NAUFRAGE D’UN AS DU BANC
Un grand entraîneur, une grande équipe, des moyens conséquents dans l’ordinaire minimaliste que connaît le football sénégalais. On peut y ajouter une solide culture de la Division 1 et un palmarès qui témoignent d’une aptitude à planer sur les sommets sans souffrir de l’ivresse des cimes.
La Douane aurait pu être championne du Sénégal, qu’on n’aurait rien trouvé à y redire. La voilà qui file vers la Ligue 2, séparée de l’abîme par un vide qui ne laisse qu’un maigre espoir de survie.
Aux commandes de l’esquif en perdition, un des cinq entraîneurs sénégalais à avoir jamais disputé une demi-finale de coupe africaine. Un des rares à disposer d’une expérience de club à l’étranger. Depuis 1985 qu’il a conduit l’Us Gorée en demi-finales de Coupe d’Afrique des clubs champions, Lamine Dieng fait partie de la fine fleur de ceux qui pensent, théorisent et cherchent dans le foot l’application des différents savoirs qui structurent la performance dans un cadre logique. Son discours séduit, sa méthode inspire, l’expression de ses idées sur un terrain offre de beaux tableaux quand tout baigne dans la cohérence.
Lamine Dieng coule avec la Douane. Ses propos du weekend ont quelque chose de pathétique, quand il se résout à constater «(…) qu'une équipe comme la Douane, avec un entraîneur comme Lamine Dieng, soit reléguée en Ligue 2». Il met tout dans l’ordre normal des choses, mais on le devine incrédule. C’est le Titanic qui sombre ; l’impensable défie les lois de la construction et de la supériorité de l’homme sur les éléments.
Depuis longtemps, la ligne de flottaison de l’As Douanes a disparu sous l’eau, mais on la pensait insubmersible. On se rappelle avoir entendu le président du club clamer son inquiétude devant la faillite incroyable qui se dessinait, alors que tous les paramètres objectifs du succès étaient réunis. Mais comme le disait De Gaulle, à propos d’un Sartre engagé contre la guerre en Algérie, «on ne met pas Voltaire en prison».
La dérive a été longue, lente, inexorable. On sentait Lamine Dieng colmater, reconstruire et donner une allure à son collectif, mais les moments d’espoir ont été fugaces. Toujours en état d’urgence dans ce championnat, il n’a jamais eu à réfléchir dans ces contextes apaisés et maîtrisés où on sent le meilleur de lui-même. Ces contextes où il peut naviguer en commandes automatiques et laisser les choses aller d’elles-mêmes, suivant des paramètres de navigation bien calés dans l’ordinateur de bord.
Dès le départ, les instruments se sont affolés, le «Mayday» lancé et la lutte engagée pour éviter le crash. Suprême faiblesse du commandant de bord, il n’était pas là au moment où se faisait la check-list pour l’adapter au plan de vol. Prendre une équipe configurée en son absence, avec un recrutement qui n’a pas été le sien et une préparation hivernale dont les données n’étaient pas les siennes, ont été quelques-uns des éléments explicatifs de la catastrophe.
On pensait néanmoins que les navigateurs au long cours, ayant blanchi sous les vents du large, sont toujours à même de maîtriser tous les contextes et les adversités qui y sont liées. Pas cette fois. Même en révisant son moteur et en installant des pièces neuves en milieu de parcours, Lamine Dieng n’a jamais su trouver le bon plan de vol.
Aujourd’hui, si les mathématiques ne condamnent pas encore la Douane à la relégation, l’espoir ne tient plus de la raison, mais du miracle.
Trente ans de parcours font de Lamine Dieng, avec Boucounta Cissé de la Linguère, les survivants d’une génération qu’on ne trouve plus sur les bancs. Ni séniles ni grabataires (la preuve par Bou qui dispute le titre), ils sont porteurs d’une science qui se lit encore noir sur blanc. Mais la performance maîtrisée est aussi une question d’environnement et de contexte.
Tout bouge avec les mutations sociologiques qui formatent les footballeurs d’aujourd’hui. Autant les situations et les valeurs de référence, que le comportement civico-sportif. Tout bouge, sauf le cadre du club qui peut permettre à un savoir fertile de s’adapter et de coller à des standards élevés de performance. La modernité n’est pas une question d’âge, mais de moyens et d’état d’esprit. Ferguson avait 71 ans, au moment de tourner la page en pleine gloire, il y a quelques mois. Pour sûr, il ne manageait pas Rooney de la même manière qu’il entraînait Mark Hughes en 1986.
L’échec de Lamine Dieng ressemble à ces trous d’air dans lesquels on tombe quand tous les paramètres sont établis, mais que les commandes de vol n’obéissent plus ou que les mécanismes fonctionnels ne sont plus adaptés. Il ne reste plus alors qu’à subir les éléments.
On aurait été heureux de voir Lamine Dieng, Boucounta Cissé, Abdoulaye Diaw, Cheikh Nguirane, etc., dépérir, si des références solides s’affirmaient derrière avec des aptitudes convaincantes. Tel n’est pas encore le cas.