité de production importante, avec des unités de production privées et indépendantes. Qu’il y ait la concurrence et une politique des prix qui permettra d’avoir une électricité à la baisse. Déjà on a l’une des électricités les plus chères au monde. Si vous arrêtez la subvention, l’électricité va s’envoler avec les conséquences en termes de compétitivité de nos entreprises. Je ne parle pas maintenant du coût social. C’est donc une mesure sur laquelle je ne suis pas d’accord.
Certes sur le principe, on peut comprendre sa recommandation. Mais il y a les principes, l’application des principes et les conséquences que cela peut générer. Je pense qu’il faut y aller progressivement, attendre que la Senelec améliore ses capacités de production et sa gestion. Le président de la République avait demandé à l’époque que la Senelec fasse des efforts importants pour la réduction des coûts, parce que ce sont ces mêmes coûts qui sont répercutés aux consommateurs. Et comme on ne peut pas les répercuter directement aux consommateurs, c’est l’État qui prend en charge ces coûts à travers la subvention. Actuellement, plusieurs centrales sont en train d’être construites. Je pense qu’il faut inviter plusieurs producteurs, libéraliser le secteur.
Donc vous aussi, vous êtes d’avis qu’il faut privatiser la Senelec ?
Disons que j’ai une opinion intermédiaire. Moi j’estime que la Senelec devrait être dans la distribution. Ce réseau lui appartient, elle ferait beaucoup d’argent. Et la production, au fur et à mesure, pourrait être laissée à des opérateurs privés. Mais encore une fois, de manière transitoire et avec beaucoup de négociations, parce qu’il faut parler aux travailleurs. L’électricité est un secteur extrêmement sensible.
La participation récente du président de la République à la marche de Paris a été décriée par une partie de l’opinion. Avec le recul, pensez-vous que le président devait prendre part à cette marche ?
Oui, je le pense. On a quasiment épuisé la question. Dans une démocratie, les gens ont des opinions différentes. Il a participé à l’instar de plusieurs dirigeants de pays musulmans. Cela n’a rien à voir avec la religiosité des uns et des autres. Il y a eu les représentants de pratiquement tous les pays musulmans pour s’indigner contre le terrorisme. N’oublions pas que ce n’est pas un phénomène qui est très éloigné de nous. Le Mali a failli être désintégrée. On voit ce qui se passe au Nigeria. Il faut être vigilant. Je lui aurais suggérer de le faire s’il m’avait demandé mon avis à l’époque. Cela n’a rien à voir avec les caricatures inacceptables du prophète Mouhammad (SAW).
Le problème qu’on a, c’est que nous sommes dans un monde où par rapport à la religion, il y a plusieurs approches. Certaines sociétés sont des sociétés post-religieuses. Elles estiment qu’elles ont dépassé les questions de religions. Elles ont donc du mal à comprendre comment la foi est importante pour certains, notamment pour des musulmans. Donc il y a un malentendu. Et je pense que si on veut aller vers un monde de tolérance et de compréhension, il faut que les uns apprennent à connaître les autres et à les respecter dans leur foi. Le Sénégal quant à lui est un pays de tolérance. N’oublions pas que nous avons eu un premier président chrétien dans un pays dont les 95% sont des musulmans. Il a été soutenu à l’époque par des guides religieux musulmans. Nous vivons dans notre pays en parfaite harmonie avec nos concitoyens chrétiens. Je pense qu’il faut préserver cela. Le Sénégal est connu pour un islam de paix. Nous avons de grands érudits, de grands religieux. Il faut le préserver.
Le tollé soulevé par la présence du chef de l’État à la marche de Paris, a fait resurgir de nouveau la question de la communication du président. Ne pensez-vous pas qu’elle est mal gérée ?
On va l’améliorer. Tout est améliorable. C’est notre talon d’Achille. Nous faisons beaucoup de bonnes choses... mais n’oublions pas que l’APR (Alliance pour la République, parti présidentiel) est un parti très jeune. L’expérience est un processus cumulatif mais on va se bonifier au fur et à mesure. C’est un secteur dans lequel il nous faut travailler, c’est sûr.
Vous êtes un peu en recul par rapport à l’actualité politique. Aujourd’hui quel est le quotidien de Mme Aminata Touré.
Je fais beaucoup de choses. Je voyage, j’ai des consultations de temps à autre. J’étais à l’Ile Maurice pour le compte de l’Union africaine. J’ai des activités politiques aussi. Elles ne sont pas toutes publiques. Je suis un responsable politique.
A Grand Yoff ?
Oui à Grand Yoff ! Mais je suis Responsable au niveau national aussi. Je rencontre beaucoup de citoyens, je discute, j’écris. J’ai un quotidien assez chargé somme toute.
Et à quand le retour aux affaires de façon publique ?
