OÙ VA L'ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE ?
ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE AU SÉNÉGAL : LES CHIFFRES RÉVÉLATEURS DE LA DÉCADENCE
Les résultats des examens nationaux sont de plus en plus faibles. C’est du moins ce qu’ont révélés les rapports nationaux sur la situation de l’éducation délivrés, chaque année, par la Direction de la planification et de la réforme de l’éducation (Dpre). Des taux de réussite qui baissent d’année en année depuis plus d’une décennie, parfois avec un léger mieux, renseignent sur le chemin que va prendre l’enseignementapprentissage au Sénégal, si rien n’est fait.
Depuis quelques années, le constat est que les résultats des examens, aussi bien du Baccalauréat, du Brevet de fin d’étude moyenne (Bfem) que du Certificat de fin d’étude élémentaire (Cfee) ont régressé.
SEULEMENT 37 381 ADMIS, DES 119 518 CANDIDATS AU BAC 2014
Pour le baccalauréat, il est à noter que depuis 2011, le taux de réussite est en baisse. Les résultats tournent autour de 38%, comparés à 2010 où le taux d’admission sur le plan national était de 42,2%. Même si le taux de réussite a enregistré une augmentation de 7,8 points de pourcentage entre 2009 et 2010, il s’est dégradéde 4,1 points entre 2010 et 2011, passant ainsi de 42,2% à 38,1%. En 2012, le taux a été de 38,2% et de 38,5% en 2013.
Les résultats de la session de 2014 du Bac sont aussi catastrophiques que ceux de l’année dernière. De 38,5% en 2013, le taux de réussite pour ce sésame qui ouvre les portes de l’enseignement supérieur a reculé jusqu’à 31,3% cette année, soit une baisse de 7,2 points. Ce qui veut dire que sur les 119 518 candidats au Bac 2014, seulement 37 381 ont pu tirer leur épingle du jeu.
18,4 POINTS DE PERDUS AU BFEM
Pour ce qui est du Brevet de fin d’étude moyenne(Bfem), même si une évolution en dent de scie du taux de réussite entre 2000 et 2012 a été notée, passant ainsi de 51,3% à 59,6%, l’on constate que depuis lors c’est le branle-bas total. De 59,6% en 2012, le taux de réussite au Bfem est passé à 41,2% en 2013, d’où une chute de 18,4 points. Cette situation découle, d’après ce qui est écrit dans le rapport de 2013, de la baisse enregistrée des scores dans toutes les académies.
Globalement, peut-on lire dans le rapport comme commentaire à cette chute du taux de réussite, «ces résultats confirment ceux des différentes évaluations qui révèlent la faiblesse du rendement interne et la nécessité développer au cours de la 3e phase des stratégies pertinentes mettant l’accent sur les processus en vue d’améliorer la qualité des apprentissages».
BAISSE DE 20 POINTS AU CFEE ENTRE 2013 ET 2014
Côté enseignement élémentaire, les choses sont allées de mal en pis. Depuis 2010, le Sénégal a connu, pour ce qui est du Certificat de fin d’étude élémentaire (Cfee), des résultats satisfaisants.
Un fort taux de réussite atteignant 68,9% a été noté en 2010. Depuis lors, le taux a commencé à flancher allant de 55,3% en 2011 à 52,9% en 2012. L’année 2012 s’est caractérisée par un repli de 2,4 points par rapport à 2011. Cette baisse, ont souligné les services compétents du ministère de l’Education nationale dans le rapport de 2012, «pourrait être imputable aux perturbations enregistrées durant l’année».
Pour l’année 2013, alors qu’on s’attendait à un revirement de la situation avec l’Approche par les compétences (Apc), c’est un échec qui a été observé au sortir des résultats de l’examen du Cfee. Lequel examen s’est caractérisé par une baisse importante, environ 20 points, du taux de réussite par rapport à l’année précédente, soit 33,9%. Ce taux est le niveau le plus faible depuis 2000. «Cette contreperformance résulte du fait que cette année les évaluations ont été basées pour la première fois sur l’Apc», se justifie-t-on dans le rapport de 2013.
