OMAR BLONDIN DIOP : 18 SEPTEMBRE 1946 - 11 MAI 1973
OPPOSANT À LA POLITIQUE "PRO-OCCIDENTALE" ET "ANTI-POPULAIRE"" DE SENGHOR
Dakar, 10 mai (APS) – Il y a 40 ans, le 11 mai 1973, survenait, à Gorée, la mort en détention d’Omar Blondin Diop, jeune opposant à la politique "pro-occidentale’’ et "antipopulaire’’ du pouvoir de Léopold Sédar Senghor, et porteur d’un idéal révolutionnaire, d’idées d’égalité entre tous. Il avait 26 ans.
Le 14 mai 1973, le quotidien gouvernemental Le Soleil, reprenant le communiqué de l'administration pénitentiaire, écrit : "La commission de surveillance des prisons (…) a constaté que le détenu Oumar Blondin Diop s’était donné la mort par pendaison dans sa chambre, aux environs de deux heures du matin’’.
Diop est mort dans sa cellule, à la prison centrale de Gorée où il avait été interné, depuis sa condamnation, à trois ans de réclusion, pour "atteinte à la sûreté de l'Etat’’, par un Tribunal spécial, le 23 mars 1972.
Le journal Le Soleil relayait la version officielle du suicide, alors qu’une partie de l’opinion nationale et internationale penchait plutôt pour la thèse de l’assassinat d’un jeune homme engagé dans le combat pour la libération de l’Afrique. Omar Blondin Diop, au vu de son engagement et de ses prises de position politiques, était devenu le symbole d’une génération de refus d’une politique néocoloniale, un acteur majeur de l’agitation politique et syndicale alors en cours depuis 1968.
La thèse officielle selon laquelle le jeune gauchiste s’est donné la mort "par pendaison’’, est contestée par le père de la victime, le médecin Ibrahima Blondin Diop, qui avait porté plainte à l’époque pour "coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort et pour non-assistance à personne en danger’’.
Dans son essai intitulé "Sénégal notre pirogue’’ (Présence Africaine, 2007), Roland Colin, directeur de cabinet du président du Conseil Mamadou Dia (1957-62), raconte qu’Omar Blondin Diop avait reçu, en détention, la visite de Jean Collin, ministre de l’Intérieur, avec lequel il eut une altercation.
"Le ministre de l’Intérieur, a-t-on su en fin de compte, aurait donné l’ordre au gardien de le châtier. Le lendemain, il fut retrouvé pendu dans sa cellule’’, écrit Roland Colin. Le juge d’instruction Moustapha Touré qui avait inculpé les trois gardes de la prison de Gorée pour meurtre, fut relevé de ses fonctions et dessaisi du dossier.
"Mohamed a été le premier à dire qu’il n’y avait pas de suicide et que son frère avait été battu à mort. Oumar Blondin gémissait, soupirait, d’après les déclarations de son frère’’, soutient Moustapha Touré. Alors que des voix soutenaient qu’Omar Blondin Diop a été inhumé en catimini au cimetière des Abattoirs sur la Corniche-Ouest, le ministre de l’Information Daouda Sow signalait, lors d’une conférence de presse (tenue…), que le défunt a été "enterré samedi (12 mai) en présence de son père et de ses parents proches’’.
Issu de la moyenne classe sénégalaise d’après indépendance, Omar Blondin Diop est né le 18 septembre 1946 à Niamey, au Niger. Admis à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, il était adjoint de Daniel Cohn-Bendit, animateur du "Mouvement du 22 mars’’. Diop prend une part active à la campagne électorale du trotskiste Alain Krivine, responsable de la Ligue communiste et participe aussi aux évènements de Mai-68. Pour "activités subversives’’, il est exclu de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et expulsé de France par le gouvernement français en 1969.
À Paris, le jeune activiste politique avait rencontré Jean-Luc Godard pour qui il joue son propre rôle dans ‘’La Chinoise’’, en 1967. Dans ce film, cinq jeunes gens passent leurs vacances d'été dans un appartement qu'on leur a prêté : Véronique, étudiante en philosophie, Guillaume, acteur, Kirilov, peintre venu de l’ex-Union soviétique, Yvonne, paysanne, Henri, scientifique proche du Parti communiste français.
