OBJECTION, GRAND MOMAR !
Il ne s’agit pas de prendre le contrepied de l’éditorialiste de www.SenePlus.Com. Seulement il va falloir rectifier certains de ses propos tendancieux qui nous semblent relever de la pure subjectivité
Après l’article «la consigne ou la conscience» déblatéré contre le juge Henri Grégoire Diop, président de la Cour de répression et de l’enrichissement illicite (CREI), paru le 24 décembre dernier, jour de la Nativité, dans www.SenePlus.Com, voilà qu’un texte de la même teneur en vitriol, dans le même style scripturaire, dans la même trajectoire intellectuelle et du même auteur atrabilaire resurgit dans votre site préféré 51 jours plus tard. Le papier a fait le buzz sur la toile. L’article intitulé «Juges ou justiciers» (le singulier aurait été plus conséquent puisqu’une seule personne est spécifiquement visée par le texte, la collégialité du siège étant exclue) sonne comme une véritable philippique contre Henri Grégoire Diop dont le seul tort est d’être président de la juridiction chargée de juger l’omnipotent ministre Karim Wade et ses supposés complices.
L’auteur de cet article, Momar Seyni Ndiaye (que nous appelons affectueusement «Grand Momar») dont je ne m’étendrai pas ici sur nos sincères relations professionnelles et amicales semble prendre, sans circonlocution, parti pour le fils de président Abdoulaye Wade, qui parait être victime d’un système judiciaire assujetti à un Exécutif dont le seul dessein est de l’envoyer à la potence.
«La consigne ou la conscience» constitue la plaidoirie où Grand Momar se substitue aux conseils de Karim pour demander la liberté provisoire en faveur de Karim Wade et de Mamadou Pouye (Ah où sont Aïda Ndiongue et Abdoul Aziz Diop ?) ; et «Juges ou justiciers», la sentence où l’éditorialiste de www.SenePlus.Com condamne, sans précaution, par la main partiale du juge Henri Grégoire, le «damné» Karim.
Il ne s’agit nullement à travers ces lignes de prendre le contrepied de la mercuriale de Grand Momar, ni d’exonérer le juge Henri Grégoire de ses dérapages verbaux et attitudinaux durant le procès. Seulement il va falloir rectifier certains de ses propos tendancieux qui nous semblent relever de la pure subjectivité de quelqu’un qui endosse une robe noire plutôt que de manier une plume équidistante dans une affaire où les partis-pris univoques (pour la défense comme pour l’accusation) des reporters, commentateurs et éditorialistes se trahissent quotidiennement au rythme des comptes rendus ou des analyses sur le procès de Karim et compagnie.
Nous avions, au seuil du procès, dénoncé principiellement qu’une telle juridiction d’exception, dépoussiérée de ses moisissures trentenaires par le président du Conseil supérieur de la magistrature pour juger l’ancien président du Conseil de surveillance de l’Anoci et ancien ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures, ne garantit pas un procès équitable.
Nous avons soutenu que dans sa constitution actuelle, la CREI n’offre pas à un prévenu les moyens de se défendre. Elle amenuise la présomption d’innocence et promeut la présomption de culpabilité. Alors que le droit à un procès équitable permet également à la personne poursuivie de discuter et de combattre par tous les moyens légaux les accusations portées contre elle. Nous avions aussi argué qu’elle n’est pas compétente à juger les anciens ministres de la République.
Il est vrai que de 2000 à 2009, Karim n’a pas exercé des fonctions ministérielles, mais a occupé des fonctions comme conseiller du président de la République, président du Conseil de surveillance de l’Anoci. Il a eu pendant les trois années successives à faire partie du gouvernement. Ce sont ces deux périodes d’occupation de fonctions différentes pendant ces douze ans qui constituent la complexité de la juridiction compétente à juger Karim Wade. Mais il est avéré que s’il y a conflit de juridictions (entre la Crei et la Haute Cour de justice), le prévenu est passible de la juridiction qui lui offre plus de garanties pour assurer sa défense. Par conséquent pour le cas d’espèce, Karim doit être traduit devant la Haute Cour de justice.
Mais malgré ces iniquités dénoncées, malgré les nombreuses exceptions de nullité soulevées, il n’empêche qu’il y a matière à juger dans cette affaire d’enrichissement illicite. C’est pourquoi, il faut éviter de s’adonner à des jugements hâtifs en qualifiant subjectivement le président de la CREI de bras armé de l’Exécutif et dont l’ignoble mission consiste à prononcer, après une parodie de procès, une sentence conçue dans les officines du Palais.
Quand Grand Momar dit qu’Henri Grégoire a lancé, sur un ton impératif, voire impérieuse, au prévenu Karim Wade : «à l’issue de ce procès vous ne rentrerez pas chez vous», il y a lieu de rapporter les véritables propos du juge ce 3 septembre 2014 et de les replacer dans leur contexte. Dans un échange avec Karim Wade qui disait «finissons-en une bonne fois, je veux rentrer», le président de la CREI a répondu (avec humour et nous insistons) : «Vous pensez pouvoir rentrer chez vous à l’issue du procès ?» Et Karim de reprendre avec dans le même humour «oui puisque, chez moi, c’est Rebeuss».
Dès lors, il serait tendancieux, voire manipulatoire, qu’on sorte cet échange anodin de son contexte.
