NOUS SOMMES PRÊTS A DISCUTER AVEC MACKY SALL, MAIS A CERTAINES CONDITIONS
MAMADOU DIOP DECROIX, SECRETAIRE GÉNÉRAL D’AJ/PADS
Mamadou Diop Decroix, Secrétaire général du Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads), au nom de la Coalition «Boolo taxawu askanwi », regroupant le Pds et une dizaine de partis, affirme la disponibilité de l’opposition à dialoguer avec le Président Macky Sall. Non sans exiger des préalables aux concertations autour de l’Acte III de la décentralisation. Dans l’entretien qui nous accordé, hier, le député s’est prononcé sur la Déclaration de politique générale de Mimi Touré, prévue lundi prochain, sur le bilan à mi-parcours de Macky Sall et le malaise de la majorité parlementaire à l’hémicycle. Entretien.
Le Président Macky Sall a convié l’opposition réunie au sein de la Coalition «Boolo taxawu askanwi» aux concertations autour de l’Acte III. Pourquoi vous avez boycotté la rencontre ?
La première précision à apporter est que nous ne sommes pas contre le principe d’un dialogue avec le président de la République, encore moins contre le fait de discuter avec le pouvoir sur la problématique de la décentralisation. Pas du tout ! Mais ce sont les couacs qu’il y a eus autour de l’invitation que nous avons voulu mettre en exergue. On ne peut pas non plus sous prétexte que nous sommes favorables au dialogue mettre sous le boisseau un certain nombre de principes élémentaires en matière de relation. Nous sommes un groupe de plus d’une dizaine de partis dont quatre sont représentés à l’Assemblée nationale. On envoie deux convocations au Pds et à Aj/Pads, les autres n’avaient pas reçu leurs invitations au moment où nous faisions le point. Alors qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? On ne peut pas quand même faire l’impasse sur cet impair. Deuxièmement, si on veut faire les choses de façon sérieuse non
formelle, la moindre des choses aurait été de joindre le document à l’invitation qui a été faite. Cela aurait pu permettre aux uns et aux autres de regarder ce document. Ça n’a pas été le cas. Troisième raison, pour une réunion qui est prévue le 22 octobre, vous remettez aux partis politiques leur invitation le 19 et le 20. Même pas trois jours pour se concerter, discuter avec leurs directions restreintes. Parce qu’un parti, ce n’est pas le leader seul. Ce sont des structures organisées qui ont un système de fonctionnement, qui se concertent, etc. Donc, aucune de ces conditions n’a été réunie. Ce serait trop léger de notre part d’aller à une rencontre convoquée dans ces conditions. Voilà les raisons pour lesquelles, nous n’étions pas là-bas.
Ensuite, nous estimons que le Président Macky Sall, depuis son installation, n’a pas rencontré l’opposition. Il va bientôt boucler vingt mois sans jamais rencontrer l’opposition. C’est un problème. On ne peut pas non plus se lever dans ces conditions un beau jour, pour aller discuter, alors qu’il y a des contentieux très importants
Lesquels...
Vous savez qu’il y a un certain nombre de partis comme le Pds, l’Ucs d’Abdoulaye Baldé, qui ont des militants qui sont soit emprisonnés, soit constamment menacés d’être envoyés en prison. Ça, c’est un problème. Vous avez également la difficulté qu’on a sur la question des marches. La dernière, par exemple, a été tellement encadrée….Et d’autres problèmes qui sont sur la table. Je pense qu’un dialogue avec l’opposition va au-delà de l’Acte III (…) Si l’Acte III est le seul sujet qui intéresse Macky Sall, on pourra parler de l’Acte III, mais aussi d’autres choses qui intéressent l’opposition.
Vous posez là des préalables au dialogue…
Il faut définir les termes de la discussion. C’est tout. On ne peut pas se lever et dire, moi je suis en train de faire telle chose, j’en suis à tel point, maintenant je veux juste avoir le point de vue de l’opposition. L’opposition peut dire, je suis d’accord, mais j’ai moi aussi d’autres préoccupations.
Est-ce que l’opposition est prête à répondre à la main tendue du chef de l’Etat ?