Par ailleurs, ce qu’il faut retenir au regard de ces chiffres alarmants qui montrent, chaque année, une baisse des résultats des examens nationaux, c’est qu’il y a lieu véritablement de s’inquiéter pour l’avenir du système éducatif Sénégal. Il y a aussi lieu de s’interroger très sérieusement, tant sur les performances de l’enseignant, que sur la qualité de l’enseignement dispensé au sein des établissements scolaires.
MAMADOU LAMINE DIANTE, SG DU SAEMSS-CUSEMS
«CES RÉSULTATS CACHENT DES DISPARITÉS ÉNORMES LIÉES À DIVERS FACTEURS»
«L’analyse révèle que les résultats aux examens de fin d’année sont globalement faibles, symptomatiques de la culture d’une ‘pédagogie de l’échec’, en lieu et place d’une ‘pédagogie de la réussite’», a déclaré le Secrétaire général du Saemss-Cusems, Mamadou Lamine Dianté. Ce dernier, qui a été interpellé sur les résultats fournis par les rapports du ministère de l’Education nationale sur les résultats des examens de fin d’année depuis 2010 qui ne cessent de régresser d’année en année, a souligné que «ces résultats cachent des disparités énormes liées à divers facteurs».
A en croire M. Dianté, ces résultats globalement catastrophiques peuvent s’expliquer de plusieurs manières. «En 2010, les résultats légèrement meilleurs que ceux des autres années sont le fruit de la stabilisation du système scolaire durant au moins 3 ans, après les accords intervenus en 2007 d’une part entre le gouvernement et le Cusems (qui regroupait le Saemss et le Snems) et d’autre part entre le gouvernement et le Cuse (qui regroupait les autres syndicats). Ces accords ont été matérialisés dans leur composante financière, mais pas dans leur composante pédagogique, statut et carrière des enseignants», a souligné M. Dianté.
Les facteurs de l’échec
Donc, d’après lui, «les baisses progressives du niveau des résultats scolaires observées depuis 2011 s’expliquent, entre autres, par la reprise des mouvements de revendication pour le respect des accords signés entre le gouvernement et les syndicats d’enseignants». Ces mouvements, selon le Secrétaire général du Saemss-Cusems, ont «atteint leur paroxysme en 2012 avec 5 mois de grève d’un syndicat du moyen-secondaire, ce qui a fait que malgré les deux sessions, les résultats n’ont pas été plus reluisants».
Mamadou Lamine Dianté soutient, en outre, que pour les piètres résultats de 2014, d’autres éléments peuvent aider à comprendre. Notamment, «les conditions d’apprentissage des élèves de plus en plus dégradantes, avec des effectifs pléthoriques et des infrastructures en ruines. Il y a aussi les conditions de travail des examinateurs qui ne leur permettent pas de corriger en toute sérénité, le calendrier des épreuves, surtout au baccalauréat, avec la programmation des matières dominantes les aprèsmidis, l’impact négatif de la grève des professeurs de Philosophie, entre autres».
«Nous avons bien une part de responsabilité et pas des moindres»
Pour ce qui concerne la part des enseignants, en tant qu’acteurs du système, le syndicaliste de reconnaître qu’ils ne peuvent pas se débiner. «Évidemment, nous ne pouvons nous débiner, nous avons bien une part de responsabilité et pas des moindres. Mais avec des circonstances atténuantes», a reconnu M. Dianté. Sur ce, il a souligné que «beaucoup d’enseignants, particulièrement dans le moyen et le secondaire, continuent d’officier sans formation pédagogique aussi bien initiale que formation continuée, malgré les revendications des syndicats pour réclamer la formation pour tous les enseignants. Beaucoup de professeurs de collège continuent d’officier dans les lycées par ‘nécessité de service’, malgré les incessantes revendications des enseignants pour des passerelles professionnelles dans le moyen-secondaire. Ceci, afin de renforcer les compétences académiques et professionnelles des concernés, pour le grand bénéfice des élèves».
Mais toute la responsabilité du gouvernement est engagée dans les perturbations notées dans le système éducatif, en raison des mauvaises politiques de gestion des autorités et leur nonrespect de la parole donnée».
