OPÉRATION RABIBOCHAGE
Après les paroles, les actes. Après les déclarations d’amour, les preuves d’amour. Le Sénégal et la Guinée tiennent aujourd’hui une belle occasion de prouver que le récent entretien téléphonique entre leurs deux chefs d’État, avec au bout des paroles mielleuses rapportées par le quotidien sénégalais Enquête, étaient bien plus que des artifices diplomatiques. Que les Présidents Macky Sall et Alpha Condé ne cherchaient pas à amuser la galerie. Qu’ils sont animés, comme annoncé de part et d’autre, d’une réelle volonté de dissiper tous les nuages sombres qui s’amoncellent au-dessus de leurs têtes depuis l’éclatement de la crise de l’Ébola, avec comme point d’orgue la fermeture des frontières entre les deux pays.
Par la voix de son ministre de l’Économie et des Finances, Mohamed Diaré, invité de Rfi ce dimanche 5 octobre, la Guinée a alerté la communauté internationale quant aux conséquences désastreuses de l’épidémie sur son économie. Sollicitant une aide budgétaire de plus de 340 millions de dollars (170 milliards de francs Cfa) pour les exercices 2014 et 2015.
Croissance en berne
Le temps presse. Même si elle est mieux lotie que le Liberia et la Sierra Leone, pays les plus touchés par le virus, la Guinée est au bord du gouffre. Ébola y a causé 600 morts, installé la panique au sein de la population et mis en lambeaux le système de santé. Pis, la Guinée subit de plein fouet les conséquences économiques de l’épidémie. Ce qui risque de compromettre les efforts de redressement du pays entrepris depuis 2011, au lendemain de l’élection d’Alpha Condé avec, notamment, un cadre macroéconomique stabilisé et une discipline budgétaire restaurée.
«Les répercussions de cette crise sur (notre) économie sont très fortes, a déclaré Mohamed Diaré. En début d’année nous avons estimé une croissance de 4,5%. Au mois de mars l’épidémie s’est annoncée et l’économie a subi un choc. On a été obligés de revoir cette prévision à la baisse, à 2,4%. Également, le taux d’inflation, initialement prévu à 8,5%, (devrait se situer) à près de 9% d’ici à la fin de l’année. Les réserves de change également vont avoir une forte pression.»
Face à ce tableau sombre, annonciateur de lendemains incertains, les autorités guinéennes ont introduit une loi de finances rectificative pour «corriger à la baisse toutes (leurs) prévisions de recettes». Parallèlement, elles appellent à l’aide à la communauté internationale.
Baisse de recettes de 1,5% du PIB
«Nos recettes vont subir une baisse de plus de 1,5 du PIB, soit près de 150 millions de dollars (75 milliards de francs Cfa), informe le ministre guinéen de l’Économie et des Finances. Nous allons créer de nouveaux postes de dépense. Le budget initial de la riposte (contre Ébola) est de 60 millions de dollars (30 milliards de francs Cfa), mais il faut l’estimer à plus de 100 millions de dollars (50 milliards de francs Cfa). Aujourd’hui nous n’avons que 25 millions (12,5 milliards de francs Cfa) comme financement acquis. Nous sommes en train de voir tous ces impacts pour solliciter des appuis de nos partenaires techniques et financiers.»
Une chose est d’emblée sure : la Guinée devra vite trouver plus de 170 milliards de francs Cfa pour soutenir son budget. «Nous avons des besoins additionnels de financement de 90 millions de dollars, rien que pour 2014, confie Mohamed Diaré. Et nous sommes en train de finaliser le projet de loi initial pour 2015, qui prévoit un besoin de financement de plus de 250 millions de dollars.»
Le Fonds monétaire international (Fmi) est en train de concocter pour son compte «une facilité de crédit rapide», mais la Guinée est condamnée à trouver davantage de ressources financières. La communauté internationale devra mettre la main à la poche afin d’éviter au pays de replonger dans les abysses des années de profond coma économique.
Relancer les importations
La demande guinéenne pour un financement partiel de son budget s’adresse en priorité à la Banque mondiale, au Fmi et à ses autres partenaires financiers traditionnels, la France et Cie. Corseté par la fragilité de son économie et les urgences de la mise en œuvre du PSE, le Sénégal a d’autres priorités. Et après avoir envoyé en Guinée le laboratoire mobile de l’Institut Pasteur, ouvert un corridor humanitaire et souscrit au fonds de solidarité de la Cedeao pour la riposte contre Ébola en Afrique de l’Ouest, Dakar ne peut être suspecté d’avoir manqué à son devoir de solidarité envers un pays frère éprouvé. Mais, il peut faire plus. Il doit faire plus. Une contribution financière supplémentaire symbolique et/ou un appui indirect, restent dans ses cordes.
Rien qu’en rouvrant ses frontières aux exportations guinéennes de produits agricoles, le Sénégal contribuerait sensiblement à équilibrer la balance commerciale de son voisin. Il s’agira de discuter des modalités d’une telle décision, qui permettrait de rattraper le coup de la fermeture des frontières. Une mesure certes souveraine, mais hâtive, radicale et, surtout, prise sans un minimum de concertation avec le voisin concerné. D’ailleurs sur ce chapitre, le clin d’œil de Mohamed Diaré est clair : «Que ce soit le Sénégal ou d’autres pays, nous sommes en train de voir comment les échanges sous-régionaux peuvent rentrer dans l’ordre. C’est au bénéfice de tout le monde.»
Les options pour un rabibochage sénégalo-guinéen ne manquent pas. Tout est question de volonté politique. Aux autorités sénégalaises et guinéennes de saisir la balle au bond en initiant des concertations bilatérales, par exemple dans le cadre d’une commission mixte. Et dans ce cadre, chaque partie devra refuser de s’enfermer dans des considérations égotistes inutiles en acceptant de faire un pas vers son voisin.