Bien entendu. Nous sommes prêts à discuter. Ça au moins je peux le dire au nom de l’ensemble des composantes de la Coalition ‘Boolo taxawu askanwi’. Nous sommes prêts à discuter avec Macky Sall. Parce que le Sénégal est un pays de démocratie majeure. Nous n’avons rien à envier aux autres. Regardez aux Etats- unis quand l’administration fédérale a cessé de fonctionner, le parti républicain et le parti démocrate ont discuté. Parce qu’ils ont le pays en commun (…) Aussi je me pose toujours la question de savoir pourquoi, depuis bientôt vingt mois, Macky Sall ne prend pas contact avec l’opposition. C’est comme si on est encore une démocratie tropicale, arriérée. Ce qui n’est pas le cas.
Par stratégie, allez-vous contraindre le Président Macky Sall à tenir les Locales à date échue ?
Nous sommes contre le report des élections. Mais, on ne va pas organiser l’insurrection parce que les élections locales ont été renvoyées à juin 2014 en attendant, peut être, de les renvoyer encore jusqu’en 2015. Mais nous exprimons notre opposition de principe. Il faut aussi que l’on comprenne ce que l’on veut. On dit qu’on enlève Wade et son régime pour qu’il y ait des ruptures dans les pratiques. Le respect du calendrier républicain fait partie des ruptures. Quand on peut dire avant ça se faisait, donc, aujourd’hui, on peut le faire, alors que vous avez été mis en place sur la base d’une exigence de rupture, dit-on, c’est un problème.
Comment jugez-vous les 18 mois de la gouvernance de Macky Sall ?
En général, quand un pouvoir s’installe, les gens font des bilans pour les 100 premiers jours. Mais nous avons préféré attendre six mois. Je crois que c’est en octobre 2012 qu’on s’est prononcé pour la première fois en montrant que les choses n’avançaient pas. On avait dit que Macky Sall était en train de patauger. Je n’ai pas le sentiment, en dépit des annonces médiatiques, qu’il y a eu en 18 mois, des ruptures majeures dans les affaires. Personnellement, je ne m’attendais pas à des révolutions. Je vous donne un scoop. Après la Déclaration de politique générale du Premier ministre Aminata Touré, nous allons organiser une rencontre avec la presse sur la problématique de la vision pour un Sénégal de demain. Et vous verrez les différences d’approches que nous avons par rapport au pouvoir. On a parlé de ‘Yoonu yokute’. Aujourd’hui, je peux dire que je connais mieux ‘Yoonu yokute’ que certains de ceux qui l’ont conçu. Pourquoi ? Parce que je suis obligé de le savoir en tant qu’un leader de l’opposition. Si je suis sérieux, je dois savoir ce qu’ils pensent, disent et où est-ce qu’ils veulent aller.
On est passé de ‘Yoonu yokute’ à la stratégie nationale de développement économique et social (Sndes). Cette stratégie nationale n’est que la réactualisation du document de politique économique et social (Dpes) qui a été validé en novembre 2011. C'est-à-dire quelques mois avant la Présidentielle de 2012. Et ce Dpes partait de 2011 à 2015. On l’a réactualisé en disant : ‘Sndes 2013-2017’. Vous retrouverez les mêmes choses pratiquement. Ce que je retiens simplement, c’est qu’on nous promet un taux de croissance de 7% en 2017 à la fin du mandat tel que annoncé par Macky Sall. Nous, nous estimons que sans un taux de croissance à deux chiffres articulé autour de ce que nous appelons une économie rurale, on n’atteindra aucun des objectifs. Je ne parle même pas d’émergence, mais d’objectifs du millénaire pour le développement (Omd). On ne les atteindra pas. Le Burkina Faso est un pays enclavé et on ne peut pas
dire qu’il a plus d’avantages que le Sénégal. En 2010, il avait un taux de croissance de 8%. Nous, on cherche 7% en 2017. J’entends des gens dire qu’un taux de croissance à deux chiffres est impossible. C’est parce qu’ils ne croient pas en eux-mêmes (il se répète). Ils n’ont pas foi aux Sénégalais. L’Ethiopie a connu à peu près deux décennies de guerre civile, mais il a cumulé pendant des années, des taux de croissance à deux chiffres. Je dis que nous pouvons atteindre des taux de croissance à deux chiffres ici au Sénégal. Nous estimons qu’il faut absolument y arriver si on veut régler les problèmes de ce pays. Et c’est possible.