EVOLUTION DECROISSANTE DES RESULTATS DES DIFFERENTS EXAMENS NATIONAUX
OMAR WALY ZOUMAROU INDEXE LE SYSTEME EDUCATIF
Le problème fondamental de l’école sénégalaise réside en notre système éducatif. C’est du moins la première analyse qu’Omar Waly Zoumarou, coordonnateur du Cadre unitaire des syndicats d’enseignant (Cuse), fait sur l’évolution décroissante des résultats de nos différents examens. M. Zoumarou, qui s’inquiète de cette évolution décroissante, de déclarer : «On ne peut pas, au niveau de l’élémentaire, noter une baisse de niveau, le même constat est fait au niveau du moyen et également au niveau du secondaire. Donc, il faudrait vraiment se poser la question de savoir si, effectivement, notre système actuel répond vraiment aux exigences ou bien aux normes pour pouvoir nous donner de bons résultats».
Prenant l’exemple de l’élémentaire, il indique : «On se rend compte que dans certaines zones, nous avons des effectifs pléthoriques avec un personnel enseignant qui, le plus souvent, n’est pas très bien formé et également un environnement scolaire qui ne répond pas aux normes standards pour pouvoir accueillir des enfants et leur dispenser de très bon enseignement-apprentissage ». Ce qui lui fait dire, devant un taux élevé d’abris provisoires, qu’«à ce niveau, il est pratiquement utopique d’espérer dans ces conditions pouvoir avoir de bons résultats».
«Qu’on arrête le tâtonnement»
L’autre aspect que le syndicaliste n’a pas omis de signaler, ce sont les réformes, en l’occurrence l’approche par les compétences, l’incursion du curriculum de l’éducation de base. Omar Waly Zoumarou de penser qu’il est presque illusoire de pouvoir, avec cette réforme, avoir de bons résultats dans ces conditions d’enseignement- apprentissage qui ne sont pas en adéquation avec notre environnement. «Ils n’ont pas pris le temps de les étudier, de les expérimenter avant de pouvoir procéder à la mise en oeuvre totalement dans notre système éducatif », regrette le coordonnateur du Cuse. «Donc, dit Zoumarou, c’est toujours le tâtonnement dans le système éducatif sénégalais». Il faudrait, à son avis, «qu’on arrête le tâtonnement, qu’on puisse se retrouver pour définir de nouvelles orientations pour notre système éducatif». Ainsi, convaincu que sans cela, il n'y aura pas de changement, il atteste : «On aura beau investir des milliards, on aura beau jeter l’opprobre sur les enseignants, on aura beau se renvoyer la balle, je vous assure que vraiment ce n’est pas pour demain qu’on va trouver des solutions à notre système éducatif. Si on n’accepte pas de faire une introspection pour situer les responsabilités. Je vous assure, à ce rythme là, nous arriverons à un niveau où nos produits ne pourront plus, au niveau international même, se faire accepter par les institutions». Le syndicaliste rassure, néanmoins, que pour l’instant, le Sénégal n’est pas encore à ce niveau. Mais si on n’y prend pas garde, le Sénégal va tomber dans ça et ce serait regrettable pour tout le monde, prévient-il.
TAUX D’ÉCHEC ÉLEVÉ AU CFEE
ABDOU FATY DU SELS/A LISTE LES FAILLES À COMBLER
Le Syndicat national des enseignants libres du Sénégal/Authentique (Sels/A) est convaincu que l'échec massif au Certificat de fin d’étude élémentaire (Cfee), avec un taux de 68% en 2012, s'explique «par une réforme mal maîtrisée et généralisée prématurément». En effet, fait savoir le Secrétaire général du Sels/A, Abdou Faty, «le curriculum de base avec l'approche par les compétences a été utilisé pour évaluer les élèves sans que les inspecteurs et les enseignants ne le maîtrisent». De plus, fait-il remarquer, «il faut également noter jusqu'a présent, les intrants de base que sont les cahiers d'exercices, cahiers d'intégrations etc. ne sont pas disponibles dans la majeur partie des écoles. Donc on ne peut que s'attendre qu'à des échecs massifs». A en croire le syndicaliste, «la résolution de l'échec au Cfee passe par une bonne capacitation des inspecteurs et des enseignants, la disponibilité des intrants pédagogiques, un bon dispositif de suivi évaluation de la réforme et un environnement adéquat».
