Offensive sur le foncier des artistes
VILLAGE DES ARTS DE DAKAR
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Erigée sur quatre hectares au début des années 90, la superficie du village des Arts de Dakar se réduit comme peau de chagrin, du fait de la boulimie des promoteurs privés. Les artistes qui sont installés sur les lieux se rongent les ongles et s’interrogent : leur site pourra-t-il résister à la boulimie foncière ?
Une fixation quasi pathologique de promoteurs privés autour de la superficie abritant le village des Arts de Dakar. Ce centre de formation et de création qui s’étendait sur quatre hectares, s’est considérablement rétréci, à cause d’une offensive sur son foncier. Et ce n’est pas fini. Des hectares sont amputés de la réserve de terres du site des artistes. Réaménagé et inauguré le 23 avril 1998 par Habib Thiam, le Premier ministre d’alors et le ministre de la Culture, Abdoulaye Elimane Kane, le village des arts est composé depuis lors de cinquante (50) ateliers.
Toutes les disciplines des arts visuels y figurent (peinture, sculpture, céramique, photographie, vidéo, installation, etc.), en plus d’une cafétéria et d’une galerie d’exposition qui porte le nom de l’ancien Président Léopold Sédar Senghor. « Avant d’accueillir les artistes, il servait de logement à l’équipe d’ouvriers chinois au moment où ceux-ci construisaient le stade Léopold Sédar Senghor, à quelques mètres de là. Ce site a été affecté au Ministère de la Culture après le départ des Chinois », révèle Babacar Diaw, coordonnateur, représentant le Ministère de la Culture au sein du village des arts. C’est ainsi qu’il a été mis à la disposition de la communauté artistique depuis 1998, suite à la demande des concernés. Ces derniers ont trouvé un lieu entièrement clôturé.
Litige foncier soulevé entre 2005 et 2006
En face du village des arts, est érigé, à gauche, un grand immeuble en construction pour un centre commercial privé qui occupe un grand espace. Cette importante surface se trouvait dans l’enceinte depuis le moment où les Chinois y résidaient. Elle a été prélevée de la superficie du village entre 2005 et 2006. Une partie de cette terre a été octroyée à un privé, Sénégalais d’origine libanaise. Il s’est emparé de cette grande portion qui faisait partie du foncier du village. « Un jour, un groupe de personnes s’est introduit dans l’enceinte du village des arts, au moment où les artistes étaient dans leurs ateliers. Sans nous avertir, ils commencèrent aussitôt à métrer. Lorsque certains artistes les ont aperçus, ils m’ont mis au courant et je me suis dirigé vers eux. Ils m’ont fait savoir qu’ils étaient envoyés par le Cadastre. Puisqu’ils étaient dans l’impossibilité de montrer quoi que ce soit pouvant justifier que cette partie appartient à autrui, je les ai exclus de l’enceinte », explique Mamadou Wade, à l’époque secrétaire général du Comité des résidents du village.
Le lendemain, poursuit-il, ils sont revenus avec le directeur du Cadastre, sans présenter un titre foncier. « Ce dernier m’a seulement montré le plan de l’immeuble prévu sur l’espace dont il est question et m’a dit que la décision a été prise en Conseil des ministres, en présence de notre ministre de tutelle de l’époque », ajoute l’ancien secrétaire général M. Wade. Ce privé avait demandé lui aussi un titre foncier au secrétaire général. « Pour le titre foncier du village, ils doivent s’adresser au responsable, qui est le Ministère de la Culture. C’est un domaine de l’Etat qu’on nous a confié. C’est pourquoi on ne peut pas détenir un titre foncier », fait savoir Wade.
En prenant cet espace, le directeur du Cadastre aurait fait croire aux artistes que leur site serait augmenté, en les compensant par une partie située sur le côté droit, se trouvant au sein du lycée, séparé du village par un mur mitoyen. Mais jusqu’à aujourd’hui, cet espace qui leur a été promis n’est pas encore viabilisé. « Nous n’avons même pas la certitude que cet espace nous sera octroyé pour équilibrer ce qui nous avait été pris par le Cadastre. Il y a des rumeurs qui laissent supposer qu’il appartient au lycée qui est construit jusqu’au mur du village ou à d’autres personnes », dit-il.
Et d’ajouter : « J’ai rencontré le censeur, qui n’est pas responsable de la construction du nouveau lycée, pour lui en parler. Il m’a dit qu’ils ont prévu pour cette partie inoccupée d’y construire de nouvelles salles de classes. Mais, il nous a dit qu’il n’y aura aucun problème si elle nous est attribuée par les autorités ».