Les tenants du pouvoir parlent de rupture dans tous les domaines.
Est-ce que vous la sentez à l’hémicycle…
Non ! Il n’y en a pas. Je pense que la volonté de rupture est là. Elle existe parmi les leaders politiques les plus pointus qui sont à l’Assemblée nationale, qu’ils soient de l’opposition ou du pouvoir. Mais la rupture ce sont des mécanismes qu’il faut mettre en place et qui fonctionnent par delà la volonté de l’individu.
Moustapha Niasse gère-t-il bien la présidence de l’Assemblée nationale ?
Moustapha Niasse est un grand leader politique qui a une grande expérience de l’Etat. J’imagine que gérer la présidence de l’Assemblée nationale ne doit pas être une tâche ardue pour lui. Mais, il faut aussi voir la position. Il préside une Assemblée nationale dont la majorité est constituée d’un arc-en-ciel politique. Il dirige une Assemblée dont l’Afp n’est pas majoritaire.
Le président de la République lui-même, son parti n’a pas la majorité à l’hémicycle. La présente Assemblée nationale est une figure sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal. Les opportunités et les possibilités de rupture sont là, mais j’ai l’impression que les gens ont les mains liées, pas par les textes, mais par la volonté des uns à ne pas empiéter sur les intérêts des autres. Ce sont des intérêts souvent contradictoires qui sont en présence à l’Assemblée.
Comment appréciez les mesures disciplinaires infligées aux députés Cheikh Diop Dionne et Mme Khary Mbacké ?
Je n’étais pas là au moment du vote, mais j’ai parlé tout à l’heure avec Moustapha Diakhaté. Il m’a dit que tout ça est derrière nous. Les gens se sont entendus, etc. Mais c’est l’illustration de ce que je viens de dire à l’instant (…) Cheikh Diop Dionne a le droit d’être candidat. Tout député a le droit d’être candidat. Dix sept députés ont voté pour lui. Pour moi, au lieu de taper sur Cheikh Diop Dionne, le groupe de la majorité aurait du organiser un séminaire pour discuter de la liberté et de la responsabilité des membres. C'est-à-dire comment on va exprimer la liberté du député, dans ses choix et comportements, et quelle est la responsabilité du député de la majorité qui ne doit pas déstabiliser le pouvoir qu’il soutient.
Mimi Touré fera sa Déclaration de politique générale, lundi prochain, avez-vous des attentes ?
Normalement, ça ne devrait pas changer. Le discours de Mimi ne devrait pas être différent du discours d’Abdoul Mbaye (il rigole). Si c’est différent, il y a problème, parce que Macky Sall a félicité le gouvernement d’Abdoul Mbaye. Si ce qui se faisait était bien, quelle va être la différence ? On nous a dit que le rythme va être accéléré. Donc, il n’y aura pas de différence fondamentale. Est-ce que le discours pourra sortir des objectifs de la Sndes ? Il ne sortira pas de ça. Il ne sortira pas des ambitions modestes du programme ‘Yoonu yokute’. Les Omd, certains ne seront pas atteints… J’aime bien Mimi. C’est ma camarade, ma petite sœur. Je la respecte beaucoup. Elle a de la carrure, elle a du bagou. Mais ça ne suffit pas pour régler les problèmes du pays.
Quel est votre dernier mot…
Le Sénégal ne va pas bien. C’est la moindre des remarques. Le Bon Dieu ne viendra pas régler les problèmes à notre place, parce qu’il ne l’a pas fait ailleurs. C’est à nous de nous organiser. J’ai toujours dit que moi je suis dans l’opposition ferme et résolue. Mais j’ai aussi toujours dit que si Macky Sall échoue, quelque part aussi, c’est le Sénégal qui en pâtit. Il a été élu par 65% des Sénégalais, moi, j’aurais bien aimé qu’il fasse avancer le pays. Je le répète le temps passe à grand pas, il faudrait qu’il essaye de lever tous ces obstacles qui freinent la marche du pays. Qu’il puisse les regarder courageusement en face et prendre les mesures nécessaires pour les lever un à un pour que le pays puisse reprendre son envol.