Au moyen secondaire, les échecs, d’après M. Faty, découlent d’un environnement scolaire inadapté. «Cem et lycées souvent en abris provisoires, manque de matériels didactiques, manque de professeurs ou professeurs mal formés, choix de sujets d'évaluation inadaptés, professeurs mis dans de mauvaises conditions de correction et grèves récurrentes des enseignants », liste-t-il comme manque à combler. C’est en effet tous «ces maux à soigner» qui lui font dire que «l’école sénégalaise est malade de sa gestion, de ses orientations, de ses infrastructures et de son personnel».
BAISSE DE LA PERFORMANCE DES APPRENANTS
LES PARENTS D’ÉLÈVES ACCUSENT LES ENSEIGNANTS
Les parents d’élèves sont inquiets. Plus qu’inquiets même de l’évolution décroissante des résultats des examens. Interpellé sur cette situation, le secrétaire à la Communication et à la formation de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves et étudiants du Sénégal, Djim Momar Cissé, de trouver que la situation est alarmante.
«Cette situation nous inquiète plus haut point. Nous parents, nous sommes inquiets, abasourdis parce que nous comptons sur les enfants pour l’avenir non seulement de la famille, mais aussi de la nation», a déclaré le secrétaire à la Communication et à la formation de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves et étudiants du Sénégal, Djim Momar Cissé, qui a soutenu, d’emblée, que «les résultats catastrophiques des examens - tant au niveau du Cfee, du Bfem, que du Bac – ne peuvent pas surprendre un observateur averti de l’éducation».
Sur ce, il a attesté que depuis prêt d’une décennie, ce sont des grèves récurrentes quoi ont pris fin avec la signature du protocole d’accord entre les syndicats d’enseignants et le gouvernement. M. Cissé estime qu’il y a nécessairement des problèmes de suivi de ces accords qui tardent à se faire. «Maintenant, a renseigné le parent d’élève, il s’ajoute à ces grèves récurrentes le manque de qualification. Parce que la formation se fait à la va-vite de sorte qu’on n’a pas eu le temps de faire une formation qualifiante de qualité, les effectifs pléthoriques et également les nombreuses fêtes et les nombreuses perturbations qui secouent l’espace scolaire. Tout cela conjugué à un environnement scolaire pas de qualité ne peut pas aboutir à des résultats satisfaisants. Pour dire que non seulement la qualité des enseignements apprentissages baisse, mais le niveau de performance des élèves également».
Par rapport à la part de responsabilité des parents dans la décadence dans le niveau d’étude des élèves, M. Cissé a soutenu qu’elle n’est rien comparée à celle des enseignants. «C’est l’enseignant qui est le responsable de la formation-apprentissage des enfants. Les parents, d’accord ils ont une part de responsabilité, mais c’est minime par rapport à ce que l’enseignant devrait faire», dit-il en soulignant que «les parents, du début à la fin, dépense énormément pour leurs enfants. Les parents payent des cours spéciaux pour leurs enfants, les parents prennent même un répétiteur à la maison, les parents font des sacrifices incommensurables». Il a tenu quand même a indiqué que le niveau d’étude de certains parents ne leur permet pas de suivre les performances de l’enfant à la maison.
Par ailleurs, au niveau de la Fédération des associations des parents d’élèves et étudiants du Sénégal, des actions sont en train d’être menées en vue d’apporter des solutions à ce problème. «Nous allons sensibiliser les parents, les capacité. Parce que nous voulons un parent d’élèves de type nouveau, un parent responsable et c’est ce que nous cherchons à produire».