Le jour suivant, dans le même registre, Mamadou Pouye, badin, interrogé sur la société AHS, a déclaré sur un air taquin au juge : «Je ne répondrai ainsi à cette question que lorsque Bibo Bourgi sera guéri et en pleine possession de ses facultés physiques et intellectuelles pour comparaître devant la Crei ou si je réponds à cette question, ce sera une consultation, ce ne sera pas gratuit. Vous me donnerez la liberté provisoire en retour.»
Et in fine, le co-prévenu de Karim a sollicité sur un ton désopilant, puisqu’il «avait tout dit», s’il pouvait rentrer auprès de sa famille. Et Henry Grégoire hilarant de répondre : «Oui, vous pouvez rentrer chez vous».
Maintenant vouloir sortir de leur contexte ces saillies oratoires qui détendaient l’atmosphère belliciste du tribunal, où les avocats de défense et partie civile, magistrats de la Cour et le parquet se crêpent le chignon, et en faire une diatribe contre le juge Henri Grégoire, renforce le sentiment selon lequel le président de la CREI a déjà prononcé la mise à mort de Karim.
Lorsque Grand Momar déclare dans son propos liminaire sans aucune précaution vérificative que «toutes les exceptions de nullité ont été balayées d’un revers de main, avec une incroyable surdité », il y a lieu de préciser que l’exception de nullité sur la validité de la constitution des avocats de la défense tels qu’El Hadji Amadou Sall, Souleymane Ndéné Ndiaye, Madické Niang et Alioune Badara Cissé a été soulevée in limine litis et qu’après une bataille épique de procédure, le président de la Cour Henri Grégoire Diop a débouté les avocats de la partie civile sur leur requête de non-constitution des avocats de Karim Wade cités supra.
Horresco referens ! Quand j’ai lu ce passage de la mercuriale de Grand Momar, j’ai cru comprendre que les plaidoiries, les réquisitoires ont pris fin et que la sentence du juge Ndiaye est déjà tombée : «Incontestablement, la condamnation de Karim Wade laissera des traces indélébiles dans l’histoire de notre pays comme une flagrante injustice, comme un effroyable déni de droit. Parce que tout simplement le tribunal qui l’a déjà condamné, n’est pas qu’une juridiction d’exception et de circonstance réactivée aux fins d’appliquer des consignes préétablies. Son cachet politique est d’évidence et à la place des juges nantis de leur conscience, on ne verrait que des justiciers dénantis de leur objectivité et de leur sens de l’équité.»
Les avocats de Karim Wade doivent nager de bonheur après avoir voyagé dans cet article où le juge Henri Grégoire est peint littéralement sous les traits démoniaques du cardinal Thomas Torquemada, grand inquisiteur, persécuteur d’Espagne.
Manœuvres dilatoires et obstacles dirimants
Il faut se dire que dans le début des audiences, indépendamment du caractère inique et de la CREI, les conseils du fils de l’ancien Président, qui auraient été rémunérés à hauteur de plusieurs dizaines de millions chacun, ont utilisé des artifices et des arguties juridiques et employé toutes sortes de roueries finassières pour plonger ce procès dans un pis-aller. Pendant un mois, ils ont soulevé des exceptions de nullité sur fond de manœuvres dilatoires et d’obstacles dirimants. Le collectif des avocats de Karim Wade a flétri sans aménités le Conseil constitutionnel du Sénégal suite à l’arrêt du 3 mars 2014 sur la constitutionnalité de la CREI. Pourtant c’est ce même Conseil constitutionnel qui a validé la candidature d’Abdoulaye Wade à la dernière présidentielle.
Pourtant au tout début, ils manifestaient béatement le bonheur de voir le procès tant attendu se tenir afin de faire exploser la vérité. Malheureusement en expulsant maladroitement de la salle d’audience l’avocat El Hadj Amadou Sall dont la farandole agace la Cour, exaspère le parquet, agite la partie civile et divertit le public, le juge Henri Grégoire a offert, par son manque de self-control, aux conseils de Karim l’occasion de boycotter à tort ou à raison le procès.
Et indépendamment de la brutalité physique dont il a été inhumainement victime, le prévenu Karim a très tôt imprimé une direction au procès en s’arc-boutant à son dada : «Je ne répondrai pas à vos questions tant que M. Ibrahim Aboukhalil Bourgi n'est pas guéri et en mesure de comparaitre.»
Cette stratégie du silence de Karim, qui traduit une posture de repli délibérée, s’est poursuivie même avec le retour de Bibo de la France sauf que l’aphasique prévenu est très enclin à parler du compte de Singapour crédité chichement de 47 pauvres milliards de francs CFA par le pseudo expert-comptable Pape Alboury Ndao.
Même si le juge Diop est jugé partial, Karim Wade aurait pu briser le silence et démonter toutes les fausses accusations, comme Mbaye Ndiaye, Samba Aliou Diassé, Bibo Bourgi, malades et impotents, ont eu à le faire douloureusement et courageusement tout au long du procès.
Aujourd’hui la ligne de défense des avocats de Karim Wade, c’est de distiller à juste raison dans l’opinion une condamnation prédictive de leur client avant la fin de ce que les partisans qualifient de procès vaudevillesque, atrophiant, voire discréditant, à terme toute décision ultime que prononcerait la CREI.
Une telle entreprise peut être exécutée, à juste raison, par les conseils ou proches du fils de Wade mais quand elle porte la signature de Grand Momar (toujours loin des révérences et connivences politiques et à équidistance des chapelles idéologiques), au point que la cellule de communication du Pds en fait matière de bréviaire sur la toile, il y a de quoi s’inquiéter.