NON A LA CHIENLIT !
Il souffle un vent de folie, comme si beaucoup ont encore du mal à se faire à l’élection de Macky Sall. Il importe de revenir à de meilleurs sentiments car lorsque le désordre s’installe, c’est la porte ouverte à la tentation militaire

Samedi dernier, après que le Bureau politique du Parti démocratique sénégalais (Pds) transformé en congrès extraordinaire a fait de Karim Wade son candidat à la prochaine élection présidentielle, voilà que son Secrétaire général, connu pour ses coups de bluff (il s'est porté candidat à la candidature tout en se sachant forclos), souffle le chaud et le froid après que son parti a promis de brûler le Sénégal, voire de le rendre ingouvernable aujourd'hui, lundi 23 mars 2015, si le verdict rendu par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) venait à condamner ce dernier.
Abdoulaye Wade demande désormais à ses militants de déferler massivement au tribunal et de rentrer ensuite tranquillement au bercail. Il y a là un rétropédalage explicable par plusieurs facteurs, dont la démarcation de larges segments de la population et des grandes familles religieuses de tout acte de violence. Ainsi, jeudi 19 mars, à l'occasion de la cérémonie officielle du magal de Mbacké Kadjor, le porte-parole de Gouye-Bind, Serigne Cheikh Thioro Mbacké, a-t-il rapporté que le khalife général des mourides, Serigne Sidi Mokhtar, a fustigé le "bavardage qui pollue la vie politique au Sénégal et auquel bavardage participent des petits-fils de Serigne Touba“.
En direction des jeunes Mbacké-Mbacké, il dira : “Remettez-vous à l’apprentissage du Coran, retournez dans les daaras, regagnez les champs et fréquentez davantage les mosquées. C’est cela l’héritage de votre grand-père.” Tout en souhaitant que soient oubliées à jamais les récentes déclarations formulées par un homme politique (Ndlr, Abdoulaye Wade), Serigne Cheikh Thioro a par ailleurs rappelé que “seul le travail est en mesure de développer un État”.
C’est dire que Touba n’est pas dans la dynamique d’encourager la chienlit qui menace de s’installer, encore moins les dérapages verbaux de l’ancien chef de l’Etat qui continue de se la jouer, affirmant à qui veut l’entendre, qu’il lui suffit de lever le doigt pour que les Sénégalais déferlent sur le Palais de la République pour en déloger son locataire.
Aveuglé par un ego surdimensionné, Abdoulaye Wade a décidément du mal à se faire à la réalité. En attendant de trouver réponse aux interrogations qui le taraudent, lui qui affirmait ne pas savoir par quel tour de passe-passe Macky Sall l’a remplacé à la tête de l’Etat (Xamouma fan lama Macky diare), devrait pourtant se rendre à l’évidence. Il se trouve que les Sénégalais n’ont pas été maraboutés encore moins drogués.
Bien au contraire, ce sont des citoyens conscients et déterminés qui, malgré les tentatives d’achat de conscience, à coup de sommes d’argent substantielles, se sont mobilisés pour exprimer dans les urnes la mise en berne d’une mandature de 12 ans qui, en dehors des infrastructures et de certaines réalisations, s’est caractérisée par une déstructuration de la fonction publique et des institutions, une corruption et une impunité portées à un niveau jamais atteint.
Si malgré tout, l’ancien chef de l’Etat et ses camarades pensent que le vent a tourné et que leurs compatriotes sont nostalgiques de l’ancien régime, ils n’ont qu’à prendre leur mal en patience, faire confiance à l’expression du suffrage universel et attendre dans moins de deux ans, en février 2017, l’élection présidentielle si, toutefois la durée du mandat du président de la République est réduite à cinq ans.
En attendant de voir ce que cette nouvelle candidature du Pds va devenir à cette occasion, si elle arrive à se positionner, au regard des potentiels obstacles qu‘elle aura à franchir, la renonciation à la nationalité française par Karim Wade, le risque d’inéligibilité en cas de condamnation pénale, les possibilités de division dans son propre camp avec des candidatures attendues comme celle probable de l’ancien Premier ministre Souleymane Néné Ndiaye, il y a à ne pas se laisser divertir et à se recentrer sur l’actualité brûlante.
Il est en effet quelque chose de surréaliste à vouloir ériger Karim Wade en icône intouchable. Des 12 millions de Sénégalais dont la loi fondamentale stipule qu’ils naissent libres et égaux, le Pds et ses affidés agitent de façon péremptoire une exception instaurée par Dieu le père Abdoulaye Wade et à laquelle tout le monde doit se résoudre, à savoir que Karim Wade “ne peut être condamné”.
Sans préjuger de rien, on peut tout de même s’étonner, d’une telle posture qui dénote un souverain mépris à l’endroit de Dame justice à qui il revient de vider son délibéré et de se prononcer en toute indépendance, suivant son intime conviction, et des Sénégalais eux -mêmes.
Pour preuve, ces derniers ne sont pas appelés à se dresser contre la corruption et la concussion qui gangrènent leur pays depuis son accession à l’indépendance, ni à lutter contre le chômage des jeunes ,encore moins à défendre l’école. Bien loin de ces enjeux nationaux, ils sont appelés à servir de boucliers à un homme qui selon son père ne peut souffrir l’indignité d’ une condamnation à une peine de prison.
Que le père Wade soit revenu à la raison repose de façon centrale une évidence : lorsque dans un pays l’Etat n’est pas assez fort pour faire respecter la loi, il y a à craindre toutes sortes de bravades. On peut en trouver une illustration avec la voiture de Wade forçant le barrage policier au niveau de la place de l’Obélisque sans que cela ne porte à conséquence. Il ne s’agissait pas de s’emparer du vieil homme car là n’est pas le sujet pour la simple raison que lorsqu’une voiture fait un accident, ce n’est ni le passager ni le chef de convoi qui est interpellé mais bel et bien le chauffeur. L’Etat a certainement failli ce jour là en n’interpellant pas le chauffeur coupable de cette défiance qui aurait pu avoir de graves conséquences, en fauchant mortellement au passage les policiers en fonction.
Et parce qu’il y a cette faiblesse, on entend de plus en plus n’importe qui faire n’importe quoi et dire n’importe quoi, jusqu’à proférer les pires insanités au risque de déstabiliser le vivre ensemble.
Il souffle comme un vent de folie, comme si beaucoup ont encore du mal à se faire à l’élection du président Macky Sall. Il importe donc de revenir à de meilleurs sentiments car lorsque le désordre s’installe, balayant toutes les digues et tous les garde-fous, affichant une défiance vis-à-vis de la justice, c’est la porte ouverte à la chienlit et à la tentation militaire.
Ce qu’il est attendu de l’opposition c’est qu’elle s’oppose autour d’un programme alternatif, qu’elle s’organise et qu’elle bataille pied à pied contre les errements. En un mot qu’elle soit un contre-pouvoir mais non qu’elle nous dise qu’elle est là au service d’un homme qui ne doit pas aller en prison. Si nul ne sait ce que décidera la justice, il reste que la constitution garantit l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Et c’est la République souveraine qu’il conviendra de défendre ce 23 mars. Comme ce fut le cas un certain 23 juin de l’an 2011.