Ça, ce n’est pas moi qui en décide. Ce n’est pas une nécessité forcément. Je n’étais pas dans les affaires mais je travaillais. J’ai travaillé pour les Nations unies pendant presque une vingtaine d’années. J’ai travaillé dans le secteur privé, j’ai travaillé dans les ONG également. On peut être utile à sa communauté dans différentes positions. Ce n’est pas une obsession.
Récemment, votre retour a été annoncé dans la presse. Quelle position Mimi Touré peut occuper dans l’attelage gouvernemental ?
C’est à monsieur le président de la République qu’il faut poser cette question. Mais comme je vous ai dit, ce n’est pas une obsession. On est aux affaires, on quitte les affaires, on s’occupe d’autres choses. On n’est pas forcément dans une situation dépressive quand on quitte les affaires. Au contraire…
Il est dit que vous lorgnez le poste d’Aminata Tall. Qu’en est-il exactement ?
Il y a beaucoup de choses qui se disent et qui ne sont pas justes. Et parfois il y a de petites intentions malsaines qui les sous-tendent. Ce n’est pas ça. Et j’en profite pour vous rappeler qu’Aminata Tall est une amie de plus de 30 ans. Quand on traversait l’opposition ensemble à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de femmes. On s’est connues du temps de la Conacpo et de toutes les coalitions qui ont eu lieu autour de Me Wade. Depuis lors, une amitié très solide nous lie.
Mais est-ce que vous n’avez pas un agenda caché ?
Les agendas, on en a tous. Mon agenda est public. Il faut prendre les gens aux mots. Vous ne pouvez pas aller voir ce qu’il y a dans leur tête. J’ai dit que je suis militante de l’APR. J’accompagne le président pour qu’il ait un second mandat. On n’a pas que des amis. Il y a des gens qui ne nous aiment pas forcément. Mais ça, c’est la vie. Personne ne peut y échapper. C’est facile de dire on pense que, on vous soupçonne de... ; moi je suis assez franche et j’ai dit ce que j’avais à dire. Je suis membre de l’APR, je veux que mon parti élargisse sa base sociale. On veut élargir également la base des alliances pour avoir une bonne représentativité dans le pays afin que le président ait un second mandat pour qu’il puisse continuer tous ces projets qu’il a commencés.
Comment expliquez-vous alors ce qui ressemblait à une brouille avec l’APR après votre départ de la Primature ?
Après mon départ, j’avais besoin de me retrouver un peu avec moi-même, avec ma famille, reprendre contact avec mes relations internationales. On a une vie intellectuelle, une vie familiale. On a aussi une vie affective, parce que je n’avais pas beaucoup vu mon époux pendant toute cette période. J’ai également des enfants etc, on a une vie normale comme tout le monde. Parfois on a besoin de mettre un peu de distance entre nous et la politique pour mieux revenir.
Il est pourtant évident qu’un ressort s’était tout de même cassé dans vos relations avec le président de la République.
Ça, c’est valable pour toutes les relations. Est-ce que vous avez dans votre vie des relations qui sont tout le temps merveilleuses ?
De quand date votre dernier entretien avec le président ? Est-ce que vos relations sont aujourd’hui au beau fixe ?
Ça ne se pose pas en ces termes. C’est lui le président de la République, c’est lui qui détient les suffrages populaires. Il nomme à des positions qui il veut. Il change quand il le souhaite. C’est la Constitution. C’est une banalité que je vous dis. On peut avoir ses frustrations et les manifester d’une manière ou d’une autre. Mais je peux vous dire qu’on est en contact. C’est mon président de Parti. On a de très bonnes relations.
Parlant de l’APR, beaucoup de gens pensent que les problèmes que connaît le Président sont dus au fait que son parti n’est pas structuré.
L’APR est née dans un contexte particulier. D’abord elle s’appelle "Alliance", et ça a un sens. Vous avez eu plusieurs composantes qui se sont retrouvées autour du candidat pour l’accompagner dans sa conquête du pouvoir. C’était une tactique et ça a marché. Si le président avait décidé de structurer son parti dès sa création, je suis sûre que le pouvoir de l’époque se serait attelé à lui "acheter" les responsables les uns après les autres. Et ça n’aurait pas prospéré. C’était d’ailleurs une mouvance. Une mouvance avec plus de sympathisants que de militants, dans le sens où moi j’ai vécu le militantisme. On a eu des militants jeunes qui n’avaient pas forcément une formation politique mais qui aimaient Macky Sall, qui voulaient l’accompagner. Et voilà, vous arrivez au pouvoir.