Coopérative d’habitat de la Sonatel en 2012
Depuis le mois de janvier 2012, un nouveau litige foncier s’est déclaré sur une portion du site, faisant pourtant partie de l’espace clôturé par les Chinois. Une coopérative d’habitat de la Sonatel réclame la propriété du terrain, pour l’avoir acheté à un homme d’affaires. Elle avait ordonné aux artistes qui s’y étaient implantés de casser leurs ateliers pour déménager. Il y eut un tiraillement entre les parties, car ces derniers avaient refusé de déserter la partie. La gendarmerie de la Foire avait fait une descente au village. C’est ainsi que « trois individus » ont été arrêtées et mis en garde en vue à la gendarmerie de la Foire, pour « occupation illégale de terrain ». Les mis en cause, Issa Diop, Moussa Sakho et El Hadj Mamadou Diop, bénéficiaient du soutien de leurs collègues artistes du village, qui contestent « le droit de propriété de la coopérative de la Sonatel » sur cet espace.
Selon l’actuel secrétaire général du Comité des résidents du village, Guibril André Diop, la personne du nom de Mbar Diop qui s’occupe des habitats de la coopérative, ne lui a présenté aucun titre foncier. « Il a dit que cet espace appartient à une coopérative d’habitat de la Sonatel. Ils prétendent l’avoir acheté à un homme d’affaires du nom de Hady Niang. Il n’a montré aucun papier officiel, seulement un plan de construction. Pire, au lieu de respecter ce qu’ils ont montré sur ce plan, ils ont grignoté une partie, en terrassant d’autres ateliers. Ce qui est étonnant c’est que ce lopin de terre se trouvait au sein de la clôture », déclare M. Diop, qui dit avoir interpelé sur cette question le ministre de la Culture d’alors et le directeur des arts.
Doléances
Les artistes plasticiens résidant au village avaient soumis leurs doléances au ministre de la Culture et du Tourisme, Youssou Ndour, devenu ministre du Tourisme et des Loisirs, alors qu’il sacrifiait à une visite de contact sur le site du village. Il a rencontré les artistes et fait un tour dans les ateliers, parmi la cinquantaine qui existent sur le site.
Estimant qu’il est membre de la grande famille des artistes, ils lui ont exposé ce litige foncier. « Dans ses échanges avec les résidents, le ministre Youssou Ndour nous a recommandé de nous calmer et a soutenu qu’il va s’y opposer avec fermeté, pour qu’aucun espace ne soit retiré de ce site de quatre hectares affecté à la culture », dit le sculpteur André Diop. Le ministre Abdoul Aziz Mbaye, qui a hérité de ce département après ce dernier remaniement, s’est aussi rendu sur le village, juste après sa nomination à la tête de la Culture, afin de s’enquérir de la situation. « Nous avons visité avec le nouveau ministre les parties qui ont été prises du village. Il a dit qu’il va s’engager pour qu’elles nous soient restituées », ajoute l’actuel Sg du comité des résidents.
Cette affaire est toujours pendante devant l’autorité de la Direction de la surveillance et de l’occupation des sols (Dsos), une brigade de gendarmerie qui dépend du Ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat. « Le centre commercial et la coopérative d’habitat de la Sonatel ont ôté un espace très important pour les artistes. Ce qui est un handicap pour les résidents. Tous ceux qui sont là sont de grosses pointures. Le Ministère de la Culture et le Premier ministre Abdoul Mbaye, sont au courant de ce conflit et ont promis de se battre pour que le village reste comme avant », indique M. Diaw, le coordonnateur.
Mais, les artistes sont désespérés de voir cette grande partie de leur superficie s’envoler au profit de la coopérative et du centre commercial privé. D’après le sculpteur, Guibril André Diop, il incombe au Ministère de la Culture d’aider d’urgence les artistes sur cette question, car le lieu est devenu étroit et cela a un impact négatif sur le fonctionnement du village, du fait qu’il y avait des choses qui étaient prévues sur ces deux lieux amputés.
« Comme on a perdu les deux parties, on demande à notre ministre de nous aider à viabiliser ce qui nous est compensé au sein du lycée. C’est une nécessité car avons un problème d’espace. Un village des arts doit être vaste. Nous nous sommes entassés ici. Il y a un nombre important d’artistes établis sous d’autres cieux, qui veulent intégrer le village. Notre ambition est de nous retrouver en famille », dit l’ancien Sg, M. Wade. Le village des arts a la vocation d’être un espace de création, de production, de diffusion, de recherche, d’animation, de promotion et d’échange. Il est ouvert à tous les hommes de culture du Sénégal, pour assurer la promotion des artistes et celles de leurs œuvres. Il est géré conjointement par le Ministère de la Culture et par le Comité des artistes résidents.
Cette alliance a pour ambition de promouvoir la Culture et l’Art, aussi de développer, entres artistes, un esprit de fraternité et de communion autour d’un programme culturel et artistique. Cela, dans le but de regrouper la grande famille des artistes, dans un cadre de réflexion et de concertation sur la problématique de l’Art. Dans le cadre de la promotion de la jeunesse, le village des arts reçoit et encadre de jeunes artistes autodidactes ou diplômés de l’Ecole nationale des arts, pour leur permettre de se perfectionner et d’être mieux outillés sur le marché de l’Art.