Ensemble, ils essaient de vivre en appliquant les principes de Mao Zedong, leurs journées dans cette retraite sont une succession de cours et de débats sur le marxisme-léninisme et la Révolution culturelle. Véronique projette alors d'assassiner un dignitaire soviétique de passage à Paris. Pendant l’hivernage 1969, Landing Savané et Omar Blondin Diop rentrent à Dakar pour "travailler à promouvoir le processus révolutionnaire’’, rappelle une note publiée en septembre 2011 sur le site Internet de And Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS).
Le premier a terminé ses études et travaille à la Direction de la statistique comme chef de division, le second a décidé de suspendre les siennes. Avec leurs amis, ils avaient créé le Mouvement des jeunesses marxistes léninistes (MJML), en 1970.
Le ministre de l’Information, Daouda Sow, signalait, lors d’une conférence de presse, le 15 mai, que le président Senghor était intervenu "personnellement’’ et "avec insistance auprès du président de la République française (Georges Pompidou)’’, pour faire lever la mesure d’exclusion et d’expulsion qui frappait Omar Blondin Diop.
"Malgré la réticence des autorités françaises, le chef de l’Etat devait avoir satisfaction’’, expliquait M. Sow, précisant qu’Omar Blondin Diop avait pu retourner, en septembre 1971 en France, "comme boursier du Sénégal’’, et réintégrer l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud.
Dans ses activités, le MJML, son mouvement, essayait de s’implanter en milieu paysan dans les régions périphériques et dans le bassin arachidier ainsi que dans certaines grandes zones ouvrières (Thiès, Taïba, Richard-Toll notamment). C’est ainsi qu’il réussit à faire échouer la campagne d’explication de la politique de jeunesse de l’Union progressiste sénégalaise (UPS).
Plusieurs ruptures en 1972 au sein du mouvement maoïste, notamment celle intervenue entre le groupe animé par Omar Blondin Diop, tenant des orientations qualifiées de ‘’gauchistes’’, et celui de Landing Savané, partisan d’une "ligne de masse maoïste authentique basée sur une action politique, moins spectaculaire mais plus féconde, de liaison avec les masses ouvrières et paysannes’’, relève le site Internet d’AJ/PADS (septembre 2011).
Landing Savané forme le groupe Reenu-Rew. Les frères Blondin Diop, eux, quittent le MJML pour créer le Comité d'initiative pour une action révolutionnaire permanente (CIARP). Dans un article critique titré "Les suicidés’’ du président Senghor’’, l’hebdomadaire socialiste "L’Unité’’, (n°65, 18-24 mai 1973), note que le Sénégal est "un grand pays qui garde depuis 10 ans en prison Mamadou Dia’’, ancien président du Conseil (1957-62).
Le journal ajoute : "Léopold Sédar Senghor est un ancien élève de l’Ecole normale supérieure, un poète de la négritude, un ami personnel de Georges Pompidou et un chaud partisan de la coopération avec la France. Mais on meurt dans ses prisons, comme en Espagne. Et ceci nous importe plus que cela’’.
En 1971, plusieurs militants et sympathisants maoïstes avaient été arrêtés à l’occasion des grèves scolaires et universitaires. Des étudiants furent exclus de l’Université de Dakar pour faits de grève et résistance violente aux autorités. Le pouvoir exclut aussi de l’Université de Dakar des jeunes militants de gauche comme Marie Angélique Sagna, Amadou Top, Abdoulaye Bathily, Mamadou Diop Decroix et l’intégration forcée des garçons, dans l’armée en 1971.
Sur les conséquences politiques de la mort d’Omar Blondin Diop, Pathé Diagne soutient qu’elles seront "très importantes, mais fort peu connues’’, soulignant l’émoi que l’événement tragique "jeta sur l’opinion internationale fortement remuée par ses amis de l’extérieur’’.
Dans son essai intitulé "Léopold S. Senghor ou la négritude servante. De la francophonie au Festival panafricain d’Alger. Trente ans après’’ (L’Harmattan, 2006), Diagne relève que "cette mort amena à mobiliser Cheikh Anta Diop et Abdoulaye Ly, par le biais de Amath Bâ, ancien président de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), pour voir, avec les partisans de Mamadou Dia, comment obliger Senghor à démocratiser le régime’’.
"C’est là l’origine du Rassemblement national démocratique’’, le dernier parti politique fondé par le savant sénégalais Cheikh Anta Diop, qui était un ami intime d’Ibrahima Blondin Diop, père d’Omar Blondin.