Avec les contraintes de l’État, vous n’avez pas forcément le temps de vous occuper du parti, parce que la priorité quand même, ce sont les Sénégalais qui l’ont élu. Et pendant ce temps, le parti, composé de jeunes, connaît ses turbulences. J’estime que d’autres partis vont connaître la situation de l’APR. C’est l’État de la démocratie. Pas seulement africaine ou sénégalaise, c’est l’État de la démocratie mondiale. Ce sont les nouvelles formes de liberté d’expression que l’on voit partout. On se plaint parfois de la presse, mais maintenant l’opinion est libérée, la parole est libérée, les convictions sont libérées, et maintenant les partis vont être des lieux d’expression libre. Donc même si vous les structurez, cela n’empêchera pas les débats.
Est-ce une raison pour que les militants posent des actes qui ressemblent à de l’indiscipline ?
Je suis d’accord qu’il faut une discipline. Mais la discipline et la structuration font deux. Il faut plus de discipline, mais comme je vous l’ai dit, cela est lié à la jeunesse des militants. Vous avez des enfants et vous voyez qu’ils ne sont pas toujours faciles à discipliner. Ils amènent également une fougue, un enthousiasme dont tout parti rêve. Un parti de vieux n’est pas un parti qui risque de prospérer. Mais quand vous êtes au pouvoir, vous avez des responsabilités particulières. Vous ne pouvez pas être le parti au pouvoir et qu’on vous entende dans des querelles permanentes. Ça pollue le travail du gouvernement. J’espère que dans les semaines, les mois à venir, face à l’urgence, le parti va davantage se discipliner. Il faut reconnaître aussi que c’est le plus grand parti du Sénégal. Ça aussi, c’est une autre réalité qu’on occulte. Si vous regardez les suffrages, c’est le parti qui en rassemble le plus. Mais je suis d’accord qu’il nous faut être plus discipliné.
Comment appréciez-vous la démarche de Moustapha Niasse qui veut accompagner le Président Sall pour un second mandat ?
Je m’en félicite. Le président Niasse est un homme politique qui a quasi traversé l’histoire politique du Sénégal. Qu’il décide d’accompagner le Président Macky Sall, je ne peux que m’en féliciter. Le PSE étant un programme très ambitieux, le Président a besoin de rassembler le maximum de forces vives. On a besoin également d’apport des intellectuels, puisque les intellectuels sont en retrait par rapport à la vie politique, et je m’en désole. C’est ce qui explique aussi la léthargie de partis politiques. Les intellectuels ont estimé que ce ne sont plus des espaces dans lesquels ils peuvent s’exprimer, mais ce sont des espaces de conquête du pouvoir. Je me désole de cela et j’espère que les intellectuels vont revenir dans les partis politiques, parce qu’on a besoin aussi d’alimenter la réflexion politique.
Est-ce que les intellectuels ne sont pas frustrés par certaines pratiques comme la transhumance ?
Mais qu’ils viennent s’exprimer dans les partis, qu’ils constituent une masse critique dans les partis pour influencer le cours et les décisions de ces partis. Que les gens de vertu et de valeur viennent également dans les partis. Mais si tout le monde se met en retrait, ce ne seront pas forcément les meilleurs qui se retrouveront dans les partis. J’ai aussi constaté cette désaffection, parce que nous, quand on était plus jeune, la première activité intellectuelle que nous avions, c’était le militantisme.
Pour en revenir à l’AFP, vous vous félicitez certes du principe. Mais sur la méthode, est-ce que ce soutien peut se faire contre l’avis d’une bonne partie des membres du parti ?
(Rires). Vous n’allez pas me demander de me prononcer sur des questions internes d’un parti allié.
Comment appréciez-vous alors la crise qui secoue l’AFP, puisque vous étiez vous-même présente lors de cette rencontre du 22 janvier.
Ce sont les dynamiques internes. Vous avez parlé de l’APR tout à l’heure. Comme je l’ai dit, c’est la démocratie actuelle. Je ne peux pas me mêler ou apprécier.... Tout ce que je peux faire, c’est de réaffirmer notre soutien au président Moustapha Niasse et le remercier du fond du cœur de cette décision qui est courageuse et qui lui coûte toute ces turbulences-là. Mais je crois qu’il est un homme d’honneur qui, lorsqu’il donne sa parole, la tient jusqu’au bout.
L’AFP s’est déterminée, comment jugez-vous la position du PS ?
Je ne l’apprécie pas. Je la constate. Je n’ai pas à m’immiscer dans les affaires internes des autres partis. Ce sont des organisations souveraines qui prennent leurs décisions. Moi je m’intéresse vraiment à l’APR et à la coalition. J’avais dit ce que j’avais à dire en son temps. Nous allons travailler à élargir la base pour mobiliser un nombre important d’électeurs.
Une petite question pour terminer. Il paraît que vous vous êtes réconciliée avec Me El hadji Diouf ?
La vie évolue, on n’a pas de sentiment ou d’acrimonie particulière envers les autres. La vie, c’est comme ça, il faut savoir évoluer. C’est comme ça qu’on garde son équilibre. Pour ce qui me concerne, je tourne des pages.