LES INSPECTEURS DE L’ÉDUCATION INDEXENT LE MANQUE DE MOYENS
Les évolutions en dents de scie et les baisses notoires décelées par l’analyse fournie par les rapports du ministère de l’Education posent «des problèmes inhérents aux processus et procédures d’évaluation certificative et à la gestion de la qualité à travers les rendements internes». C’est du moins ce qui est ressorti de l’analyse faite par le secrétaire général du Syndicat des inspectrices et inspecteurs de l'éducation nationale du Sénégal (Siens), Samba Diakhaté. D’après ce dernier, les inspecteurs de l’éducation ont comme entre autres missions celle de contrôle et d’encadrement des écoles et établissements. Ce qui lui fait dire qu’ «on ne peut poser la question de leur responsabilité dans la faiblesse des résultats aux évaluations certificatives non sans questionner le dispositif mis en place et les moyens mis à leur disposition pour un contrôle et un encadrement de qualité, aptes à influer sur les résultats scolaires».
A ce propos, M. Diakhaté fait remarquer : «Il faut noter l’absence d’un dispositif opérationnel et efficace d’encadrement et de contrôle. Ce qui constitue un frein à la qualité avec un processus de déconcentration inopérant, des formations diplômantes qui ont causé l'accumulation de candidats et ayant amené les inspecteurs, à la demande du ministère, à privilégier les examens de certification au détriment de l'encadrement pédagogique, une logistique limitée et des conditions de travail, de rémunération et de motivation dégradantes».
Toutefois, indique M. Samba Diakhaté, un ensemble de facteurs pourraient bien expliquer ces contre-performances constatées ces dernières années. Il s’agit, liste-t-il, des épreuves du Cfee 2013 qui n’ont pas pris en compte le niveau d’implantation de la réforme «curriculaire». En ce sens, il indique : «élèves peu habitués à l’intégration, absence de manuels accompagnant le Curriculum, défaut d’harmonisation des mécanismes de correction surtout en ce qui concerne l’évaluation des compétences». Outre, la réforme «curricualire», il y a que, souligne M. Diakhaté, «le passage en masse au CM2 avec des niveaux d’exigence à l’entrée en sixième qui sont en-deçà de ceux du Cfee, les classes pléthoriques dans le moyen, l’inefficacité de la mesure phare que devait être le projet ‘zéro redoublement’, le manque de prise en charge efficace des préoccupations des enseignants ces dernières années engendrant des grèves répétitives, l’inexistence d’un dispositif opérationnel d’encadrement et de contrôle». En sus de cela s’ajoutent à ces facteurs, renchérit l’inspecteur de l’éducation, «le niveau de qualification peu satisfaisant et le manque d’expérience d’une très bonne partie des professeurs surtout dans les zones reculées, l’absence de dispositifs centrés sur la qualité et sur l’obligation de résultats au niveau du public, le manque d’encadrement et de contrôle» qui sont «des freins à une amélioration des résultats du Baccalauréat».
PR SOULEYMANE GOMIS, SOCIOLOGUE, SPECIALISTE EN ÉDUCATION
«L’ÉVOLUTION DÉCROISSANTE DES RÉSULTATS S’EXPLIQUE PAR UNE KYRIELLE DE FACTEURS STRUCTURELS ET CONJONCTURELS»
Enseignant-chercheur au Département de Sociologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), le Pr Souleymane Gomis, à la lecture de ces chiffres mentionnés et qui semblent traduire une évolution décroissante des résultats des examens, considère que la communauté éducative sénégalaise toute entière doit se soumettre à une introspection profonde et surtout à un examen exhaustif de l’ensemble du système éducatif. «Il s’agit, d’après le maître de conférences, non seulement d’identifier les principaux facteurs de la baisse des résultats mais aussi d’imaginer des stratégies de prévention et de renforcement de la réussite». «L’évolution décroissante des résultats des examens s’explique sans doute par une kyrielle de facteurs structurels et conjoncturels, dont la bonne maîtrise permettrait de rehausser la qualité de l’enseignement à tous les niveaux et par ricochet celle des résultats des examens et concours», a indiqué le sociologue.
L’expert en éducation de souligner que «l’augmentation rapide du taux de scolarisation, l’insuffisance criarde des ressources humaines de qualité, l’incertitude ou la fragilité des différentes politiques d’éducation et la question des infrastructures scolaires et universitaires constituent, aujourd’hui, une véritable préoccupation des acteurs du système éducatif».
