NIGERIA: LE PRESIDENT JONATHAN A-T-IL LE DROIT DE BRIGUER UN NOUVEAU MANDAT?
Lagos, 2 oct 2014 (AFP) - L'éventuelle candidature du président Goodluck Jonathan, très critiqué jusque dans son propre camp, à l'élection présidentielle de février 2015, provoque depuis des mois une polémique politico-juridique au Nigeria: la Constitution lui permet-elle de briguer un nouveau mandat?
M. Jonathan, âgé de 56 ans, dirige le Nigeria depuis mai 2010, date à laquelle, alors vice-président, il a succédé à Umaru Yar'Adua, mort dans l'exercice de ses fonctions. Il a ensuite remporté la présidentielle de 2011.
Il a fait face, ces derniers mois, à une crise sans précédent au sein de sa propre famille politique, de nombreux gouverneurs et députés ayant quitté le Parti Démocratique Populaire (PDP, au pouvoir) pour rejoindre le Congrès progressiste (APC), principal parti d'opposition.
Au coeur des polémiques: une règle tacite du PDP voulant qu'après un chrétien du Sud, ce soit au tour d'un musulman du Nord de se porter candidat, pour deux mandats maximum.
La religion est un facteur de division au Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique et dont les 170 millions d'habitants se partagent à peu près pour moitié entre chrétiens et musulmans.
La grande majorité des richesses pétrolières sont concentrées dans le Sud, majoritairement chrétien. Le Nord est au contraire largement défavorisé sur le plan économique, et les Etats du Nord-est sont en outre le théâtre de la rébellion du groupe islamiste Boko Haram.
M. Yar'Adua étant mort avant la fin de son premier mandat, les responsables politiques du Nord, notamment, considèrent que c'est à nouveau au tour d'un musulman de se porter candidat à la présidentielle, après M. Jonathan, un chrétien du Sud.
La querelle politique se double d'une querelle juridique, exploitée par les opposants à M. Jonathan : la Constitution nigériane l'autorise-t-elle à se représenter en 2015 ? C'est ce que devra décider la Cour Suprême dans les prochaines semaines.
S'il est autorisé à se présenter et s'il gagne, il aura été président pendant près de 10 ans, ce qui est plus que la limite constitutionnelle de deux mandats de quatre ans, explique à l'AFP l'avocat constitutionnaliste nigérian Festus Keyamo.
"Mais la Constitution dit qu'on ne peut pas être candidat si on a été élu aux deux élections précédentes, et M. Jonathan n'a été élu qu'une fois. C'est donc à la Cour Suprême de trancher quant à cette subtilité juridique".
- Une bataille très politique -
Le comité exécutif du Parti démocratique populaire a annoncé ce mois-ci soutenir à l'unanimité une nouvelle candidature de M. Jonathan. Celui-ci attend sans doute le verdict de la Cour Suprême pour se décider s'il se représente ou non.
Pour les experts, la bataille n'est pas vraiment juridique mais surtout politique. Les avocats qui ont porté cette affaire devant la justice sont "de mauvaise foi" et "tentent de promouvoir les intérêts du Nord", a dénoncé le professeur de droit Itse Sagay dans le journal New Telegraph cette semaine.
Pour Dapo Thomas, expert en sciences politiques à l'Université de l'Etat de Lagos, seule la justice peut trancher sur cette question, mais il existe d'autres arguments contre la candidature de M. Jonathan.
"Son bilan est consternant à tous points de vue. S'il a une conscience, il devrait se demander ce qu'il a fait pour mériter un nouveau mandat à la présidence", déclare M. Thomas à l'AFP.
Le chef de l'Etat nigérian est très critiqué, notamment, pour n'avoir pas su juguler l'insurrection de Boko Haram, qui a fait plus de 10.000 morts ces cinq dernières années, et n'avoir pas réussi à retrouver les quelque 200 lycéennes dont le kidnapping en avril par le groupe islamiste a ému le monde entier.
Et le Nigeria a beau être devenu récemment la première puissance économique d'Afrique, à la faveur d'une nouvelle méthode de calcul de son PIB, le bilan économique de M. Jonathan est "un échec total" pour M. Thomas.
Plus de 60 % de la population nigériane vit toujours dans une extrême pauvreté et une personne sur cinq est sans emploi, avec un taux de chômage qui atteint 38% chez les moins de 24 ans, selon la Banque Mondiale et les statistiques officielles nigérianes, tandis que que le pays continue d'être gangréné par la corruption.