NE BRÛLEZ PAS CE PAYS !
Wade répète que tant que Karim sera en prison, Macky ne sera pas en paix. Il a programmé des manifestations dont il espère qu’elles vont se transformer en émeutes violentes qui obligeront le chef de l’État à relâcher son fils
Le "Bat Codos" (Bataillon des Commandos), un des corps d’élite de notre Armée nationale, a assurément de la concurrence ! Ces redoutables militaires hyper-entraînés et aux bérets bruns n’ont qu’à bien se tenir.
En effet, vu la manière dont le vieillard Abdoulaye Wade a mené son opération-commando samedi dernier en déboulant sur la mythique place de l’Obélisque dans une voiture aux vitres teintées suivie d’autres véhicules remplis de body-guards encagoulés, forçant les barrages des policiers avant de s’immobiliser au milieu de la place, au vu donc de cette manière, il ne fait aucun doute que le "Bat-Codos" gagnerait à avoir comme chef de corps le redoutable général Abdoulaye Wade !
Le connétable, devrait-on dire. Et si le monde entier avait été ébahi par les performances des impressionnants agents du Raid français à l’occasion des affaires Kouachi et Amedy Coulibaly, eh bien ces super-policiers et gendarmes ne nous donnent plus de complexes à nous autres Sénégalais, vu que nous avons les terrifiants commandos "W" dirigés par l’intrépide Abdoulaye Wade, un général sans peur et sans reproche.
Certes, les généraux du Parti démocratique sénégalais (Pds) et du Front patriotique pour la Défense de la République (Fpdr) sont vieillissants à l’image de Abdoulaye Faye, Pape Samba Mboup, Cheikh Tidiane Sy et Mamadou Diop Decroix, que l’on voit pourtant en première ligne, sinon dans les manifestations de rues, du moins dans les déclarations guerrières à la presse, les généraux du Pds, donc, sont vieillissants mais le généralissime Abdoulaye Wade, lui, malgré ses 90 ans, a toujours bon pied et bon œil. Et, surtout, la souplesse d’un commando de 20 ans ! Du moins, c’est ce qu’il veut faire croire…
Et c’est sans doute en sa qualité de général chef du corps des commandos que le secrétaire général national du Pds a menacé son successeur à la présidence de la République de faire appel à l’Armée pour arbitrer leur différend. Ce en se disant que, dans ce cas de figure, les militaires ne peuvent se ranger que du côté d’un général, fût-il d’opérette ! Mais trêve de persiflage.
Même si Wade a une sorte d’obsession pour l’Armée — au point d’avoir nommé, en une seule fournée, 12 généraux, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de notre Armée ! —, il faut reconnaître tout de même qu’il a encore une fois poussé le bouchon trop loin et dépassé les bornes. En effet, que vient faire la Grande muette dans le conflit qui l’oppose au président Macky Sall ?
Sachant très bien que, constitutionnellement, l’Armée sénégalaise est apolitique et ne s’occupe que de la défense de l’intégrité du territoire et que, dans tous les cas, dans un régime démocratique, les soldats sont soumis à l’autorité du politique, le Pape du "Sopi", en demandant son arbitrage, appelle donc en réalité à un coup d’Etat militaire.
Sinon, comment nommer cet appel lancé à l’Armée pour, encore une fois, résoudre un conflit purement politique, voire hâter le dénouement d’une affaire judiciaire ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, si le président Abdoulaye Wade veut mettre le feu au Sénégal, c’est uniquement pour obtenir la libération de son fils, emprisonné depuis plus de 20 mois dans le cadre de la traque aux biens mal acquis enclenchée par le président Macky Sall à son arrivée au pouvoir.
Wade n’en fait pas mystère d’ailleurs puisqu’il ne cesse de répéter que tant que Karim, son fils, sera en prison, son successeur ne sera pas en paix. Pour mettre la pression sur le régime, il a programmé donc une série de manifestations de rues dont il espère bien qu’elles vont déborder, voire se transformer, en émeutes tellement violentes que le président Macky Sall sera bien obligé de lâcher du lest et, donc, de relâcher l’encombrant prisonnier Karim Meïssa Wade.
Autrement, advienne que pourra quitte à ce que l’Armée — où il pense avoir ses hommes pour avoir, encore une fois, nommé plus de 12 généraux —, s’empare du pouvoir. Evidemment, tout autre que Wade qui aurait tenu de tels propos séditieux devrait être arrêté sur le champ, jugé et condamné sévèrement mais que voulez-vous faire d’un vieillard de 90 ans, même s’il joue les commandos ?
A la place du pouvoir — qui craint même sa propre ombre, malheureusement —, on aurait autorisé toutes les manifestations de Wade surtout qu’elles procèdent d’un droit inscrit dans la Constitution. A notre avis, les Sénégalais ont d’autres chats à fouetter que d’aller répondre aux appels à manifester du Pds et du Fpdr.
Certes, il y aura toujours des désoeuvrés et des nostalgiques pour s’y rendre mais franchement, au bout de deux ou trois meetings et marches autorisés, l’essentiel des maigres troupes de l’opposition se lassera. En revanche, interdire ces manifestations ne fait qu’accroitre la tension, martyriser le Pds et le Fpdr et, finalement, faire monter la côte de popularité de Karim Meïssa Wade.
A propos de ce dernier, Wade, en vieillard dont on suppose qu’il est plein de sagesse, devrait souffrir de voir son fils aller jusqu’au terme de son procès en s’abstenant de toute pression sur les juges. Le procès de son fils en est à sa dernière ligne droite et il devrait avoir la patience d’en attendre le verdict.
Surtout que, les avocats de la défense ayant choisi de boycotter les audiences, le déroulement du procès s’en est trouvé accéléré. D’ici fin mars, donc, tout devrait s’achever. Wade a-t-il senti, à la lumière des derniers témoignages, que les choses tournaient au vinaigre pour son fils ?
Car enfin, on ne comprend pas qu’après avoir accepté de participer pendant presque six mois aux audiences de la CREI, Karim décide brusquement de ne pas comparaître. Ce même s’il a été malmené par des agents de l’administration pénitentiaire. Des actes de violence inadmissibles dans un Etat de droit mais qui ne doivent quand même pas conduire le fils de Wade à boycotter les prétoires. Sauf si, encore une fois, ça commençait à sentir le roussi pour lui. Ce même si son père estime que c’est un procès politique qui est fait à son fils et que la réponse doit donc être politique. Pour ne pas dire qu’elle passe par les manifestations de rues.
Et tant pis si Wade oublie qu’on n’est plus en 1988 lorsque le "Sopi" était à son apogée et que des généraux comme Abdoulaye Faye et Pape Samba Mboup étaient dans la force de l’âge. Wade qui doit surtout savoir que son grand âge ne doit pas être un prétexte pour s’autoriser à brûler ce pays, fût-ce par amour pour son fils.
Car les prisons sénégalaises sont remplies de jeunes gens et jeunes filles — comme les infortunés habitants de Colobane qui passent en assises vendredi prochain — qui ont purgé de longues années en préventive. Et dont les parents ne songent pas pour autant à jouer les Néron ou les Attila pour mettre le feu à ce pays !