C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que le Pr Gomis demeure persuader qu’une analyse systémique de l’éducation s’impose à tous pour une meilleure compréhension des difficultés supposées être à l’origine des résultats peu satisfaisants des examens.
«L’école sénégalaise souffre de l’inadéquation de ses curricula et surtout…»
Par ailleurs, il n’a pas manqué de faire un diagnostic des maux de l’école sénégalaise. D’après le Maître de conférences, «les maux dont souffre aujourd’hui l’école sénégalaise sont loin d’être conjoncturels, mais plutôt structurels». «Ils se manifestent sous plusieurs formes, allant de la nature des infrastructures, à la qualité des ressources humaines, en passant par les curricula et les politiques éducatives. La récurrence des grèves ou des mouvements d’humeur des différents acteurs, élèves, enseignants et personnel administratif, technique et de service, traduit clairement le malaise qui habite en permanence l’institution éducative. Les conditions dégradantes de travail sont souvent convoquées comme principal facteur de grève ou de manifestation d’humeur chez les enseignants », a listé le sociologue avant d’ajouter à sa liste «la question pécuniaire et surtout celle du non-respect des engagements par les autorités politiques».
Chez les élèves, a souligné le Pr Gomis, «ce sont les questions d’intrants scolaires et de bourses ou d’aides qui sont les principales raisons des grèves». Sur ce, il a indiqué que, «le niveau de formation des formateurs demeure également problématique avec l’apparition de plus en plus de l’enseignement au rabais dans les écoles élémentaires et préscolaires». En somme, il a conclu par dire que «l’école sénégalaise souffre de l’inadéquation de ses curricula et surtout de sa vision avec le projet de société qui se dessine dans notre pays». Ce qui lui fait dire, en bon visionnaire, qu’«il est souhaitable aujourd’hui que les familles sénégalaises s’approprient très vite l’institution scolaire en vue d’une meilleure expansion de celle-ci.
LA COSYDEP PARLE DE «PREUVES DE LA DÉLIQUESCENCE INDISCUTABLE QUE VIT NOTRE ÉCOLE»
La poursuite d’un cycle durant lequel les examens nationaux se sont singularisés par des taux de réussite extrêmement faibles inquiète la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l'éducation publique (Cosydep) qui parle de probables préludes aux désillusions habituelles dans le supérieur. Ce sont là, à en croire Cheikh Mbow, président de la Cosydep, les «preuves de la déliquescence indiscutable que vit notre école».
D’après le coordonnateur de la Cosydep, les maux qui frappent l’école, il faut les chercher dans l’orientation de notre système éducatif, avec des contenus de programmes et des pratiques pédagogiques encore inadaptés aux exigences de performance, le démarrage toujours tardif de chaque année scolaire, les conditions de travail et d'études hors normes, les programmes inachevés, des aptitudes non installées, entre autres. Ainsi, convaincu que «laisser encore notre école dans cet état, avec ces résultats- là, c'est condamner durablement notre pays au sous développement», Cheikh Mbow estime que «l’éducation et la formation des enfants, qui doivent grandir, acquérir des compétences et gagner leur autonomie, ne peuvent s’accommoder de logique attentiste coupable».
Dès lors, il trouve qu’il devient plus qu’urgent de s’orienter vers «la prise en charge des problèmes concrets, sérieux et connus qui entraînent ces échecs massifs de nos enfants, lesquels sont de plus en plus tentés de se détourner de l’école, démotivés et dépités face à un système qui ne leur offre presqu’aucune alternative ».
En sus de cela, indique Cheikh Mbow, il faut une «analyse critique et une évaluation approfondie des résultats scolaires de cette année, en vue d’identifier les relations de causalité et de proposer des mesures correctives». Et que, dit-il, «les Assises nationales de l'éducation et de la formation, qui recommandent aussi des initiatives immédiatement opérationnelles, consolident des mesures urgentes, rétablissent la confiance entre l’école, les enfants et leurs familles». Le renforcement du pouvoir local dans le management et la gouvernance du système, avec une plus grande responsabilisation des communautés, des autorités décentralisées et déconcentrées, demeure aussi, selon lui, un des points essentiels sur lequel doivent s’orienter les autorités étatiques pour une école digne de ce nom.